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La Séparation

Christopher PRIEST

Titre original : The Separation, 2002
Première parution : Londres, Royaume-Uni : Scribner, août 2002
Traduction de Michelle CHARRIER
Illustration de Benjamin CARRÉ

DENOËL (Paris, France), coll. Lunes d'Encre
Date de parution : 21 avril 2005
Dépôt légal : avril 2005, Achevé d'imprimer : mars 2005
Première édition
Roman, 464 pages, catégorie / prix : 23 €
ISBN : 2-207-25577-8
Format : 14,0 x 20,5 cm
Genre : Science-Fiction



Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
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Quatrième de couverture
Que s'est-il réellement passé dans la nuit du 10 au 11 mai 1941, cette nuit où Rudolf Hess s'est envolé d'Allemagne pour négocier la paix avec la Grande-Bretagne ? Son avion a-t-il été abattu par la Luftwaffe ? Hess a-t-il réussi sa mission sans en informer Adolf Hitler ? Et pourquoi, dans certains documents d'archives, la guerre semble-t-elle s'être prolongée jusqu'en 1945 ? C'est à toutes ces questions que va tenter de répondre l'historien Stuart Gratton ; notamment en s'intéressant au destin exceptionnel de deux frères jumeaux, Joe et Jack Sawyer, qui ont rencontré Hess en 1936 aux Jeux olympiques de Berlin.
 
Dominant sans partage un territoire délimité, du côté de la littérature générale, par Les Vestiges du jour de Kazuo Ishiguro, et du côté de la science-fiction par Le Maître du haut château de Philip K. Dick, La Séparation a été récompensé par le British Science Fiction Award et le Arthur C. Clarke Award.
 
Christopher Priest est connu dans le monde entier pour son roman Le Monde inverti. Mais il est l'auteur d'autres ouvrages remarquables, dont Une femme sans histoires, La Fontaine pétrifiante, Les Extrêmes, Le Prestige.
Critiques
     Bien parti pour être le second livre de Christopher Priest à rencontrer le succès en France, La Séparation est assurément une œuvre ambitieuse. Avant d'être un authentique chef-d'œuvre, et malgré quelques défauts d'ensemble, ce nouveau roman est d'abord la preuve de l'inquiétant talent de Christopher Priest. Un auteur qui prend plaisir à promener son lecteur sur un terrain a priori balisé, mais secrètement tortueux, détourné, dangereux et finalement diabolique. On connaît la propension de cet anglais flegmatique à clore ses histoires en pirouette : de La Fontaine pétrifiante à L'Archipel du rêve en passant par Les Extrêmes. Ce dernier livre ne déroge pas à la règle, mais Priest y fait un effort considérable sur le terrain de la fissure et des dérapages qu'elle entraîne. Fidèle à cet univers désormais habituel, La Séparation est avant tout un jeu de miroirs, où les faux-semblants s'amoncellent sur plusieurs réalités parallèles. De quoi perdre pied si le lecteur ne jure que par les invasions extraterrestres et autres vitesses supraluminiques. Avec Priest, nous évoluons sur le terrain des personnages, sans jamais entrer dans le registre explicatif. C'est d'ailleurs avec beaucoup de naturel que les réalités se chevauchent, à tel point qu'il faut parfois revenir quelques pages en arrière pour mieux saisir à quel exact moment le récit a basculé. Uchronie ? Sans doute. Mais pas que. Perpétuel questionnement dickien (en beaucoup plus intelligent, soit dit en passant) sur la nature de ce qui est vécu, sur ce qu'on nomme abusivement le réel, La Séparation est un pur produit priestien. Interrogations profondes sur l'Histoire, personnages fascinants de présence et de charisme, crédibilité générale font de ce roman un sommet de construction et de machiavélisme. Certes, la trame narrative est parfois si compliquée que le récit en perd sa force, certes, on ne peut nier un côté passablement ennuyeux, mais les tenants et aboutissants minutieusement mis en place contrent largement les rares frustrations ressenties ici ou là. Au final, La Séparation fait partie de ces livres qui hantent, et pour longtemps, l'esprit des lecteurs avides d'aventures inédites.

