Titre original : Redshift, 2001 Traduction de Michel DEMUTH
FLAMMARION
(Paris, France), coll. Imagine n° (50) Dépôt légal : novembre 2004 Première édition Anthologie, 588 pages, catégorie / prix : 25 € ISBN : 2-08-068609-7 Genre : Science-Fiction
Sous-titré "Trente nouvelles pour redéfinir l'imaginaire de demain".
Quatrième de couverture
Journaliste, éditeur, critique, écrivain, Al Sarrantonio est un grand spécialiste des littératures de genre, auxquelles il a consacré de nombreux ouvrages. Après avoir dressé un panorama du meilleur de la littérature d'effroi dans 999 (Albin Michel), il propose ici un florilège des œuvres des meilleurs représentants de la science-fiction et du fantastique d'aujourd'hui. Et il compte bien éditer une anthologie incontournable de fantasy prochainement..
Il y a plusieurs grandes dates dans l'histoire de la science-fiction et du fantastique, parmi lesquelles des moments-clés où ces genres se sont avérés presque trop ambitieux et osés pour leur époque. Ainsi, par exemple, Michael Moorcock, rédacteur en chef de la revue britannique New Worlds, ou Harlan Ellison, écrivain et anthologiste qui a publié le manifeste-brulôt Dangereuses Visions en 1967, ont fait de ces créations « innocentes », et souvent de pur divertissement, une littérature brisant les tabous, militante, engagée, prête à investir tous les champs de la réalité, de l'art, de la science et de l'analyse.
La période s'y prêtait — les années soixante furent le théâtre de nombreuses mutations dans tous les domaines créatifs — , mais les nouvelles barrières à abattre, les nouveaux territoires à défricher, sont bien différents aujourd'hui. C'est pour cela que Al Sarrantonio a demandé à trente des plus fameux écrivains anglo-saxons contemporains de relever le défi et d'écrire des nouvelles susceptibles de marquer de leur empreinte la science-fiction et le fantastique de ces premières années du nouveau siècle. Dan Simmons, Stephen Baxter, Joe Haldeman, Michael Moorcock lui-même et 26 autres écrivains, détenteurs de 7 prix Hugo, de 7 prix Nebula, de 7 World Fantasy Awards, de 8 Bram Stoker Awards et de 7 Joseph Campbell Awards, se sont prêtés au jeu, pour un résultat qui s'impose comme la somme définitive du meilleur de la création imaginaire d'aujourd'hui.
Aujourd'hui, c'est fête. Je viens de recevoir un joli paquet des éditions Flammarion. Ça s'appelle Tracés du vertige, c'est lourd, c'est vert, plutôt beau (comme Hulk). Une bonne grosse brique de SF américaine comme nous en offraient jadis les tontons (Harlan, Michael). La collection Imagine voudrait-elle finir sur une juste note ? Je m'approprie fébrilement la bête, j'en caresse la tranche, j'en hume un peu l'odeur, je parcoure le sommaire : rien que des stars. La quatrième de couverture annonce la couleur : « Dan Simmons, Stephen Baxter, Joe Haldeman, Michael Moorcock lui-même et 26 autres écrivains, détenteurs de 7 prix Hugo, de 7 prix Nebula, de 7 World Fantasy Awards, de 8 Bram Stoker Awards et de 7 John Campbell Awards ». Avec de tels représentants, ça va puiser (me dis-je). Au hasard, j'attaque « La construction » de Le Guin ; après 5 minutes, premier verdict : entame correcte, même si — venant d'Ursula — on s'attend à mieux, et à plus. Faut dire que je suis un énorme fan d'Ursula. Eu égard à sa carrière, je pare derechef ce texte somme toute mineur d'un voile de complaisance attendrie. Bon. Reprenons par le commencement, c'est-à-dire par l'introduction. L'anthologiste s'y présente avec avantage. Al Sarrantonio est journaliste, éditeur, critique, écrivain : il a consacré de nombreux ouvrages aux littératures de genre (voir 999 son antho sur la littérature d'effroi aux éditions Albin Michel), c'est un spécialiste, on a bien compris. Pour qu'on comprenne mieux, il s'est