LIVRE DE POCHE
(Paris, France), coll. SF (2ème série, 1987-) n° 7215 Dépôt légal : avril 1999 Roman, 672 pages, catégorie / prix : 16 ISBN : 2-253-07215-X Format : 10,8 x 17,8 cm Genre : Science-Fiction
Vint le jour où la jeune République martienne voulut prendre son indépendance contre la volonté d'une Terre au faîte de sa puissance.
Dans cette page d'histoire, Casseia Majumdar, étudiante rebelle, puis condamnée pour haute trahison, réhabilitée, élue Présidente de Mars, devait jouer un rôle déterminant.
Voici le journal, complet et inexpurgé, de l'une des héroïnes de l'histoire de Mars et de tout le Système solaire, qui rapporte comment Mars prit son envol.
Bien au-delà des limites du Système solaire...
L'Envol de Mars s'inscrit dans le même avenir que la Reine des anges, l'un des chefs-d'oeuvre de Greg Bear, précédemment publié dans la même collection.
Critiques
Au XXIIe siècle, Mars non terraformée est habitée par une large communauté humaine. Ses habitants vivent sous la surface, établis dans des « Multimodules Associatifs », des Communes spécialisées selon leur localisation et les ressources dont elles disposent. Le propos de Bear est le même que celui de Kim Stanley Robinson dans sa trilogie martienne (rappelons que L'Envol de Mars fut publié la même année que Mars la Verte) : rendre compte de la création d'une république martienne et de son combat pour l'autonomie. Son traitement est cependant différent, mais non moins talentueux. Car si les Martiens de Robinson ont gagné leur indépendance à coup de révolutions successives — restait à trouver la bonne — ceux de Bear apprennent bien vite que la révolution n'est pas la solution. Le roman débute en effet sur la victoire douce-amère d'étudiants rebelles, au nombre desquels l'héroïne, Casséia Majumbar. Casséia prend soudain conscience que son propre camp, s'il est parvenu à faire chasser un gouverneur tyrannique, n'en est pas pour autant un modèle de vertu, mais ressemble à un non moins dangereux groupement d'extrémistes. Malgré cette douche froide, elle se lance dans une carrière politique, plus par la force des choses (un oncle diplomate, une belle-mère présidente de Mars) que par véritable vocation. Son parcours la mène à son tour de la diplomatie à la présidence, de l'apprentissage à l'exercice du pouvoir. Bear offre un point de vue très réaliste du milieu de la politique : coups bas orchestrés en fonction des faiblesses de l'adversaire (son oncle Bithras l'apprendra à ses dépens), décisions à prendre en une seconde alors qu'elles engagent l'avenir de tout un monde. Mais avant que ne se noue la crise irrémédiable qui opposera Mars à la Terre, l'inévitable contrepoint est donné par une escapade sur la planète-mère, aussi oppressante politiquement que peut l'être sa forte gravité pour des Martiens d'origine.
L'Envol de Mars n'est toutefois pas un roman exclusivement politique. Casséia est partagée entre deux hommes, tous deux des scientifiques. Charles, son amour de jeunesse, est un physicien de génie, tandis qu'Ilya est un archéologue dévoué à la résurrection des « ecos », une forme de vie végétale endémique dont il ne reste que des fossiles. Ainsi personnifiée, la science n'est pas confinée au rôle d'intermède divertissant et édifiant. C'est en cela que le roman s'éloigne encore de l'influence de Robinson pour rejoindre plutôt celle de Mars Blanche de Brian Aldiss. Car si la solution à la survie de la planète n'est pas dans la révolution, elle n'est pas dans la politique non plus. Elle se trouve dans la recherche scientifique dont la planète rouge devient le haut lieu. Grâce à sa découverte, Charles mettra à jamais Mars à l'abri des entreprises de son envieuse opposante, bien mieux que n'aurait su le faire n'importe quel accord de principe entre politiciens.
