Jack McDevitt nous a habitués au scénario : l'humanité, au cours de son expansion dans l'espace, trouve une multitude de traces de civilisations extra-terrestres avancées, mais celles-ci semblent avoir sombré corps et biens dans l'oubli de l'espace, jusqu'à ce que, par hasard, on tombe sur un artefact ou un indice qui va ouvrir une nouvelle ère pour l'histoire de l'homme... C'est le thème d'Anciens rivages, de Deepsix, des Machines de Dieux et, de manière générale, de presque tous les romans des aventures de Priscilla Hutchins.
Celui-ci ne fait pas exception à la règle. Nous sommes aux alentours de 2220. L'humanité s'est aventurée dans les recoins les plus éloignés de la galaxie, exploré des mondes nouveaux et étranges, découvert de nouvelles formes de vie et... ben non, justement, pas de nouvelles civilisations. A l'exception d'une espèce dont le QI doit avoisiner celui de la pince à sucre, rien, sinon des ruines, des artefacts, des preuves qu'il a existé, jadis, des êtres intelligents et évolués. Mais un jour, un vaisseau capte par hasard un signal isolé, venu de nulle part et allant Dieu sait où, signal bientôt confirmé et localisé par une deuxième réception.
Jusque-là, rien de bien exaltant. Si les choses sortent quelque peu du cadre de la classique aventure de l'exploration spatiale, c'est que le pistage du signal ne va pas s'effectuer sous la houlette d'archéologues professionnels ou d'explorateurs chevronnés à la Star Trek, mais sous l'égide d'une obscure « Société du Contact », une bande d'illuminés traumatisés par E.T. et suffisamment riches pour affréter une navette grand luxe et s'offrir les services de la capitaine Priscilla Hutchins, qui songeait sérieusement à prendre sa retraite après un ultime sauvetage héroïque et périlleux. L'essentiel de l'aventure de nos doux dingues va alors consister à remonter le signal jusqu'à sa source, en commettant bourde sur bourde et en faisant la sourde oreille aux conseils avisés de ladite Priscilla.
Ce livre se lit bien, mais, soyons honnêtes, il ne brille pas par son originalité ni par sa cohérence. Les personnages, tout d'abord, sont extrêmement stéréotypés et souvent ridicules. Un exemple ? Nos explorateurs en herbe, dont le principal talent consiste à se faire tuer, ne semblent jamais apprendre. Leurs camarades trouvent la mort les uns après les autres, au rythme approximatif d'un par étape, mais ils foncent toujours tête baissée à la moindre découverte, sans jamais envisager d'arrêter les dégâts. Le capitaine Hutchins râle en permanence contre ces amateurs qui ne prennent pas la plus élémentaire des précautions, mais elle se montre incapable de leur résister et finit même par se montrer la pire du lot. Les plus indulgents diront sans doute que c'est là le signe de personnages authentiques, emportés par leur passion et capables, comme vous et moi, de commettre des erreurs plus grosses qu'eux, mais la vérité est qu'ils manquent surtout singulièrement de profondeur et de finesse psychologique.
Et l'on pourrait en dire de même pour le scénario. McDevitt nous relate successivement les étapes précédant la découverte finale du Chindi, un gigantesque vaisseau alien nommé d'après le terme Navajo désignant le fantôme, la partie malsaine des morts qui revient hanter les vivants. Cela l'oblige à faire sauter les protagonistes de planète en planète, sans jamais pouvoir en approfondir les promesses. N'est-il pas ridicule, par exemple, qu'une bande d'illuminés à la poursuite des aliens abandonne tour à tour trois preuves irréfutables de leur existence (dont une civilisation bien vivante et d'une grande complexité) pour traquer un signal lointain et abstrait ? Et d'ailleurs, n'est-il pas bien étrange qu'ils en trouvent aussi facilement, alors que l'Académie, elle, échoue lamentablement ? Certes, McDevitt nous en donne une explication, mais on ne peut s'empêcher de trouver peu crédible cette idée d'amateurs friqués explorant l'univers et réussissant (certes au prix de leur vie) là où les archéologues professionnels et les scientifiques brillent par leur incompétence.
Qu'en conclure ? Chindi n'est pas à proprement parler un mauvais livre, au sens où il comporte une multitude de pistes et de situations originales qui auraient mérité d'être exploitées : le conflit entre une science désargentée et des nantis enthousiastes mais irresponsables ; la peur d'être seul dans l'univers et la recherche effrénée des Autres ; le choc culturel face à l'altérité absolue d'une civilisation qui, extérieurement, incarne les idéaux et les rêves de l'humanité, mais se révèle finalement criminelle et cruelle. On pourrait presque, à certains moments, croire que McDevitt s'amuse à pasticher une aventure d'exploration spatiale à la Star Trek, pleine d'espoirs, de questionnements et de péripéties imprévues. Mais de manière générale, et en dépit d'une écriture dynamique et fluide, qui le rend agréable à lire, ce roman ne tient pas ses promesses et se révèle extrêmement décevant.
Nathalie LABROUSSE (lui écrire)
Première parution : 18/2/2005 nooSFere