attelé à la composition du présent recueil, constitué de 30 nouvelles inédites arrachées au gotha de la SF anglo-saxonne. Sa mission ? Définir les contours de l'imaginaire de demain. Ce moderne panorama est placé sous le patronage de l'iconoclaste Moorcock et de l'agitateur de service Harlan Ellison, auquel il rend un vibrant hommage. Et Sarrantonio de conclure son exercice d'autosatisfaction par une affirmation pétaradante : son Tracés du vertige est la meilleure anthologie de nouvelles originales depuis Dangereuses visions. Tout simplement. Quand un homme et un livre sont aussi incontournables, on ne peut passer à côté. Lapalisse n'aurait pas dit autrement. Je plonge donc dans la brique. Le récit inaugural, signé Dan Simmons, raconte l'ascension du K2 par une équipe composée d'humains et d'aliens. Constat n°2 : c'est efficace et distrayant, donc réussi. Mais ça n'apporte rien de nouveau au genre. À ce point-là tout critique éclairé aurait dû en tirer un supplément de vigilance. Un égarement temporaire m'empêche de discerner les signes avant-coureurs de la principale faiblesse dont on peut charger cette antho... (j'en reparlerai plus tard). Les nouvelles s'enchaînent, inégales. Il y en a pour tous les goûts. Haldeman et son serial killer se plantent dans les grandes largeurs ; les autres stars s'en tirent mieux. Moorcock, Disch, Baxter, Di Filippo sont égaux à eux-mêmes. Benford livre un hommage amusé aux astronomes en herbe dans « Anomalies ». Clin d'oeil du trop rare Gene Wolfe au trop rare Sheckley, avec « Point de vue ». Une antho qui ambitionne de « briser les tabous », d'abattre les barrières de la modernité, de défricher de nouveaux territoires, doit aussi se nourrir d'imaginations nouvelles, de talents pas encore révélés : bref, de faire naître une génération d'écrivains prêts à foutre le feu. On retiendra à cet égard la première incursion SF de David Morrell, dont le poignant récit dénoue subtilement le thème du conflit intergénérationnel par la grâce d'une avancée majeure de la science médicale (la maîtrise de la cryogénie). Là où le bât blesse, c'est que ce texte est quasiment la seule surprise de l'antho. Le reste laisse sur la rétine une vague impression de déjà-lu. Pour sympas qu'elles soient, beaucoup de nouvelles se contentent de creuser les vieilles ornières. De fait, on repasse le couvert chez la collectionneuse de papillons mise en scène (joliment d'ailleurs) par Elizabeth Hand dans « Cleopatra Brimstone » ; chez le drôle de zèbre de Michael Marshall Smith (« Plan double » : un homme filme tous ses ébats sexuels qu'il remonte ensuite en vidéo, jusqu'au jour où il commence à disparaître de ses cassettes — à mettre en parallèle avec le récent et étrange « L'autre comme moi » de Saramago) ; chez Turtledove où le motif du dragon n'a rien de SF ni d'ailleurs de très novateur. Symptomatique de ce qu'est devenue la SF (à quelques exceptions près) aujourd'hui : un genre efficace mais immobile. Sarrantonio nous fait plusieurs fois le même type de confidence : tout ça aurait pu être écrit au cours des 40 dernières années. Confession curieuse, voire gênante, quand on s'affirme résolument tourné vers l'avant ; on a jamais vu une œuvre destinée à « redéfinir l'imaginaire de demain » (relisez le sous-titre...) tirer autant de référents du passé.
Conclusion ? Une brique honnête, des textes coulants écrits par des gens qui savent ce qu'attendent les lecteurs ; mais rien d'inoubliable. On reste sceptique quant à la portée réelle de la chose. Al Sarrantonio a eu les yeux plus grands que le ventre : son antho qui voulait être plus grosse que le bœuf peine en réalité à s'extraire du commun. Et en tout cas n'a pas l'envergure pour endosser le costard de « la meilleure des vingt-cinq dernières années ».