     Personnages centraux autours desquels La Séparation tourne et se retourne, les jumeaux Sawyer alternent leur histoire dans une Histoire alternative. Anglais sportifs et membre de l'équipe olympique d'aviron, leur prestation aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936 leur vaut d'être médaillés par Rudolf Hess en personne, le dauphin d'Hitler. C'est le début d'une séparation à la fois morale, pratique et historique, alors que les deux frères s'éloignent inévitablement. Pour l'un, ce sera le mariage (avec une juive berlinoise ramenée de Berlin avant les déportations) et, peut-être, la vie de famille. Pour l'autre, l'aviation et la vie militaire au sein de la prestigieuse Royal Air Force. Mais la guerre et son cortège d'horreurs réunissent les deux hommes... Tout en les éloignant d'une manière autrement plus radicale. Pendant le Blitz londonien, l'un des jumeaux, officiellement déclaré objecteur de conscience, sert la Croix Rouge comme ambulancier. Son attitude héroïque lui vaut d'être remarqué par Churchill pour une négociation ultrasecrète : faire la paix avec l'Allemagne nazie, suite aux manœuvres de Rudolf Hess. Le but inavoué du dignitaire nazi ? Clore le front de l'ouest et ouvrir peu après un front à l'Est en attaquant l'Union Soviétique. Nous sommes en 1941 et tout peut basculer.

     Ailleurs, ici, au même moment, l'autre jumeau poursuit ses campagnes de bombardement des régions sous contrôle allemand. Pilote vétéran, il n'a jamais revu son frère, ambulancier à Londres. Alors que chaque nouvelle mission le rapproche de la mort, une lettre de sa belle sœur le rappelle à la vie de famille. Juive, allemande et seule au milieu d'une campagne anglaise pas forcément tolérante (les boches bombardent l'Angleterre toutes les nuits, d'où une légitime rancune anglaise à l'égard des Allemands, quels qu'ils soient), elle a désespérément besoin d'aide. Suite à cette relation perturbante (et évidemment sexuelle) avec la femme de son frère jumeau, le pilote s'interroge sur la nature du monde. Un monde de plus en plus englouti par la folie destructrice et la guerre. Un monde où Rudolf Hess a tenté seul de conduire une mission de paix en Ecosse, apparemment sans l'aval d'Hitler, tentative morte née car jamais prise en sérieux. Qui peut d'ailleurs prouver qu'il s'agit bien de Rudolf Hess, et non d'un jumeau ? Dès lors, rien n'empêchera la guerre totale et l'entrée des Etats-Unis dans un conflit qui pourrait bien durer encore quelques années.

     Mais si la paix est perdue, pourquoi les négociations auxquelles a participé l'autre frère ont-elles permis la signature d'un traité ? Quelle réalité l'emporte ? Et où se situe la frontière (ténue, forcément ténue) du fantasme, du flou, du rêve et de la folie ? D'autant que le roman s'ouvre sur une uchronie classique, un monde où les Etats-Unis n'ont jamais participé à la guerre et son tombés dans un lent déclin économique...

     Fascinant, dérangeant, diabolique dans sa construction comme dans sa conclusion, La Séparation est un livre majeur, de ceux qui font la fierté de la S-F en général. Littérature d'idée, littérature essentiellement libre, littérature rebelle, la S-F fait mal quand elle tape juste. Avec La Séparation, le coup est violent. Et destructeur.

Patrick IMBERT (site web)
Première parution : 1/7/2005 dans Bifrost 39
Mise en ligne le : 10/8/2006


     Rudolf Hess, parti seul d'Augsbourg à bord de son Messerschmitt, saute en parachute au-dessus de l'Écosse dans la nuit du 10 au 11 mai 1941. Fait prisonnier par les Britanniques, il prétend être investi par le Führer (dont il est le Stellvertreter, le suppléant) d'une mission secrète : négocier une paix séparée avec le Royaume-Uni. En dépit des sympathies sur lesquelles il peut compter (jusqu'au sein de la famille royale...), il ne rencontrera pas Churchill, qui se refuse à tout compromis avec l'Allemagne nazie. Hess passe donc quatre ans au secret, avant d'être conduit en 1945 au procès de Nuremberg. Condamné à perpétuité, il meurt en 1987 à la prison berlinoise de Spandau dans des circonstances troubles (à l'image de tout ce qui l'entoure depuis les années 20). Voilà l'Histoire telle que nous la connaissons.

