Greg EGAN Titre original : Distress, 1995 Première parution : Millennium, 1995 Traduction de Bernard SIGAUD
Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Dépôt légal : septembre 1997 Première édition Roman, 408 pages, catégorie / prix : 149 FF ISBN : 2-221-08439-X Genre : Science-Fiction
Sur l'île artificielle d'Anarchia mise au ban des nations pour ses détournements de brevets génétiques, se prépare un colloque de physiciens. Andrew Worth, journaliste à la caméra greffée sur le cerveau, a intrigué pour le couvrir, dans l'espoir d'un reportage paisible.
Voire. Car la physique la plus fondamentale a ses retombées explosives.
Les physiciens réunis promettent de révéler l'énigme de l'univers : la Théorie du Tout, qui résumera l'histoire de l'univers, décrira l'infiniment petit, et signalera, selon certains, le commencement de fin de la science.
Vers Anarchia convergent les Cultes de l'Ignorance qui abondent en ce milieu du XXIe siècle et qui tiennent pour impie et digne du bûcher toute révélation sur le secret ultime de la Création.
La plus secrète des sectes a pris pour cible Violet Mosala, plus jeune prix Nobel de l'histoire.
Qui a décidé de son côté de peser de toute sa gloire pour obtenir la levée de l'embargo que subit Anarchia. Ce qui irrite les Puissances économiques.
Il n'en faut pas plus pour que l'enfer se déchaîne et que Worth se trouve involontairement transformé en protecteur de Violet, façon James Bond.
Greg Egan, l'étoile montante de la science-fiction, brosse ici un tableau impressionnant de la société, de la science, des superstitions et des contradictions du siècle prochain.
Bientôt le nôtre. A découvrir avant le IIIe millénaire.
Critiques
Sur l'île artificielle d'Anarchia, située en plein Océan pacifique, se déroule un colloque durant lequel doit être présentée la Théorie du Tout, censée décrire et expliquer l'Univers à l'aide d'outils mathématiques. Un journaliste scientifique, envoyé pour couvrir l'événement, va se retrouver mêlé à une intrigue d'une grande complexité, riche en considérations philosophiques et métaphysiques, qui débouche, comme toujours chez Greg Egan, sur une vision mécaniste, une sorte de « behaviorisme quantique » aux implications vertigineuses.
Les quelques lignes qui précèdent le laissent sans doute deviner, il est impossible de résumer un tel livre, où chaque phrase, ou presque, possède une importance. Je ne m'avancerai pas non plus à essayer de donner une idée de la surprenante Théorie du Tout, par crainte d'en trahir le sens. L'énigme de l'Univers atteint par endroits un tel niveau d'abstraction que l'on peut se demander si l'on est encore en présence d'un roman, ou de quelque ovni scientifico-fictionnel.
Incontestablement, Greg Egan a su ouvrir une nouvelle voie dans le domaine de la hard science. Comme les écrivains gonzo évoqués dans la rubrique des « Rebonds » de notre dernier numéro, il fait feu de tout bois pour créer une véritable pyrotechnie imaginative, mais sans jamais s'écarter du cadre d'une stricte rationalité ; point de transcendance chez cet auteur 1. J'avoue sans honte qu'une ou deux pages — au moins — du livre me sont largement passées au-dessus de la tête, malgré plusieurs relectures attentives ; cela dit, cela ne pose à mon sens aucun problème dans le cadre d'une œuvre de S-F, où l'on est prié de laisser son incrédulité au vestiaire. La hard science est un domaine où le lecteur, faute de posséder les connaissances nécessaires, se retrouve tôt ou tard obligé d'admettre que l'auteur a raison, point à la ligne. Chez Greg Egan, ce phénomène devient paroxystique, ce qui me paraît typique d'une attitude avant-gardiste.