Sous-titré Trente Nouvelles pour redéfinir l'imaginaire de demain, cette anthologie se définit comme l'équivalent contemporain des Dangereuses Visions de Harlan Ellison qui éclatèrent en 1967 comme un coup de tonnerre. Les auteurs phare sont cités sur la couverture : Dan Simmons (l'ascension du K2 de l'Everest en compagnie d'un extraterrestre mérite l'effort de la lecture), Stephen Baxter (intéressante histoire d'humains clonés et à durée de vie limitée), Larry Niven (une discussion convenue avec des extraterrestres à propos de l'évolution d'espèces intelligentes), Gene Wolfe (qui reprend la trame usée du « Prix du danger » de Sheckley, avec un certain brio cependant), Ursula Le Guin (brillant récit d'une race construisant une cité pour ses ennemis), Gregory Benford (qui allie science et religion à partir d'un simple décalage lunaire), Joe Haldeman (peu convaincant récit à chute autour d'un serial killer pas comme les autres), Michael Marshall Smith (un texte fantastique basé sur le voyeurisme, digne d'un Richard Matheson) et Michael Moorcock (qui reprend à son compte le surréaliste personnage d'Engelbrecht de Maurice Richardson le temps d'une curieuse conversation avec Dieu).
A ces personnalités se joignent des auteurs de littérature générale comme Joyce Carol Oates (avec une aussi étonnante que cruelle remise de diplômes) ou David Morrell (l'auteur de Rambo signe un beau chassé-croisé d'entraide filiale et paternelle sur le thème de la cryogénie), de fantastique comme Kate Koja (dans une fructueuse collaboration avec Barry Malzberg), voire des débutantes comme Laura Whitton (plus intéressante sur la colonisation de mondes habités que la nouvelle d'Ardath Mayar). D'autres prestigieux auteurs de S-F sont présents : Thomas Disch (dont l'univers informatique post — moderne est, chez lui, réellement dépaysant), Paul di Filippo (dont le loufoque tombe à plat), Kit Reed (qui ne parvient pas à intéresser le lecteur à l'ambiguë relation du malfrat à sa garde du corps), Rudy Rucker et John Shirley (avec une étonnante idée de poche quantique nanomatricielle permettant de s'enfermer à ses risques et périls dans une dimension où le temps s'écoule différemment), etc. Quelques heureuses surprises viennent de noms peu connus comme « Des Visiteurs uniques » de James Patrick Kelly, « Entre les disparitions » de Nina Kiriki Hoffman.
A peu près tous les thèmes sont abordés, avec différents traitements, classiques ou modernes (un peu). Il n'y a cependant rien de neuf ni de fracassant dans cette anthologie : nombre de ces récits auraient pu êtres écrits il y a vingt ans ou plus. Il faudra en outre apprendre à fermer les yeux sur les nombreuses coquilles et fautes de frappe qui gâchent la lecture de cet ouvrage dépourvu de correcteur, même informatique (ni non plus d'ailleurs de noms d'auteur dans son sommaire ! !). Entendons-nous bien : la grande majorité des textes sont bons, voire très bons, mais leur somme ne débouche pas sur la bombe littéraire censée remodeler le paysage de la science-fiction, comme l'espérait Sarrantonio qui fait, en passant, baisser la qualité de l'ensemble avec sa propre nouvelle, quelconque. Ce ne sont pas les auteurs qui ont manqué leur coup, mais Sarrantonio qui peine à redéfinir l'imaginaire de demain, comme le fit Ellison à l'aide de commentaires marquant des refus et des enthousiasmes balisant un nouvel imaginaire. Ceux de Sarrantonio ne donnent le vertige que par leur vacuité : le tracé n'est pas lisible car aucun trait ne vient relier les trente points que représentent les nouvelles d'auteurs prestigieux. A sa décharge pourra-t-on reconnaître qu'il est moins aisé à décrypter de nos jours qu'à la fin des sixties. Peut-être ne fallait-il pas convoquer des auteurs de littérature qui vont effectivement au-delà de ce qu'ils ont écrit à ce jour, mais n'abordent que les rivages déjà arpentés par les Indiens de la S-F. L'anthologie est à recommander aux amateurs de S-F désirant lire des récits de qualité, à condition de refuser d'y voir un manifeste pour l'imaginaire de demain. Ellison peut dormir tranquille. Ses Dangereuses Visions ont peut-être vieilli, pas sa réputation.
