DENOËL
(Paris, France), coll. Présences n° (32) Dépôt légal : janvier 1997, Achevé d'imprimer : décembre 1996 Première édition Recueil de nouvelles, 256 pages, catégorie / prix : 129 FF ISBN : 2-207-24393-1 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Fantastique
Calcutta, me direz-vous. Quel drôle d'endroit où aller quand les morts reviennent marcher parmi les vivants. Et je vous répondrai : pourrait-on imaginer lieu plus approprié qu'une ville où cinq millions de personnes semblent déjà mortes — pourraient tout aussi bien l'être — et où cinq autres millions aimeraient bien mourir ?
C'est par cette nouvelle, « Calcutta, seigneur des nerfs », une des clefs de voûte de ces douze contes de la fée verte, que Dan Simmons a découvert Poppy Z. Brite et s'est enthousiasmé pour ce talent nouveau dans le registre du fantastique et de la terreur. Un talent d'une singulière puissance d'évocation, sensible aux parfums, aux atmosphères, aux expériences limites d'une génération en proie au mal de vivre — au point de parer la mort d'une étrange séduction charnelle.
« La vision que nous propose Poppy Z. Brite, écrit Dan Simmons, est noire, dérangeante, délicieusement érotique, suavement sauvage et entièrement personnelle. Ce jeune écrivain n'est pas seulement une étoile littéraire montante, c'est une supernova qui pourrait bien occulter des constellations plus brillantes et nous faire chérir la nuit au-delà du raisonnable. »
Poppy Z. Brite, née en 1967, a vécu à La Nouvelle-Orléans et dans la Caroline du Nord, dont elle sait magnifiquement restituer le pittoresque. Elle a exercé les métiers les plus divers et les plus insolites tout en commençant à publier dans les magazines spécialisés dans le fantastique et la terreur. Elle a fait paraître son premier roman, Ames perdues (Albin Michel), en 1992. Elle en a écrit deux autres depuis, dont Sang d'encre (Albin Michel).
1 - Dan SIMMONS, Prolégomènes à toute métaphysique future de Poppy (A Prolegomena to Any Future Metaphysics of Poppy: An Introduction, 1994), pages 11 à 23, préface, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 2 - Anges (Angels / Goldengrove unleaving, 1987), pages 25 à 44, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 3 - Conte géorgien (A Georgia Story / Love (Ash I), 1987), pages 45 à 55, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 4 - Sa bouche aura le goût de la fée verte (His Mouth Will Taste of Wormwood, 1990), pages 57 à 75, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 5 - Musique en option pour voix et piano (Optional Music for Voice and Piano, 1986), pages 77 à 93, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 6 - Xénophobie (Xenophobia, 1990), pages 95 à 111, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 7 - La Sixième sentinelle (The Sixth Sentinel, 1993), pages 113 à 137, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 8 - Disparu (Missing, 1986), pages 139 à 152, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 9 - Traces de pas dans l'eau (Footprints in the Water, 1990), pages 153 à 161, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 10 - Prise de tête à New York (How to Get Ahead in New York, 1992), pages 163 à 187, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 11 - Calcutta, seigneur des nerfs (Calcutta, Lord of Nerves, 1992), pages 189 à 211, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 12 - Paternité (The Elder, 1987), pages 213 à 224, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 13 - Cendres du souvenir, poussière du désir (The Ash of Memory, the Dust of Desire, 1991), pages 225 à 253, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE
Critiques
Détestant hurler avec les loups et me méfiant des engouements des critiques parfois plus prompts à recopier les prières d'insérer ou les quatrième de couverture qu'à lire les oeuvres, j'ai pour habitude d'attendre avant de lire les auteurs que l'on met tout d'un coup en avant... Pour ce qui est de Brite, je ne regrette pas d'avoir patienté... Mis à part les côtés exotique (la Louisiane) et érotiques ou sensuel, on ne trouve guère dans ces textes de choses exceptionnelles.
Passons sur l'exotisme — on a celui qu'on veut et le Vaudou ou les marécages ont toujours fait recette — , pour ce qui est de la sensualité — voir préface de Dan Simmons au volume — il me semble que c'est un des ingrédients inhérents au genre et qu'il n'y a guère lieu de s'extasier si un romancier s'en sert. La sensualité de Brite est d'autant plus visible et marquante que certains de ses textes ne sont que discrètement fantastiques. J'ai eu plus souvent l'impression de lire de la littérature générale teintée de fantastique que l'inverse et même lorsque dans La sixième sentinelle il est question de fantômes, un petit quelque chose de Tennessee est venu chatouiller mon esprit...
