DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : octobre 2000 Recueil de romans, 768 pages, catégorie / prix : 169 FF ISBN : 2-207-25176-4 Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Des millions d'années ont passé et l'humanité a enfin cessé de se prendre au sérieux. Ses rares survivants, immortels ou peu s'en faut, vivent dans le luxe, l'hédonisme et la décadence. Grâce au savoir scientifique et technologique accumulé sur des millénaires, débarassés de toute notion de morale, ils habitent le carnaval permanent de leurs désirs et de leurs habitudes extravagantes, incendient des continents, collectionnent les êtres du passé...
Un beau jour, l'amoral Jherek ramène de l'ère victorienne la belle Amelia, dont la morale bourgeoise est si délicieusement exotique. Et voilà un nouveau jeu qui commence, à travers différents paysages délirants et différentes époques, de l'ère des dinosaures aux futurs oubliés.
Flamboyant et baroque, peuplé de personnages fabuleux, le cycle des Danseurs de la fin des temps, trois romans et trois longs récits, est à rapprocher du chef d'oeuvre de l'auteur : Gloriana ou la reine inassouvie.
Père d'Elric, de Hawkmoon et de Jerry Cornelius, Michael Moorcock est un des géants de la science-fiction et de la fantasy. Un succès mondial probablement dû à ses qualités stylistiques et à son goût immodéré pour la démesure. On attend avec impatience son grand roman Mother London, dans la même collection.
1 - Une chaleur venue d'ailleurs (An Alien Heat, 1972), pages 7 à 170, roman, trad. Elisabeth GILLE 2 - Les Terres creuses (The Hollow Lands, 1974), pages 171 à 331, roman, trad. Elisabeth GILLE 3 - La Fin de tous les chants (The End of All Songs, 1976), pages 333 à 586, roman, trad. Elisabeth GILLE 4 - Légendes de la fin des temps (Legends from the End of Time, 1976), pages 587 à 758, recueil de nouvelles, trad. Elisabeth GILLE
Une poignée d'individus sur une Terre désertée ont à leur disposition l'énergie, semble-t-il infinie, des anciennes Cités (quelque peu séniles, et que personne ne cherche à comprendre) qui permet un contrôle total de l'environnement : climats, couchers de soleil, continents, forme de leurs propres corps, tout peut être soumis à leurs caprices.
Caprices, car la vie d’un citoyen de la Fin des Temps est frivolité totale, consacrée au plaisir et à des créations éphémères destinées avant tout à impressionner ses pairs. Les émotions elles-mêmes sont avant tout objets esthétiques. Aussi, quand arrivent des extraterrestres qui annoncent la progression dans l'espace de la fin définitive de l'Univers, ils ne sont pas plus pris au sérieux que les différents voyageurs du temps qui viennent du passé porter un jugement moral sévère sur la Fin des Temps. Ils se retrouvent en général hôtes plus ou moins forcés des ménageries qu'entretiennent pour la distraction de leurs amis les aristocrates décadents du soir de la Terre.
Tout change pour Jherek Carnelian avec l'arrivée de Mrs Amelia Underwood, victorienne résolument prude, qu'il libère d'une ménagerie, puis suit jusqu'à sa propre époque. Car Jherek connaît une émotion inédite, inconnue même de ceux de ses pairs qui affectent le désespoir romantique, comme Werther de Goethe : Jherek est éperdument amoureux d'Amelia. Qui reste résolument fidèle à un mari qu'elle n'aime pas, mais auquel la lie son sens du devoir. Toutefois, il ne lui est pas possible de revenir durablement dans le passé, qui rejette les voyageurs issus du futur pour éviter les paradoxes qu'ils pourraient engendrer.
L'initiative éditoriale du regroupement des trois romans de la trilogie en un omnibus est tout à fait heureuse : l'idylle de Jherek et Amelia, entrecroisée avec le problème (agaçant, il faut le reconnaître) de la destruction imminente de l'Univers, enjambe les trois premiers livres. On a parfois peur pour l'insouciant Jherek et pitié de la rigide Amelia, mais l'humour n'est jamais loin, avec une action relancée par des péripéties facétieuses dues aux personnages secondaires. Moorcock, bien conscient du caractère parfois répétitif de ses livres, lance d'énormes clins d'œil, et adapte de façon subtile la forme (extravagante) au fond de son récit. Si tant est qu'il en ait un.
On peut en effet se lasser des retournements de situation, que l'auteur ne prend guère la peine d'habiller d'apparences de logique. Pourtant, de longs passages du livre sont consacrés à des discussions de caractère moral : comment donner un sens à une époque hédoniste ? On sent là comme un reflet des turbulentes années 60 londoniennes, que Moorcock a vécu en protagoniste majeur. Le raffinement sybaritique est ici mis en perspective par la rigidité de l'époque qui l'a précédé : si l'on veut bien situer les derniers feux de l'époque victorienne dans l'action de Winston Churchill, Premier ministre des années de guerre, les Swinging Sixties se comprennent en réaction à celle-ci. Époque victorienne qui porte son ombre sur tout le cycle de la Fin des Temps, par les voyages fréquents qu'y font les personnages, par les références a contrario qu'elle fournit sans cesse, et par des clins d'œil comme cette apparition de H. G. Wells.
Moorcock s'épanouira un peu plus tard dans des romans historiques ou uchroniques situés justement au tournant du siècle ; le cycle de la Fin des Temps, avec certes ses longueurs et ses facilités, est un superbe hymne à la décadence. Un classique peut-être, un plaisir sûrement 1.