C'est un bien étrange équipage que celui de la Baleinière Lunglance. Son capitaine, Nils Desperandum, n'a qu'une idée en tête : savoir quels monstres hantent l'océan de poussière dont est entièrement couverte la planète Nullaqua. Son cuistot, John Newhouse, ne s'intéresse quand à lui qu'à la baleine des sables, dont l'huile donne une drogue pourvoyeuse de rêves et d'hallucinations. Mais tandis que Desperandum pousuit obstinément sa quête, Newhouse tombe sous le coup d'une autre dépendance : celle de sa passion pour la Vigie Dalusa, la femme chauve-souris dont l'étrange beauté l'a fait chavirer et qui lui rendrait volontier son amour... Si elle n'était allergique à la peau humaine... Un roman d'aventure tout imprénié de réminiscences (Moby Dick, Vingt mille lieues sous les mers, Dune) mais transformées par l'alchimie d'une imagination neuve et brillante.
L'auteur
Bruce Sterling, né en 1954 et résidant à Austin, Texas, signe ici son premier roman. Il est devenu depuis l'un des chefs de file du mouvement « cyberpunk » auquel il a consacré l'anthologie-manifeste Mozart en verres miroirs, publiée dans la présente collection en compagnie de ses quatre autres romans et d'un recueil de ses nouvelles, Crystal express.
On comprend tout de suite pourquoi H. Ellison a aimé ce roman. Non en ce qu'il s'agit d'une imitation ; mais parce que d'emblée, cet auteur — dont j'ignore tout, à ma honte, sauf ce qui figure sur la jaquette — sait imposer d'emblée, avec une EVIDENCE que seuls de grands auteurs comme Van Vogt ou Herbert (dans des genres et des époques différentes) savent atteindre. Certes, c'est un premier roman, d'où des maladresses. Surtout au niveau de l'intrigue (encore un schéma linéaire de quête...) mais cela permet au lecteur moyen de n'être pas dérouté. Ses qualités sont ailleurs, je l'ai dit. Cette planète Nullaqua prend une vie insoupçonnée, par touches, par accrocs, tout au long du récit. A la fin, on en sait assez pour aimer en savoir plus, mais l'auteur nous maintient adroitement dans une frustration salutaire. De même le personnage du capitaine avec sa manie du mesurable. Je ne suis pas certain que Moby Dick soit une référence parlante pour le saisir, malgré l'analogie (que le titre français souligne trop). Ce personnage — au nom secret — est hanté par deux univers. Après la drogue, dont il est l'inventeur et dont il a fait le tour, c'est la « rationalité » dont le fantôme l'habite, d'une manière à la fois pathétique et dérisoire. Imaginez T. Leary saisi par la passion démente de mesurer la hauteur de tous les nuages... Quant aux rapports fascinants entre le héros et Dalusa, la femme-monstre (aussi bien Sphinx que Harpie ou Chimère, mais avec une curieuse malédiction) ils relèvent de la très petite série des chefs-d'œuvre qu'a donnés la SF dans le domaine des amours véritablement autres. (C'est, à mon, avis, cet aspect qui a dû attirer l'attention d'Ellison sur ce texte, par ailleurs remarquable). Depuis Varley et Mac Intyre, je n'avais rien lu d'aussi étrangement beau, chez les auteurs récents. Inutile de dire que j'attends avec impatience de lire autre chose de ce diable d'auteur.