Il va de soi que Poppy Z. Brite vaut la lecture, mais on devrait laisser mûrir le fruit avant de lui tresser des couronnes...
Noé GAILLARD Première parution : 4/2/2003 nooSFere
« Nous attachions leurs poignets et leurs chevilles avec des dentelles noires, nous lubrifiions et pénétrions leurs moindres orifices, nous leur procurions des plaisirs qui leur faisaient honte. Je me souviens de Félicia, une beauté aux cheveux mauves, qui parvint à un orgasme sanglotant, sauvage, grâce à la langue râpeuse d'un chien errant ». Dès les premières lignes de Sa bouche aura le goût de la fée verte 1, on devine que rien, ou presque, ne nous sera épargné. On se convainc également que les antiennes sur l'écriture « féminine » et autres sottises sexistes ne résistent pas une seconde à la lecture des nouvelles de Poppy Z. Brite.
Inutile de dire que le fantastique de Brite a très peu à voir avec les bluettes surannées, sans âme, en un mot inoffensives qui font crouler les rayonnages des éditeurs de littérature générale, ce fantastique des familles qu'on étudie dans les meilleurs lycées, qui ne dérange pas les partisans de l'ordre moral, qui ne trouble ni les critiques, ni les lecteurs.
Avec Poppy Z. Brite, Eros et Thanatos célèbrent leurs sombres noces à chaque page, poussant chaque fois un peu plus loin les limites du dicible. L'auteur des Contes de la fée verte renoue sur le plan des thèmes avec la grande tradition du fantastique du XIXe siècle (Poe, Gautier, James qui évoquent sous le masque des histoires de revenants et de vampires les pires horreurs sexuelles...) tout en injectant dans sa prose les stigmates de la modernité (surpopulation, violence de masse, ravages de la drogue).
Comme le souligne Dan Simmons, dans une préface chaleureuse, il s'agit d'une œuvre au contenu « brillant, ténébreux, infiniment tragique et extraordinairement juste », une œuvre qui parle « de sexe et de décomposition, des extrêmes ténébreux de l'amour où violence et passion se confondent. » : les abîmes de la gémellité (Anges), la peur inconsciente de la féminité (Xénophobie), la mort d'un enfant (Paternité), les affres de la jalousie et de l'amour (Cendres du souvenir, poussière du désir)...
On soulignera que certains des récits les plus brutaux et les plus désespérés ont été écrits par une gamine de vingt ans 2 et on se demandera quelles douleurs secrètes produisent une littérature aussi personnelle, aussi puissante, aussi radicale : « II me tendra les bras, m'invitera à reposer avec lui dans son lit grouillant de vers ».
Si le fantastique a un avenir, ce sera à des écrivains comme Poppy Z. Brite qu'il le devra.
Notes :
1. Allusion à l'absinthe chère à nos Rimbaud et Verlaine. 2. Poppy Z. Brite a aujourd'hui trente ans tout juste...
"Le monde est une putain et Calcutta est sa chatte. Quand le monde s'accroupit et écarte les jambes, c'est Calcutta que l'on découvre, ce sexe moite d'où s'élèvent mille odeurs aussi exquises que nauséabondes."
Plus que les intrigues, ce qui captive immédiatement dans ce recueil, c'est la musique particulière et envoûtante de l'écriture de Poppy Z. Brite. En quelques phrases percutantes, elle parvient à bâtir une ambiance noire et moite, à entêter le lecteur avec des récits cruels et étouffants où se mêlent sang, sexe, violence et pourriture...
Ceux qui apprécient le fantastique morbide, nauséeux et ténébreux seront comblés par ces contes de fées maléfiques et ne pourront que partager l'appréciation portée par Dan Simmons (cf. ci-dessus).
Le seul rayon de lumière qui perce dans cet ouvrage dominé par la noirceur est d'ailleurs l'excellente introduction de Simmons, brillante et pétillante d'humour, où il rend à sa façon un bel hommage à l'auteur. Ce texte vaut déjà à lui seul le détour.