Milan, demain. Une mégalopole multiraciale voilée par les nappes de fumées toxiques, où le sintar, une drogue destructrice, fait des ravages.
Pénélope DeRossi, alias DR, réplicante et détective privée, se lance dans une enquête digne de Philip Marlowe dans les bas-fonds de la cité.
Entre Philip K. Dick et Raymond Chandler, un portrait de l'Europe future qui a valu a son auteur le célèbre prix Urania.
Critiques
Supportez la première moitié du livre pour profiter de la seconde.
Milan, un avenir indéterminé. D.R. est une « synthétique » qui vivote comme détective privé. Elle est engagée par Elsa Bayern, jeune et belle héritière des vestiges d'un empire financier, pour retrouver Nicole, la belle-sœur de celle-ci. Durant son enquête, D.R. rencontre Samuel, le père d'Elsa, ancien explorateur spatial. Celui-ci veut la payer. pour qu'elle protège Nicole d'Elsa. D.R. poursuit son enquête et découvre un complot d'une ampleur insoupçonnée.
La cybernana armée en couverture et le titre (sans rapport avec l'original : « le faux cœur de D.R. » font penser à un roman de cyberpunk. Il n'en est rien. Réplicante est un croisement entre un polar « cigarette et chapeau mou » et un roman de SF classique.
La première partie du livre pourrait d'ailleurs se dérouler dans un Milan contemporain tant l'argument SF en est absent. Cette partie commence par un prologue inutile et maladroit et se poursuit, quand l'histoire commence véritablement, par le récit lent et obscur de l'enquête de D.R. On sent la volonté de l'auteur de ne rien dévoiler pour faire progresser le lecteur dans l'enquête au même rythme que la protagoniste. Le problème est qu'il ne se passe rien.
Les choses sérieuses commencent à la moitié du livre, lorsque l'on découvre les véritables motivations d'Elsa Bayern. Le roman devient alors un récit de suspense/SF assez rythmé et prenant. On appréciera notamment quelques scènes brèves mais réussies de lutte mentale entre télépathes, ainsi que la description d'une serre extraterrestre.
L'auteur n'évite malheureusement pas les clichés : la femme fatale, le chef tyrannique, le rebondissement en trop... et développe trop/pas assez certains aspects du récit (on pense ici à l'agence gouvernementale ennemie et à ses agents).
On reprochera également à l'auteur le manque de crédibilité de la « méchante » : Elsa Bayern. La beauté fatale et cruelle donne l'air de s'être trompée de roman à chaque page.
L'épilogue fait le lien avec le prologue mais n'est guère plus utile.
Il faut accepter les hiatus initiaux. D'un côté, une SF venue des pulps, avec un arbre amoureux vénusien chez un industriel milanais qui avait tout quitté pour courir la galaxie dans un astronef de tourisme, et qui a accidentellement retrouvé une planète oubliée depuis 2372, où des générations d'humains sont devenus télépathes, menant une vie tribale, archaïque et fascinante. De l'autre côté, un Milan entre flicage et ordinateurs, repérage policier des télépathes, banlieue ou tiers-monde, drogues, gamins errants et dangereux, abîmes sociaux entre quartiers, truands, assassinats, cassure dans le Milieu, arrivée de gens qui n'en respectent pas les règles, ajoutant la mort à la mort, reflet implicite de ce qui s'est passé avec la Mafia lorsque la drogue y a démultiplié les profits. Entre les deux, l'héroïne, enquêtrice privée dont le frigo ne peut guère abriter que des rats ou des cafards, androïde presque indestructible, très grande, très grasse, dotée de quatre oreilles par un bidouilleur farceur, aussi loin de la pin-up de la couverture que de celle qui illustrait l'édition originale italienne. Elle est consciente de ne pas être humaine, de ne pas être censée éprouver des sentiments, et court après la drogue pour se faire des ersatz de rêve. Embauchée par la redoutable fille de l'industriel pour retrouver sa belle-sœur extraterrestre, puis pour abandonner l'enquête, par lui pour la continuer, avançant au milieu de cadavres, recherchant la gamine qu'elle a plus ou moins adoptée et qui a été enlevée, violente dans un monde de violence, finalement humaine malgré ses dénégations, elle est au confluent de tout, coïncidences et sacs de nœuds, massacres et coups bas, jusqu'au combat télépathique final. Elle donne sa cohérence à ce collage entre un polar à peine futuriste décalqué des archaïsmes du genre (homophobie incluse) et rêves galactiques fort anciens, entre hyperréalisme et pop-art naïf, en attendant le prochain volume, Dream Box, paru outre-Alpes en 1997.