Malgré son sujet que certains pourraient juger rebutant, L'Envol de Mars est un roman rythmé, riche en péripéties et en retournements, flirtant aussi bien avec le cyberpunk et les nanotechnologies qu'avec l'archéologie et la xénobiologie. Les personnages sont attachants et fort bien caractérisés, sans manichéisme ni partialité. La plus grande originalité du livre, cependant, tient à sa valorisation paradoxale de l'attitude de fuite devant le danger (rappelons que les habitants fuient déjà la surface délétère en se réfugiant dans les profondeurs souterraines). Car il semble que seule la fuite ait garanti la survie des Martiens, certes périlleuse, ainsi que la renaissance tant espérée des ecos.
Un des meilleurs romans martiens de la dernière décennie.
Depuis le début des années 90, Mars est particulièrement à l'honneur. Outre la trilogie de Kim Stanley Robinson, de nombreux romans en ont, comme la NASA, repris le chemin. Pourtant, peu de ces livres ont été traduits, hormis précisément la saga de Robinson, sans doute le récit contemporain le plus naturaliste consacré à la planète rouge.
Le Livre de poche réédite L'Envol de Mars de Greg Bear (1993). Et c'est bien de cela qu'il s'agit, aussi démesuré que cela puisse paraître. Tout d'abord, Bear campe un territoire encore à peu près vierge, que l'homme transforme lentement : thème américain — témoignant de ce qui manque peut-être aux États-Unis aujourd'hui, une nouvelle frontière. Mais la réussite du roman tient dans le dépassement du simple catalogue descriptif d'un autre monde.
L'univers créé, solidement étayé, n'occulte nullement le récit et ceux qui le font avancer. C'est l'histoire future d'une planète soumise à des forces exceptionnelles, certes, mais aussi et surtout celle de ceux qui jouent avec ces forces ou sont broyés par elles. C'est à la fois un roman social (les structures martiennes si différentes), un roman d'amour (une héroïne, un héros), un roman politique (les tensions entre la Terre et Mars), un roman scientifique (les découvertes fondamentales sur les particules).
Si le début semble peu SF, récit d'une idylle au cœur d'une révolte, il est nécessaire à la compréhension de la société martienne et du conflit qui court entre les conceptions qui doivent fonder l'État martien, entre jacobinisme et anarchie libertaire tendance US. Il est également nécessaire aux ressorts de l'intrigue, qui joue sur l'éloignement et les retrouvailles de deux protagonistes, Casseia Majumdar et Charles Franklin, symboles de la défiance et de l'union entre le scientifique et le politique.
L'Envol de Mars n'est pourtant pas uniquement la peinture d'une société, même anticipée, bien que le roman développe la même histoire du futur que La Reine des anges ou le récent Obliques (Laffont). La SF y constitue bien davantage qu'un simple décor. L'écologie martienne réserve quelques surprises à celui qui penserait avoir déjà tout lu, et le premier époux de Casseia, Ilya, nous fait partager son excitation face à ses découvertes sur l'ancienne vie martienne. Charles Franklin, lui, traque la structure de la matière et donne de nouveaux enjeux à l'humanité. La puissance de la logique quantique des penseurs (intelligences artificielles) alliée à ses intuitions lui ouvre l'envers de l'univers.
La science devient un peu sortilège (les physiciens contemporains parlent bien de particules « charmées »). Ce sont ces découvertes qui dominent la seconde partie du récit : Franklin touche aux descripteurs mêmes des particules en maîtrisant la matière-miroir, et modifie leurs caractéristiques au niveau quantique : tout devient possible, de l'énergie infinie aux communications instantanées. Y compris « bouger Mars » et faire trembler la Terre (voir apparaître Phobos — la « terreur », évidemment — dans son ciel doit faire réfléchir). En pinçant le continuum de Bell, Franklin et ses amis s'enfuient pour la banlieue d'une autre étoile !
Les spéculations de Bear sont d'un haut degré, et le roman est une réussite qui se mérite — mais lorsque cet effort est consenti, il est payant, car l'art du conteur transmet de l'enthousiasme aux pires équations. On s'aperçoit alors qu'on nous a fait le récit d'une perte d'innocence juvénile (raison d'être, sans doute, du prologue estudiantin) et du passage à l'état d'adulte ascétique, non seulement des personnages, mais d'une planète entière. Sans la moindre concession aux sirènes de la facilité, voici sans nul doute une belle réussite de science-fiction exigeante.