À mon sens, toute littérature, tout courant de pensée a besoin d'une avant-garde pour ne point péricliter, et il est naturel que celle-ci ait recours à l'excès pour affirmer sa spécificité. L'exemple des cyberpunks est présent dans toutes les mémoires ; nul ne saurait aujourd'hui contester l'apport des neuromantiques à la thématique S-F. Et, bien que Greg Egan constitue à l'évidence une nouvelle tendance à lui tout seul, on peut néanmoins le rattacher au bouillonnement imaginatif agitant depuis quelques années la revue britannique Interzone, et plus généralement la S-F d'outre-Manche — bouillonnement qui n'est pas sans rappeler celui qui s'est emparé durant les années 60 d'un autre magazine insulaire, je veux bien entendu parler du New Worlds de Michael Moorcock. Au-delà des différences entre les acteurs de ce mouvement — et du fait qu'ils s'inscrivent dans une optique littéraire, alors qu'Egan n'accorde que peu d'importance à la forme — , tous partagent en effet le désir d'expérimenter de nouvelles manières d'aborder la S-F, de faire briller d'autres facettes du genre. Pour ne citer qu'un exemple, on pourrait être tenté d'opposer le matérialisme et le souci de plausibilité de Greg Egan aux envolées psychédéliques de Jeff Noon dans Vurt (chez Flammarion), alors qu'une mise en parallèle des deux démarches révèle une parenté plus proche que l'on pourrait le penser. Chez ces deux auteurs — ainsi que, par exemple, chez Paul J. McAuley, Eric Brown ou encore Iain M. Banks — , on trouve avant tout le désir d'aller plus loin, de repousser limites et possibilités du genre. Bien qu'Australien, Egan participe à cette formidable agitation de neurones, et si ses pairs admirent ses excès sans chercher à les imiter, nul doute qu'ils sont en train d'en tirer la leçon, et que l'influence de cet auteur est appelée à grandir au cours des années à venir.
Notes :
1. Plutôt que de les paraphraser, je vous renvoie à l'interview de Greg Egan, ainsi qu'à l'article que lui consacre Sylvie Denis dans Galaxies n°6.
2055. Pour célébrer le centenaire de la mort d'Einstein, la nation d'Anarchia — une île artificielle du Pacifique créée par des biologistes rebelles — accueille une conférence de physique où Violet Mosala, un des plus grands savants du XXIe siècle, compte exposer sa Théorie du Tout, censée expliquer la nature de l'univers. Saisissant l'occasion de faire un reportage paisible qui le changera de son travail habituel, Andrew North intrigue pour se rendre à Anarchia et couvrir l'événement. C'est là que les ennuis commencent, car l'annonce de la découverte de Mosala attire sur l'île toutes sortes de sectes qui détournent ou récupèrent la science pour la condamner ou l'asservir à leurs buts. Dès son arrivée, North apprend que la vie de Mosala est menacée, et il comprend que son expérience ne l'a guère préparé à la crise qui s'annonce, une crise à la fois économique, politique et même métaphysique...
On retrouve dans ce roman certains des thèmes de prédilection d'Egan, qui sont ici orchestrés de main de maître, et L'Enigme de l'univers représente en quelque sorte un aboutissement. L'auteur d'Axiomatique, on le sait, est non seulement passionné par les récents développements de la science, mais en outre profondément préoccupé par les retentissements qu'ils auront à plus ou moins long terme sur notre existence. De bien des façons, L'Enigme de l'univers représente une sorte d'état des lieux du siècle prochain : quelle sera l'évolution des sociétés, se demande Egan, une fois que les découvertes fondamentales de cette fin de siècle auront été assimilées par les humains ? Fidèle à sa manière, il nous décrit un futur proche où la science a tout bouleversé, que ce soit sur le plan du quotidien (le télétravail a transformé certains quartiers d'affaires en champ de ruines), des mentalités (la biologie vous permet d'avoir un organisme reflétant vos orientations affectives, et l'on assiste à l'avènement des asexes), et bien entendu de la métaphysique.
Il n'est pas innocent à cet égard que le livre soit raconté à la première personne. Comme souvent chez Egan, North est un personnage plutôt déboussolé, et son évolution — on pourrait même dire : sa prise de conscience — apparente L'Enigme de l'univers au roman d'apprentissage. Mais ce livre est aussi à sa manière une utopie, dans la description du fonctionnement d'Anarchia (à cet égard, le chapitre 13 est un morceau de bravoure et un vrai bonheur de lecture), et avant tout — cela n'étonnera personne — un très beau roman de science-fiction. Car son thème principal est bien celui de la connaissance, outil indispensable selon Egan à la vie en ce bas monde, et de sa communication. Et c'est là que se situe sa véritable réussite, car la révélation de la Théorie du Tout élaborée par Violet Mosala détermine jusqu'à la structure du livre, dont la conclusion (que nous nous garderons de dévoiler), est une des plus belles percées conceptuelles que nous ait offert le genre.
Foisonnant, passionnant, d'une logique rigoureuse qui n'exclut pas pour autant le lyrisme et le suspense, L'Enigme de l'univers est tout simplement indispensable.
