A l'aéroport étrangement désert de Roissy-en-France, quinze personnes s'embarquent dans un charter. Destination : Madrapour.

     Touristes cosmopolites, hommes d'affaires ou personnages douteux vont vivre ensemble dans une première classe dont les fauteuils sont disposés en rond.

     L'hôtesse fait une annonce tronquée : c'est assez pour déclencher chez les passagers une inquiétude qui se change en angoisse quand deux Hindous, l'arme au poing, menacent d'exécuter les otages un à un, si l'avion n'atterrit pas. Mais on s'aperçoit que l'avion ne comporte pas d'équipage et qu'il est dirigé de la terre. Alors apparaît dans la destinée des « passagers » un personnage invisible et tout puissant : le Sol.

     Les Hindous débarqués dans un désert glacial, l'avion reprend l'air sans qu'on sache désormais où il va. Cependant, dans le cercle des voyageurs, la terreur de l'avenir exaspère les passions. La plus émouvante sera celle de Sergius, le narrateur, pour l'hôtesse.

     A la nuit tombante, l'avion atterrit de nouveau dans un site glacial et dénarque un passager, Bouchoix, dont on ne sait s'il est mort ou moribond. Sergius, à son tour, se sent dépérir. Le Sol, dont on entend enfin la voix, commande à l'hôtesse de distribuer des dragées d'Oniril, et les passagers s'enfoncent dans une euphorie rassurante. Sergius, dont les forces déclinent au fur et à mesure que le jour baisse, comprend qu'à la nuit tombante, il sera lui aussi « débarqué ». Il envisage avec sérénité la fin de son passage. Il sent, et le lecteur avec lui, que ses compagnons ne tarderont pas à le suivre.

     Tournant le dos à la science-fiction, Robert Merle imagine un espace clos où chacun des personnages, en route vers un Madrapour inacessible, porte avec lui toutes les obsessions de notre époque mais sous la menace d'un destin qui se referme peu à peu sur eux. Admirable suspense, soutenu de bout en bout, certes, mais qui nourrit une réflexion sur « la roue du temps » à laquelle aucun être humain n'échappe.

     Inquiet, dérouté, monsieur Sergius, interprète à l'ONU, a de quoi l'être en prenant ce charter pour Madrapour : l'aéroport de Roissy-en-France était totalement désert à son arrivée ; les sièges de la première classe sont inconfortablement installés en cercle ; l'hôtesse fait une annonce tronquée ; un désagréable passager américain provoque tout le monde et semble se vanter d'être un agent secret... Le tension monte rapidement, jusqu'au moment où deux passagers hindous, l'arme au poing, tentent de détourner l'avion. Les passagers apprennent alors avec stupeur, ou panique, c'est selon les caractères, que le charter ne comporte pas d'équipage et qu'il semble être dirigé depuis la terre.

     Commence alors un vol sans destination... Madrapour existe-t-il seulement ?

     Beaucoup se mettent à en douter. Que veut le Sol ? Dans le cercle des voyageurs, toutes les émotions, toutes les passions, s'exacerbent, lorsqu'ils se sentent peu à peu dépérir, au fil d'escales glaciales.

     Initiation, voyage vers la mort, quelle est la réalité ?

     Admirable Robert Merle, qui a notamment la capacité incroyable de changer du tout au tout d'un ouvrage à un autre, tout en demeurantd'une égale excellence : thriller/SF d'Un animal doué de raison, pièce de théâtre, saga historique pleine d'humour et d'érudition (Fortune de France), science-fiction post-cataclysmique (Malevil), essais sur Oscar Wilde ou sur la vie dans un sous-marin, traduction des Voyages de Gulliver ; l'œuvre de Merle ne se cerne pas, elle surprend à chaque fois.

     Il est particulièrement agréable que soit enfin réédité Madrapour, un roman étrange qui est sans doute l'un des plus beaux de l'auteur, et en tout cas un véritable exercice de virtuosité littéraire : voilà un huis-clos lourdement chargé de symboles, une navigation entre fantastique et science-fiction, une situation qui est quasiment celle d'une pièce de théâtre, un cadre qui devrait être d'une froideur et d'un pessimisme terrifiant... Et cependant, Merle parvient à maîtriser un suspense terrible d'un bout à l'autre de son récit, il construit des personnages d'une remarquable justesse, nous passionne pour les problèmes humains les plus petits avec une formidable subtilité, n'oublie jamais la chaleur et l'humour même au sein d'une situation particulièrement glaçante. le lecteur est dans Madrapour comme un jouet entre les mains de Merle, qui sait jouer de tous les sentiments que l'on peut ressentir en lisant, comme l'on jouerait d'un instrument. Cling, une corde pincée, le lecteur est glacé d'effroi, cling, une autre corde, le lecteur s'amuse d'une conversation, cling, le lecteur est poussé à rester accroché à son livre, pour savoir ce qu'il y a, après...

     Madrapour est une œuvre incroyablement bien équilibrée, un roman unique et fascinant.