L'anthologiste, Al Sarrantonio, dédie ce livre à Harlan Ellison, « évidemment ». Il est vrai que la parenté est évidente avec les Dangereuses visions de l'agitateur professionnel de la science-fiction américaine : il s'agit là d'une anthologie de nouvelles inédites de SF anglo-saxonne, destinée à définir les futurs contours de l'imaginaire de demain. Rien que cela. Dans son introduction pleine d'autosatisfaction et de « je », Sarrantonio affirme notamment que Tracés du vertige est « bien la meilleure anthologie de nouvelles originales des vingt-cinq dernières années », une anthologie « fer de lance ». Tout cela est bien beau, mais quand on place la barre aussi haut dès les premières pages, il faut pouvoir assumer derrière. Alors, mission accomplie ?
Parmi les textes réunis ici, chaque lecteur aura ses préférences, et trouvera que certains ne présentent aucun intérêt. C'est le cas de celui de Joe Haldeman, l'histoire archi-rebattue d'un serial killer qui bascule dans la SF par la grâce d'une dernière phrase ridicule. Heureusement, il existe des nouvelles d'un bien meilleur acabit, mais il faut également mentionner le fait que plusieurs n'appartiennent en aucun cas à la SF. Ainsi, « Cleopatra Brimstone » — un texte au demeurant assez réussi — de Elizabeth Hand, sur une collectionneuse de papillons, n'a rien de spéculatif. Pas plus que « Plan double », de Michael Marshall Smith (un homme filme tous ses ébats sexuels qu'il remonte ensuite en vidéo, jusqu'au jour où il commence à disparaître de ses cassettes), ou « Tulipe noire » d'Harry Turtledove, où le motif du dragon n'a rien de SF ni d'ailleurs de particulièrement novateur.
Certains textes, on l'a dit, sont néanmoins très réussis. Ainsi, le récit inaugural, « Sur le K2 avec Kanakaredes » de Dan Simmons raconte l'ascension de ce sommet par une équipe humano-alien. Cette nouvelle est toutefois symptomatique d'une partie de cette anthologie en ce sens que, bien qu'efficace, elle n'apporte rien de nouveau au genre. D'ailleurs, Sarrantonio reconnaît qu'elle aurait pu être écrite au cours des quarante dernières années. Ce type d'aveu se reproduit à plusieurs reprises, d'autres textes se rapprochant de la new wave aux dires de l'anthologiste. On a rarement vu une oeuvre destinée à « redéfinir l'imaginaire de demain » (le sous-titre du présent livre) se référer autant au passé. Curieux...
Au rang des bonnes surprises, on retiendra aussi un écrivain dont c'est la première incursion dans le genre : David Morrell, le père de Rambo, nous livre une oeuvre poignante où un fils met son père en cryogénie — pour laisser le temps à la médecine de faire les progrès nécessaires à sa guérison — avant que la situation ne s'inverse. Gregory Benford rend un hommage amusé aux astronomes amateurs (« Anomalies ») et Gene Wolfe à la « Septième victime » de Robert Sheckley, adaptée au cinéma en France sous le titre Le Prix du Danger, avec Gérard Lanvin et Michel Piccoli dans les rôles principaux.
Globalement, le niveau est honnête, sans plus. Les textes se lisent bien, mais la plupart s'oublient rapidement, aussi reste-t-on sceptique quant à la portée réelle de cette anthologie. Sans doute Al Sarrantonio aurait-il dû présenter ce livre différemment, on aurait pris celui-ci pour ce qu'il est en réalité : une anthologie plaisante, qui ne sort pas du lot. Et certainement pas « la meilleure des vingt-cinq dernières années ». N'est pas Harlan Ellison qui veut.