Andrew Worth, journaliste scientifique, davantage spécialisé dans la biologie, se rend sur l'île artificielle d'Anarchia, où se déroule le colloque Einstein consacré à la Théorie du Tout, qui cherche à écrire l'équation ultime définissant l'univers. Mais de nombreuses sectes s'opposent à ce projet, jugé impie parce qu'il tente de percer le mystère de la Création ou, pour les Anthrocosmologistes, tenants d'une théorie participatoire de l'univers où celui-ci est défini par l'observateur, parce qu'ils craignent que celui qui en donne une Clé, parmi les diverses possibles, définisse un univers qu'ils refusent. À eux donc de favoriser le tenant d'une théorie plutôt que d'une autre, quitte à éliminer les physiciens qu'ils récusent. Violet Mosala, « favorite » du colloque, est l'une d'elles, de sorte qu'Andrew Worth, de reporter, se transforme progressivement en enquêteur chargé de sa protection.
Au-delà de l'intrigue, le roman présente l'impact que les nouvelles applications scientifiques ont eu sur la société, constituée d' »asexes » androgynes, d'individus génétiquement modifiés d'autant plus dangereux qu'ils se sont immunisés contre les virus pour lancer sur l'humanité des maladies qui leur assureraient, à terme, la suprématie. L'écologie de l'île artificielle constitue également un morceau de bravoure illustrant les progrès de la génétique. La société anarchiste qui l'a fabriquée, soumise à un embargo sévère, se révèle tout aussi intéressante dans son fonctionnement, malgré son apparente fragilité.
Malgré certains passages ardus pour les lecteurs peu au fait des théories sur la nature de l'univers (mais que la magistrale préface de Gérard Klein explicite en partie), ce roman a le mérite de donner une vision synthétique très crédible de la science et de la société du XXIe siècle, tout en débouchant sur des conclusions métaphysiques proches de la magie ou de l'irrationnel, mais qui semblent inséparables d'une Théorie du Tout.
La réédition en poche ne vous laisse plus aucune excuse de n'avoir pas lu ce chef d'œuvre de Greg Egan.
Le Saint Graal de la physique est la Théorie du Tout, qui réconciliera relativité générale et mécanique quantique. En 2055, à l’occasion du centenaire du décès d’Einstein, toute la planète retient son souffle : un colloque de physiciens a lieu sur Anarchia, île artificielle flottant au milieu du Pacifique, utopie scientifique autogérée et indépendante, une « anarchie informée ». Or, Violet Mosala, 27 ans, plus jeune lauréate du prix Nobel de physique, se prépare à y annoncer ses découvertes, a priori majeures et à même de changer la donne scientifique. Journaliste scientifique, Andrew Worth postule pour couvrir le colloque et interviewer Mosala en vue d’un documentaire. En ce milieu de xxi e siècle, la science a fait d’énormes progrès : il est possible de ramener des morts à la vie pendant de brefs instants, les caméras sont intégrées au corps humain et le cerveau est dopé par des logiciels. La société a connu de fortes évolutions, l’une d’elle, et pas la moindre, étant l’apparition de cinq nouveaux genres : de l’über-sexualité des ultramâles/-femmes aux asexes dépourvus d’organes génitaux. Et puis il y a le D-stress, cette maladie mentale qui se propage sans que l’on comprenne sa réelle nature. Sur Anarchia, la situation est passablement chaotique : le progrès a son revers, sous la forme de cultes obscurantistes qui refusent que Violet Mosala dévoile les ultimes secrets de l’Univers. Malgré lui, Worth se retrouve pris au cœur des événements se déroulant sur l’île et devient le protecteur involontaire de Mosala. Mais n’est-il pas déjà trop tard ?
Pendant thématique à Isolation, L’Énigme de l’univers replace lui aussi la subjectivité humaine au cœur de la réalité et de sa texture. Roman foisonnant, ambitieux, parfois ardu à suivre dans ses développements scientifiques, il s’avère en fin de compte vertigineux : Egan jongle adroitement avec la physique quantique et la philosophie, la sociologie et les biotechnologies. À ce titre, la description de l’île d’Anar-chia au cœur du livre tient lieu de morceau de bravoure. L’auteur n’en oublie pas pour autant les fondamentaux narratifs, et, au travers du parcours mouvementé d’Andrew Worth, immerge son lecteur dans ce xxie siècle instable et frénétique – avec lequel notre présent commence déjà à partager quelques similitudes – au fil d’un récit qui tient tout à la fois du roman d’apprentissage et d’une quête métaphysique prenant soin de toujours garder les pieds fermement ancrés au sol (la mystique n’a pas cours chez Egan). Un chef-d’œuvre intelligent et complexe célébrant la connaissance
Erwann PERCHOC Première parution : 1/10/2017 Bifrost 88 Mise en ligne le : 13/3/2023