Voici la réédition d'un recueil de trois novellas d'un des grands maîtres de la science-fiction.
Dans Voués aux ténèbres, les humains maîtrisent la technique de la téléportation et ont entrepris de coloniser méthodiquement toutes les planètes situées dans un rayon défini. Cette expansion spatiale du genre humain (aucune forme de vie extraterrestre n'a été découverte à ce jour) s'appuie sur une doctrine religieuse, le culte des Ténèbres. Or, depuis quelques temps, les colons semblent prendre leurs distances par rapport à la Terre-mère, développent d'autres cultures, oublient leur religion et s'étendent de manière anarchique. Un prévôt, haut dignitaire des Ténèbres, tenu pour responsable de ces entorses au plan initial, est envoyé sur différentes planètes pour récolter des informations.
Après un début un peu long, cette novella prend son essor avec le départ du prévôt. Les planètes visitées sont autant d'occasions pour Silverberg de déployer sa capacité à créer des mondes. Mais l'intérêt principal réside dans l'évolution psychologique du prévôt, un personnage complexe et introverti.
En un autre pays est un hommage à La Saison des vendanges de Catherine L. Moore, une des histoires « culte » de la science-fiction (publiée dans Histoires de mirages et Histoires à ne pas lire la nuit, au Livre de Poche). Robert Silverberg reprend ici le lieu, l'époque et le contexte de cette nouvelle, en y ajoutant de nouveaux personnages et un point de vue différent.
Dans un futur lointain, où la civilisation est parvenue à son apogée, le comble du chic pour les humains oisifs et décadents est de visiter le passé, à certains points clés de son histoire. L'une des escales de leur parcours est la fin du xxe siècle, juste avant la chute d'une météorite et l'arrivée d'une épidémie qui vont décimer la population mondiale. Parmi les voyageurs temporels, Thimiroi se désolidarise de ses compagnons de voyage et part seul à la découverte de ce monde condamné.
En un autre pays est une brillante reprise qui nous replonge dans la magie de l'univers esquissé par C. L. Moore. Il s'agit plutôt d'un prolongement, comme si Silverberg dévoilait la face cachée de la nouvelle originelle, sans la trahir pour autant. Le changement de point de vue en particulier apporte beaucoup : ici, tout est vu par les yeux d'un voyageur temporel, tandis que C. L. Moore avait choisi de tout décrire du point de vue d'un contemporain. Dans les deux cas, il y a une fascination pour l'étrangeté de l'autre, et une chute pleine d'émotion.
Dans Né avec les morts, la dernière novella du recueil, Jorge Klein cherche par tous les moyens à atteindre sa femme, Sybille, décédée et ressuscitée depuis quelques années. Mais tout contact entre les morts et les vivants est strictement interdit ; les morts ont créé leurs propres villes, dans lesquelles ils vivent reclus. Et la mort change le caractère des ressuscités. Malgré tout cela, Jorge se persuade qu'il reste un peu de la personnalité de son ancienne femme dans le zombie qu'elle est devenue.
Voici une vision originale de la mort, et du fossé qu'elle creuse avec les vivants. Dans cet univers, deux mondes coexistent sans se comprendre, et peu à peu celui des morts semble envahir celui des vivants.
Tout au long de ce recueil, on retrouve, déclinée de trois manières différentes, les notions de changement radical, de remise en cause de toutes ses valeurs. Silverberg analyse minutieusement les réactions de ses personnages face aux nouvelles situations et poursuit son exploration de ses thèmes obsessionnels, la solitude et la métamorphose.