Du microcosme au macrocosme, du particulier au général, de l'individuel au collectif, tout est communication. Communiquer c'est transmettre un message, faire partager une émotion, se situer sur un plan politique, social, humain. « L'écumeur des étoiles », sous la parure du space-opera, nous propose une réflexion tous azimuts sur cette importante notion de communication.
« La domination dépend des communications. Faiblesse des transmission égale faiblesse du gouvernement » (p. 16). Un Etat qui ne peut faire circuler l'information ou qui ne la maîtrise pas est un Etat en danger. « La chute de l'Empire n'a été que l'écroulement des communications à grande distance » (p. 169). Mais l'abus d'informations (et mal digérées de surcroît) est tout aussi nocif que son absence. « Avec la brusque explosion des renseignements... il a dû se produire un chaos économique et politique » (p. 171). David Gerrold démontre donc, entre les lignes, que l'information est une chose trop importante pour être confiée aux seuls journalistes, et que l'idée d'une information libre est une utopie que l'Etat — par simple instinct de conservation — ne peut se permettre.
Préférant individualiser son propos, Gerrold passe du général au particulier, s'attardant sur les difficultés de ses personnages à se comprendre. Le roman n'évite pas tout à fait les écueils du roman psychologique bourgeois ni les clichés du type presse-du-cœur, tant l'incommunicabilité, dans sa banalité, est un sujet difficile à traiter. Mais son originalité est de s'être rendu compte que ces problèmes d'incommunicabilité sont essentiellement d'ordre linguistique. Les passagers de « L'écumeur des étoiles » ne parlent pas le même langage. Le fait est rendu patent par les dialogues entre le synthétique Ike et Masse, mais est tout aussi valable pour le commun des humanoïdes (Masse, Tapper, Edelith). Communiquer, se comprendre c'est adopter un même signifié pour un même signifiant, c'est pratiquer « un échange total de toutes les données sensorielles » (p. 144). Le filtre des mots semble une barrière insurmontable ; code à la fois trop strict et trop flou. C'est un constat d'impuissance de la linguistique comme meilleure connaissance d'autrui que dresse Gerrold. La solution est au-delà du langage, dans une approche de l'autre quasi-mystique. Une connaissance empathique / télépathique basée sur la notion de Gestalt, qui détruit les inhibitions et met à nu le moi profond.
Il est à noter que la recherche de l'autre n'est pas autre chose qu'une recherche de soi, communiquer avec les autres étant communiquer avec soi-même. « Curieux comme la perception de soi modifie les perceptions que l'on a de toutes autres choses » (p. 85).
David Gerrold n'ignore pas que l'œuvre littéraire — surtout lorsqu'elle est inscrite dans un genre aussi fortement connoté que le space-opera — peut fonctionner de manière autonome, s'interposer entre l'auteur et le lecteur, et réfracter le sens du texte dans une direction autre que celle voulue par son auteur. Aussi a-t-il tenté une déconstruction du genre, utilisant les ingrédients usuels du space-opera (Empire galactique, vaisseau spatial, etc...) comme de simples éléments de décor, vides de sens.
« L'écumeur des étoiles » n'est pas un roman parfaitement abouti, mais l'ambition de son propos en fait un ouvrage intéressant et digne d'estime qui, par ses préoccupations, a sa place parmi les œuvres qui font la SF d'aujourd'hui.
Denis GUIOT
Première parution : 1/6/1975 dans Fiction 258
Mise en ligne le : 9/3/2015