L'ATALANTE
(Nantes, France), coll. La Dentelle du Cygne Dépôt légal : septembre 2000, Achevé d'imprimer : septembre 2000 Première édition Roman, 480 pages, catégorie / prix : 125 FF ISBN : 2-84172-146-9 Format : 14,5 x 20,0 cm Genre : Science-Fiction
Couverture à rabats. La photo de couvertures est copyrightée "NASA". Autre prix : 19,06 €
Quatrième de couverture
Au coeur du Grand Désert de Talamh, Lugvinn le Gardien raconte pour la dernière fois une épopée dont aucun chapitre n'a encore eu lieu...
Celle de deux mondes surpeuplés, deux mondes en crise, reliés malgré leur éloignement par le fil ténu d'un « rayon » le long duquel évolue une navette :
Nemeton la sage, l'unique détentrice du Blödryall, source d'énergie et caillou mystique qui pourvoit aux besoins et à la cohésion de la population ; et Drucht la violente, colonisée quatre cents ans plus tôt.
Alors naît — naquit, naîtra ? — « Ambigata », une mission insensée aux ramifications incalculables, planifiée par l'infaillible organisation du Gaebolga.
Et tandis que Drucht complote le rapt du Blödryall, l'insupportable princesse héritière de Nemeton, Brighee mFolctainban, joue les grains de sable dans un engrenage où son rôle est défini depuis... toujours ?
Enjeu : l'avenir d'une espèce nourrie des plus beaux mystères et des tabous les plus absurdes.
Parisien de quarante ans, Vincent Michel est luthier. AMBIGATA est son premier roman.
Critiques
Près de neuf cent cinquante pages : voilà qui ne peut qu'impressionner ! Les Nantais de l'Atalante, qui publient de bien beaux livres (même si le carton de couverture s'use parfois bien vite aux pliures), ne détestent pas les gros livres. Leur catalogue en est témoin, entre Tout Corum et les titres de Pierre Bordage (dont Wang vient de ressortir en un seul volume !). A l'énoncé du nom de ce dernier, l'amateur dresse l'oreille : avec Vincent Michel et les deux tomes de son Ambigata, l'éditeur tenterait-il de rééditer le « coup » Bordage, à savoir imposer un inconnu (quasi pour Bordage, complet dans le cas de Michel) à l'aide d'un épais roman épique et foisonnant ? Il semble qu'en effet, sept ans après Les guerriers du silence, l'Atalante caresse cette ambition, qui serait bien plus qu'honorable si elle aboutissait à une véritable et neuve révélation.
Pour réussir un gros roman de ce type, il convient en tout cas de ne pas manquer de souffle ni de vigueur — et c'est donc là que l'on attend Vincent Michel. Rassurons le lecteur qui hésiterait à s'embarquer au long cours : ce souffle est présent dans Ambigata, dont la trame, pour être facilement déchiffrable, ne cesse de s'enrichir de facettes, de personnages, de péripéties. Un substrat simple sous-tend le récit, qui n'hésite pas à épouser le vieux motif du miroir. Quelque part autour d'un soleil, deux mondes coexistent, reliés par le biais d'une unique navette : Nemeton, la planète d'oriqine, détentrice du Blôdryall, son unique source d'énergie (proche du nucléaire par la force et les radiations, mais qui « interagit » avec l'état psychique du peuple Nemetis), et Drucht, la planète colonisée où l'on a cru pouvoir se passer de la servitude du Blôdryall, mais sur laquelle on a désespérément besoin d'énergie... Quelques Druchtis particulièrement retors vont comploter le « rapt » du Blôdryall, tandis que le Gaebolga, sorte de service secret indépendant de tout gouvernement, développera une intrigue complexe pour s'opposer à Drucht et sauver l'énergie Nemetis. Cette mission confidentielle, qui conditionne les intrigues du récit, les infiltrations d'agents, les différents rebondissements de l'aventure, a pour nom « Ambigata ».
La présence au cœur de l'action de ce Gaebolga, dont le goût des machinations influence toutes les vicissitudes de la narration, fait de l'œuvre de Vincent Michel un mixte a priori étrange de space opera, de livre-univers, de roman feuilleton et... d'espionnage !
En effet, les intrigues aux ramifications multiples ne font pas tant songer à van Vogt ou à Bordage qu'à John Le Carré. La complexité du récit séduira l'amateur de magouilles parallèles autant que le lecteur avide de rebondissements. Le souffle bien présent, la transmutation constante de l'énergie en imagination (serait-ce là la métaphore du Blôdryall ?), la structure complexe toute en alternances et en non-dit : voilà qui suffirait à assurer le succès de l'entreprise.