« Réplicant » est un terme qui évoque instantanément l'univers de Blade Runner. Pour éviter toute méprise, précisons d'emblée que le roman de Nicoletta Vallorani n'a pas de lien direct avec cet univers, et que ce terme ne figure ni dans le titre original ni dans le texte lui-même, où seul le mot « synthétique » est employé...
Certes, il peut paraître légitime d'évoquer l'oeuvre de Dick à propos de ce roman, dans la mesure où le personnage central est un détective privé « synthétique »... Mais l'interrogation sur sa propre essence, la quête d'identité ou d'humanité, l'incertitude quant à nature de la réalité font ici totalement défaut. C'est d'ailleurs l'une des déceptions que nous éprouvons à la lecture : l'androïde DR est beaucoup trop humain. S'il s'interroge parfois sur ses sentiments, dans une vaine tentative de comparaison avec ceux des hommes, il ne se différencie pas pour nous du détective archétypal : solitaire et bougon, obstiné et hargneux, légèrement dépressif et noyant son spleen dans l'alcool ou la drogue... Vallorani a sans doute perdu une belle occasion de mettre en scène un détective réellement « autre », dont les raisonnements et agissements auraient été difficiles à appréhender par le lecteur doté de facultés de compréhension « biologiques ». De plus, le statut juridique et social des « synthétiques » apparaît assez flou. Peut-être n'en ont-ils pas, car ils semblent pouvoir être effacés sans formalités excessives ; mais nous comprenons mal dans ce cas comment DR a pu s'installer officiellement comme détective...
L'histoire débute comme dans d'innombrables polars... Une disparition, une cliente irascible aux motivations douteuses, un possible héritage, des mésententes familiales, et sans doute bien plus... DR met le nez — et ses quatre oreilles — dans une affaire évidemment louche ! On s'installe dans le récit comme dans de vieux chaussons : agréablement familier, il s'avère parfaitement confortable. Le fil se dévide sans la moindre surprise et comme les motivations des personnages nous sont dévoilés assez rapidement, il n'y a plus guère de suspense... Au point que les derniers chapitres nous semblent presque superflus.
L'intrigue policière est donc trop simple et trop convenue pour suffire à surprendre le lecteur. Le décor futuriste, trop succintement esquissé, n'est pas plus excitant. Comme nous l'avons souligné, la nature artificielle du détective n'est pas assez affirmée pour apporter une originalité au récit, et les quelques scènes situées sur une planète étrangère pourraient tout aussi bien se dérouler sur Terre. En fait, le seul élément qui ne soit pas transposable à l'époque actuelle est l'existence de télépathes, traqués à fin d'études, et qui apprennent à se protéger comme de véritables Slans... Là encore, l'auteur ne va pas au bout de son sujet : on s'attend notamment à ce que la confrontation entre une télépathe et une androïde ait un résultat étrange, mais Vallorani se contente de signaler que le cerveau de DR semble « faux ». Peut-être aurait-elle pu trouver une astuce narrative pour nous faire percevoir cette « fausseté » ressentie par la télépathe et en faire l'un des thèmes du roman...
Ces réserves formulées, il convient de remettre les choses à leur place... « Réplicante » demeure un roman agréable et distrayant, un policier traditionnel qui séduira le lecteur allergique aux intrigues tortueuses... S'il déçoit, c'est surtout que l'on pressent un potentiel beaucoup plus grand, à la fois de la part de l'auteur et de celle du personnage de DR. Comme il s'agit probablement d'une héroïne destinée à vivre d'autres aventures, nous pouvons légitimement espérer que les romans à venir seront plus marquants.