L'ATALANTE
(Nantes, France), coll. Bibliothèque de l'évasion Dépôt légal : février 1999, Achevé d'imprimer : février 1999 Première édition Roman, 480 pages, catégorie / prix : 5 ISBN : 2-84172-097-7 Format : 13,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Avril 2034 : chaleur, pluies acides, surpopulation.
Entre Marseille et Toulon, un tueur bombarde à coups de pièce de bronze les voitures sur l'autoroute.
Deux pistes : les détraqués ; le milieu de l'art. Deux enquêtes : celle de l'inspecteur Canavese; celle de Serge Lançon, marginal, peintre lui-même et sujet à des visions qui ont déjà fait aboutir deux affaires de tueurs en série.
Comme L'Ombre du chat et Désordres, les premiers livres de Paul Borrelli, Trajectoires terminales est un roman noir vigoureux à la trame complexe, foisonnant de personnages et de décors.
Il prolonge et clôt le cycle de Serge Lançon.
Critiques
Inconditionnels de héros positifs et propres sur eux, passez votre chemin : ce livre n'est pas pour vous. Fans de noir et d'Ellroy, mes frères, courez chez votre libraire le sommer de vous procurer le dernier roman de Paul Borrelli, le troisième volume de la ''Trilogie Serge Lançon« , que vous pourrez dévorer, comme je l'ai fait, sans avoir lu les deux précédents, L'Ombre du chat et Désordres. Vous ne sortirez pas indifférent de cette ultime enquête de Serge Lançon, anti-héros, précog, fidèle en amitié, désabusé, artiste, révolté... et tocard, et ignoble. Car c'est aussi un véritable salaud, Lançon, essentiellement dans ses rapports physiques ( »amoureux« ne peut s'appliquer ici) avec les femmes. Et pourtant on n'arrive pas à le haïr tout à fait. C'est d'ailleurs une des forces de ce livre : aucun des personnages n'est vraiment aimable, mais il est impossible de ne pas sentir en eux ( »méchants« y compris) cette part d'humanité qui empêche de s'en dissocier totalement.. Il n'y aura guère que quelques enfants victimes à être vraiment innocents.
L'action se passe à Marseille. Un Marseille de 2034, qui ne diffère guère du nôtre que par l'exacerbation de ses problèmes de surpopulation, chômage, pollution, SDF, ghettos, violence sociale, etc... Régulièrement, un ou des inconnus bombardent les véhicules du haut des passerelles surplombant l'autoroute de lourds fragments d'une sculpture de bronze. Nombreux accidents, nombreux morts. Pour renforcer ses équipes qui piétinent, la police fait appel à Serge Lançon, dont les rêves prémonitoires lui ont déjà été précieux dans le passé. On suit donc deux enquêtes, menées indépendamment et en parallèle. L'une, cartésienne, de l'inspectrice Canavese, dans les milieux de l'art moderne (que Borrelli semble bien connaître 1 et dont il brosse un tableau au vitriol), qui la mènera à la vérité, après avoir démasqué quelques monstres à beau visage. Et, surtout, celle de Lançon. Avec ses méthodes à lui. C'est à dire : sans méthode. Il erre, il attend l'intuition, progressant, cahin-caha, de rencontres en rencontres jusqu'à la découverte de l'assassin. Dont l'identité, d'ailleurs, ne surprendra pas vraiment. Ce n'est pas un problème. L'important, on le sait, n'est pas là. Car l'essentiel, c'est cette écriture crue mais sans complaisance, qui vous prend à la gorge, qui vous plonge le nez dans la noirceur de l'âme humaine ; et ces personnages, oui j'y reviens, qui vivent, souffrent et font souffrir, qui sont souvent risibles dans leurs petites faiblesses, humains et pourtant si inhumains (le plus « humain » étant, comme parfois chez Dick, une machine, plus précisément : un androïde).
Reste que Borrelli signe un roman de qualité, d'un genre rare, que l'on pourrait étiqueter « noir SF », même si la composante science-fictive est minoritaire, servant plus de décor que de moteur.
Noir, très noir...