Mais une première œuvre est rarement une totale réussite. On pourrait chipoter Vincent Michel sur l'indécision narrative de toute l'intrigue, qui ne cesse d'hésiter entre roman « scientifique » (et qui l'est fort peu, au vu de la parcimonie des explications) et approche visionnaire, voire initiatique. L'introduction est à ce titre tortueuse, même si elle livre quelques clés pour la suite, car elle présente des personnages engagés sur une voie symbolique, alors que le goût du Gaebolga pour les chemins contournés va occulter cet aspect. Ne parlons guère de la magnétohydrodynamique, dont l'usage permanent sur Nemeton fait quelque peu gadget (surtout si elle provient de la mythologie Ummite de Jean-Pierre Petit !), et qui semble destinée à illustrer la loi de Clarke : « toute technologie suffisamment évoluée est indiscernable de la magie ». On discutera également du vocabulaire imaginaire créé par l'auteur, en particulier dans la désignation des mesures du temps, qui demande une grande réceptivité pour ne pas paraître fastidieux (des « cethins » à la place des minutes, pourquoi pas — mais alors pourquoi, en parallèle, des jours, des kilomètres, etc.).
Ces détails sont sans doute peu décisifs face à l'ampleur du discours. Mais justement, l'élément central que devrait travailler Vincent Michel se situe en ce point nodal d'Ambigata, sa taille. Quels sont les éléments qui gonflent le roman ? Ni les panoramas d'une écologie différente, ni (on l'a vu) l'approfondissement scientifique du propos, ni une réelle densité des personnages, dont certains peuvent aisément passer pour des marionnettes : ce qui tire Ambigata vers ses quasi neuf cent cinquante pages, ce sont les à côtés de la trame, ces minutieuses descriptions des conspirations du Gaebolga ou des Druchtis. Là, peut-être, l'auteur aurait-il dû choisir de ramasser davantage son intrigue, car il est dommage qu'un univers original perde de la densité au profit de complots de coulisses parfois peu inventifs. S'ennuie-t-on pour autant ? Je ne l'affirmerai pas, car Ambigata est également une lecture de pur plaisir.
Deux planètes en proie à la surpopulation. La première, Nemeton, gouvernée par le vieux Dagdvo, dispose du Blodryall, qui est la source d'énergie de la population en même temps qu'un symbole mystique. La seconde, Drucht, est dirigée par Tarann, lequel projette de voler le Blodryall pour en finir avec les conflits sur son monde. Les deux planètes sont reliées par un rayon le long duquel circulent des navettes, les autosolénodynes fonctionnant avec la magnetohydrodynamique (qui empruntent aux écrits Ummites révélés par Jean-Pierre Petit)
Pour beaucoup, le Blodryall est une dépendance dont il faut sortir C'est pourquoi le Gaebolga, agence gouvernementale qui n'a de compte à rendre à personne, lance le projet Ambigata, qui a pour but de doter Drucht d'un Blodryall en envoyant leur propre exemplaire dans le passé afin de le faire exister en double...
Cet épais roman déborde d'intrigues et de personnages La princesse héritière Brighee mFolctainban, qui s'oppose au Gaebolga, soutenue par quelques agents dissidents, est une des figures centrales du récit On croise bien sûr des traîtres et de malfaisants personnages comme Belgha Senckhafer, des humains modifiés comme les redoutables Yders ou des créatures mystiques comme les Voidri. Impossible de résumer ici les trames qui composent cette fresque complexe...
Mais ce premier roman impressionnant par son ampleur reste cependant inabouti N'est pas Bordage qui veut ! On se perd souvent dans ce foisonnement et dans les motivations des personnages à l'onomastique compliquée Entre deux scènes d'action réussies, l'intrigue s'étire et se perd dans ses multiples ramifications Trop occupé à soigner les détails de son univers, l'auteur perd l'ensemble de vue Tous les fils ne sont pas noués et on se demande par exemple ce que deviennent les protagonistes de l'ouverture du roman : le récit est en effet narré par le Gardien du second Blodryall expliquant à un visiteur pourquoi cet exemplaire doit rester secret, il ne réapparaît pas au terme des 900 et quelques pages pour conclure son histoire de temps à venir.
Les défauts sont plus criants dans les détails : une civilisation avancée comme celle de Nemeton imagine-t-elle, pour coller des « pisteurs » sous la semelle des visiteurs débarquant chez eux, d'utiliser des tireurs dissimulés sous les grilles d'aération visant les pieds des passagers qui les foulent ?
On est parfois irrite par l'artificialité des termes inventés, qui ne sont qu'une banale transposition de vocabulaire donnant un vernis exotique au récit Ainsi, les personnages ont une faim d'arct, les femelles trwchs veillent sur leurs marcassins. Les religieux donnent la transposition suivante « si je m'en sors, je me fais Kunchewrdd ». Ayant particulièrement soigné les unités de temps (ruathinem, kvétricet, cet, cethin, cetog pour huit jours, une heure, un quart d'heure, une minute et demie, une seconde), l'auteur glisse à tout bout de champ (pardon : à chaque cetog) le temps écoulé. Et que dire du juron invariablement assené par chaque personnage en pleine action : Bouse !... Bouse et bouse ! (T.l, p 393) ?
Difficile, après ça, d'être séduit. II n'en reste pas moins que ce roman dispose de nombreuses qualités Vincent Michel, pour une première oeuvre, a placé la barre trop haut mais pourrait bien, à l'avenir, nous étonner avec un prochain roman