     C'est aussi l'Histoire dans laquelle vit Jack L. Sawyer, pilote de la RAF dont la route croise celle de Hess dans le ciel de la mer du Nord, en mai 41. Mais dans l'univers de Joe L. Sawyer, frère jumeau du précédent, objecteur de conscience et à ce titre ambulancier de la Croix-Rouge à Londres en 1941, la mission de Hess ne tourne pas aussi court...

     Une coupable myopie amènerait vite à réduire La Séparation à une n-ième uchronie sur la Seconde Guerre mondiale. Si une telle lecture est certes possible, rien n'est aussi simple qu'il n'y paraît : les vies des jumeaux (sur fond de vues saisissantes du conflit), et les trames historiques sur lesquelles elles s'inscrivent, s'entrecroisent au cours du roman... telle une double hélice d'ADN dont on ne peut entrevoir la globalité que par la réflexion et l'analyse, puisque les « erreurs de parallaxe » semées par l'auteur abondent (entre autres, les relations des deux frères avec Birgit, épouse de l'un et maîtresse de l'autre, donnent l'occasion de multiplier les contradictions). Dans ce récit lacunaire, comme Priest les affectionne, puzzle labyrinthique aussi complexe que raffiné, c'est de gémellité à la fois fusionnelle et malsaine, de passions humaines sombres et lumineuses, de visions du monde incompatibles et pourtant crédibles, qu'il est question. Doubles inattendus, jeux de miroirs repoussoirs (cf. Le Prestige), perceptions biaisées de la (ou plutôt des) réalité(s), reconstructions hasardeuses de l'histoire et de l'Histoire au gré des fluctuations de la mémoire et de ses méandres, subtils décalages des possibles et des probables, plongées vertigineuses entre le réel et le potentiel, pièges logiques : les certitudes se lézardent, les repères se brouillent, et de ces palimpsestes sur trames mouvantes naît progressivement le trouble. Comment rendre justice en quelques lignes à un tel tour de force ?

     Lire La Séparation donne envie de se replonger dans toute l'œuvre du maître, du Monde inverti aux Extrêmes, de Futur Intérieur à Une femme sans histoires, en passant par la sublime Fontaine pétrifiante (en anglais : The Affirmation). Après vingt ans d'une traversée du désert jalonnée de rares oasis, on assiste depuis 2000 à un nouvel engouement pour Priest du côté de l'édition française (à trois exceptions près, tous ses livres ont été récemment réédités) : c'est l'une des rares bonnes nouvelles que nous ait apportées jusqu'ici ce XXIe siècle naissant. Mais on doit s'interroger sur cette résurgence de pertinence, sur ce regain d'intérêt pour l'un des auteurs les plus exigeants et les plus difficiles de l'histoire de la SF, dont il paraît certain que les chiffres de vente ne se compareront pas de sitôt (mais cela viendra, avec le temps) à ceux des pavés triomphants de fantasy vulgaire et débile. Il faudrait une longue étude pour traiter la question (et si Galaxies nous en donnait prochainement l'occasion ?), mais d'ores et déjà quelques éléments de réponse apparaissent : avec, on ne le dira jamais assez, des caractères minutieusement fouillés enfermés dans leurs solitudes insurmontables (et dans leurs doutes ontologiques, et dans leurs quêtes identitaires désespérées, et dans les univers imbriqués et divergents de leurs perceptions respectives), Priest nous offre depuis bientôt 40 ans ce que la littérature contemporaine produit de plus novateur, de plus puissant et de plus déstabilisant. La réception de son oeuvre dans les décennies à venir ne fera que confirmer et accentuer le caractère visionnaire de ce génie so british (l'Angleterre, ou à défaut l'insularité, sert de cadre à tout son univers littéraire).

     La quintessence de tout ce qui dérange se trouve chez lui. On sort d'un livre de Priest avec le sentiment d'avoir changé, d'avoir franchi une étape : il y a pour le lecteur un « avant » et un « après » (les admirateurs de L'Archipel du Rêve ne démentiront pas). La littérature a bien un effet sur le réel (cf. The Affirmation, qui, soit dit en passant, fournit, notamment dans ses premiers chapitres, un grand nombre de clefs au lecteur soucieux de pénétrer plus profondément le mystère Chris Priest). Rien n'est hasard. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'homme de Hastings se soit livré à une méticuleuse enquête sur un personnage essentiellement trouble : Hess demeure un point d'interrogation pour l'historien. Qui était vraiment cet étrange dignitaire nazi ? Et qui était vraiment Churchill ? Avaient-ils, eux aussi, des doubles ? Reprenons.