Notes :
1. et pour cause, il est peintre et illustrateur (NDRC de Bifrost)
C'est sous la livrée du « roman noir » qu'est présenté ce polar situé à Marseille en 2034, qui clôt une trilogie, après L'Ombre du chat et Désordres. De fait, peu de choses distinguent le monde décrit du nôtre, malgré un androïde qui continue de participer à l'enquête une fois réduit à sa seule tête, un peu de mode future, et de brèves insistances sur onze millions de chômeurs, des légions de SDF, ou des émeutes dans les ghettos : la surpopulation et l'accumulation des niveaux d'habitation sont peu exploitées, les habitats de surface pourraient être remplacées par « nos » quartiers chics, et les mutants par des handicapés graves. Le mobile final de certains criminels est plus science-fictif, et relié à l'évolution du monde selon Borrelli, mais d'actuels pervers pourraient commettre les mêmes abominations, version très sombre de ce que racontait Raymond Macherot dans Spirou en 1964, avec Chaminou et le Khrompire... On pourrait ajouter que l'ironie sur l'art contemporain est parfois facile, et lasse après des polémiques récentes. Reste que ces enquêteurs paumés, ces brèves histoires de cul triste, cette déglingue sordide sont efficaces, que l'on s'attache aux personnages, et qu'on a du mal à abandonner ce pavé, qui flirte agréablement avec la SF, sans s'en réclamer explicitement mais sans la dénigrer. Ce qui n'est pas si mal.
Car pour ce troisième volet des enquêtes de Serge Lançon, qui peut se lire de façon tout-à-fait indépendante des précédents, Borrelli ne nous épargne guère. Pour lui, le futur sera moche ! Drogue, prostitution, pollution, violence... font partie du quotidien (mais, au fait, est-ce si différent de nos jours ?).
A côté de l'intrigue policière, l'un des intérêts majeurs du roman est l'épaisseur et la complexité des personnages, à commencer par Serge Lançon lui-même, personnage contradictoire qui nous apparaît parfois sympathique, mais souvent parfaitement ignoble, notamment dans ses relations avec les femmes. L'amour semble impossible dans ce futur cruel, et le sexe y est davantage vécu comme une lutte ou une domination que comme un accomplissement. Il faut dire que les femmes vues à travers les yeux de Lançon ne sont guère estimables, mais ceci n'excuse guère son comportement, qui dénote frustration et incapacité d'aimer : il se conduit en parfait salaud, mais n'en demeure pas moins le héros de ce drame.
Si l'on a le coeur bien accroché et que l'on surmonte la nausée initiale, si l'on n'est pas heurté par un vocabulaire dont la crudité se justifie par le contexte, Borrelli nous emmène suivre deux enquêtes parallèles, toutes aussi passionnantes, complexes et hallucinantes l'une que l'autre : l'une avec Canavese, flic pas tout-à-fait net non plus, dans les milieux aisés de l'art contemporain, l'autre avec Lançon, à la poursuite d'un mystérieux individu dont nous devrons suivre les traces et reconstituer par bribes toute la vie, jusque dans les faits les plus sordides, avant de pouvoir l'identifier.
A partir de ce qui semble n'être qu'un banal fait divers, l'auteur nous conduit ainsi sans un temps mort vers de bien curieuses révélations, avec une tension dramatique qui va croissante au fil du roman, et avec un style incisif et percutant d'une redoutable efficacité. Les véritables monstres ne sont pas forcément où l'on croit : en fait, ils sont partout...
Outre le décor d'un Marseille futuriste digne de Blade runner, Borrelli utilise d'autres thèmes de la SF qui ne sont pas sans évoquer une influence de Philip K. Dick : les pouvoirs paranormaux de Serge Lançon bien sûr, mais aussi un androïde qui ignore sa nature et qui se trouve littéralement réduit à l'état de tête pensante, en demeurant peut-être le personnage le plus humain du récit...
Un très, très grand roman, qui peut rebuter le lecteur délicat mais qui comblera l'amateur de polar noir - très noir - ou l'amateur d'ambiance futuriste sombre, tout comme l'amateur de grandes tragédies humaines.