Le défaut majeur de nombre d'ouvrages de la collection « Angoisse » est la recherche de l'impression de terreur par l'accumulation et l'exagération des détails horrifiants. Le résultat ? À côté de réussites comme « Les pourvoyeurs », un lot d'ouvrages capables sans doute de susciter un frisson nerveux, mais certainement pas de susciter l'angoisse, l'outrance des moyens empêchant l'apparition de ce malaise intellectuel qui amène parfois le lecteur à douter de la réalité. L'épouvante, comme le fantastique, a ses lois, son cadre de crédibilité, au moins romanesque. Il est bien malaisé d'en cerner les limites, tout ce domaine étant avant tout affaire de talent et de mesure. Dans « Complexes », Marc Agapit a choisi la vraisemblance : son récit reste de ceux qui sont parfaitement possibles, que nous pourrions lire demain dans la colonne des faits divers sans en être surpris.
Un jeune garçon de douze ans découvre que son père se mue en assassin, ceci à la suite d'une audacieuse opération chirurgicale. Afin de sauver le cerveau du génial chirurgien on le greffa dans le corps d'un condamné à mort. Mais la mémoire n'est pas le seul fait du cerveau, mais de toutes les cellules du corps, et la personnalité du criminel sourd lentement, enveloppe et étouffe celle du père. Nous sommes en pleine SF, mais la suite du roman va tendre à rationaliser le cauchemar vécu par l'enfant, à le ramener à la réalité courante, et plus qu'un roman fantastique nous avons un suspense impitoyable, le démontage d'un crime parfait dont le but est d'acculer l'enfant à la folie ou au suicide.
Le risque majeur d'une telle entreprise était de faire fi de la psychologie, comme dans tant d'ouvrages de fantastique « expliqué ». Ce n'est pas le cas ici. Le personnage central, si criminel, si monstrueux soit-il, ne l'est pas plus que tant d'assassins dont la carrière finit aux assises. Moins monstrueux qu'une Hélène Jégado ou un Hartman, par exemple. Et sa haine patiente couvant lentement dans l'ombre n'a rien de démesuré. Tout dans le comportement des personnages, comme dans les moyens mis en œuvre, reste plausible, Du coup nous pouvons entrer dans l'action, participer à l'angoisse de l'enfant se heurtant au monde des adultes qui se refusent à le croire, seul en face du péril, et doutant de sa raison.
Tout comme dans « Greffe mortelle », Agapit a fait conter le roman par l'enfant. Mais la réussite est moins totale, car parfois des phrases, des réflexions sont incompatibles avec l'âge du héros. Ces légers détails n'empêchent pas « Complexes » d'être un des meilleurs romans de la collection « Angoisse », bien entendu dans le cadre de cette dernière.
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/4/1962 dans Fiction 101
Mise en ligne le : 30/12/2024