     En 1936, les jumeaux Sawyer sont médaillés d'argent, en aviron, aux Jeux Olympiques de Berlin...
     ... où ils croisent le Stellvertreter. Cinq ans plus tard, Jack, qui le 11 mai 1941 a survécu au crash de son bombardier (tandis que son frère mourait sous le déluge d'acier et de feu du Blitz), est mandaté par Churchill pour déterminer si l'aviateur fait prisonnier en Écosse est bien Rudolf Hess...
     ... où ils croisent le Stellvertreter. Cinq ans plus tard, Joe, qui le 11 mai 1941 a survécu au déluge d'acier et de feu du Blitz (tandis que son frère mourait dans le crash de son bombardier), est mandaté par la Croix-Rouge pour participer aux négociations de paix avec le régime hitlérien, représenté par Rudolf Hess...

Bruno DELLA CHIESA
Première parution : 1/6/2005 dans Galaxies 37
Mise en ligne le : 20/1/2009


     Stuart Gratton est un historien pointilleux. Aussi, quand il note une référence à un dénommé J. Sawyer, mentionné par Churchill comme quelqu'un d'importance, il entreprend une enquête. Laquelle le plonge dans la plus grande indécision : Sawyer est en effet tout à la fois référencé comme objecteur de conscience, pilote de bombardier et membre de la Croix-Rouge, ce qui est peu compatible, d'autant plus que les dates concordent. Gratton réussit néanmoins à mettre la main sur quelques archives et souvenirs de guerre, qui lui apprennent plus : il semble qu'il y ait eu deux J. Sawyer, Joe et Jack, deux frères jumeaux. Qui ont suivi des trajectoires divergentes à bien des points de vue...
     Cela devient une banalité à dire, mais chaque livre de Christopher Priest est un événement. Celui-ci ne déroge pas à la lettre, et brode sur l'un des thèmes favoris de l'auteur : l'interpénétration d'univers. Parfois, le virtuel et le réel se confondent, mais ici il s'agit davantage de deux mondes parallèles. En effet, dans la trame temporelle « réelle » de ce livre, la seconde Guerre Mondiale s'est terminée le 11 mai 1941, lorsque Rudolf Hess est parti en Grande-Bretagne afin de négocier la paix avec le Reich d'Hitler (le même jour, d'ailleurs, Jack, l'un des deux jumeaux, est abattu dans son avion. Mais il semblerait que dans certains documents, rien ne se soit passé à cette époque, et que la guerre se soit poursuivie jusqu'en 1945. Plutôt que de diverger une bonne fois pour toutes, comme dans bon nombre d'uchronies, ces deux fils temporels se nouent et se dénouent, occasionnant quelques rencontres des jumeaux, soit entre eux, soit avec les personnages historiques comme Hess ou Churchill. Et quelques distorsions de la réalité, chères à Philip K. Dick, dont Priest se révèle ici (mais on le savait déjà) un digne successeur, sinon le plus digne. Uchronie donc, mais uchronie déviante — on n'en attendait pas moins de la part l'auteur.
     Pour appuyer son propos, Priest a fait correspondre la forme au fond, puisque la narration alterne entre les scènes « réelles » et les scènes distordues, entre le passé et le présent. Kaléidoscope de journaux intimes et de documents officiels (au sein desquels l'auteur pousse le vice jusqu'à nous proposer des adresses de sites web, que le lecteur curieux sera bien en peine de visiter), d'Histoire officielle et d'histoires personnelles, La Séparation est comme toujours chez Priest d'une construction rigoureuse, implacable. Qui culmine dans un final plein de surprises, bouclant la boucle tout en nous laissant dans la plus grande incertitude.
     Bref, ce nouvel opus de Christopher Priest est une nouvelle fois à marquer d'une pierre blanche. Cet écrivain n'a jamais écrit deux fois le même livre, et lorsqu'on ouvre l'un de ses ouvrages, on ne sait jamais quelle direction il a choisie. Où Priest nous emmènera-t-il pour son prochain roman ?

Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 17/4/2005 nooSFere

Prix obtenus
Arthur C. Clarke, [sans catégorie], 2003
British Science Fiction, Roman, 2002
Grand Prix de l'Imaginaire, Roman étranger, 2006


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