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Le Grand secret

René BARJAVEL

Première parution : Paris, France : Presses de la Cité, 1973


POCKET (Paris, France) n° 1106
Dépôt légal : 2ème trimestre 1974
Réédition
Roman, 384 pages, catégorie / prix : 3
ISBN : 2-266-00121-3
Genre : Science-Fiction


Autres éditions
   FRANCE LOISIRS, 1974
   in Romans extraordinaires, 1996
   in Romans extraordinaires, 2008
   in Romans extraordinaires, OMNIBUS, 1995
   in Romans extraordinaires, 1998
   POCKET, 1976, 1979, 1982, 1985, 1988, 1990, 1993, 1995, 1998, 1999, 2013
   PRESSES DE LA CITÉ, 1973, 2012

Quatrième de couverture
     « Le Grand Secret », c'est l'histoire d'un couple séparé par un extraordinaire événement, puis réuni dans des circonstances telles que jamais un homme et une femme n'en ont connu de pareilles. C'est aussi l'histoire d'un mystère qui, depuis 1955, a réuni, à l'insu de tous, dans une angoisse commune, par-dessus les oppositions des idéologies et des impérialismes, les chefs des plus grandes nations. C'est ce « grand secret » qui a mis fin à la Guerre Froide, qui a été la cause de l'assassinat de Kennedy, qui rend compréhensible le comportement de De Gaulle en mai 1968, qui a rendu indispensable les voyages de Nixon à Moscou et à Pékin. Il n'a rien à voir avec la guerre ou la bombe H. C'est le secret de la plus grande peur et du plus grand espoir du monde. Il ne faut pas oublier que c'est un roman. Mais si c'était vrai ?...
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition PRESSES DE LA CITÉ, (1973)

     Barjavel, je l'aime bien. Il a été pratiquement à lui tout seul la science-fiction en France, à une époque où on ne savait rien de ce qui se passait de l'autre côté de l'Atlantique. Il a « inventé » en vase clos des situations, des thèmes, des procédés qui appartenaient au contexte de la SF, mais il ne le savait pas. Il était comme un savant isolé avec ses éprouvettes, qui fait dans son coin les mêmes découvertes qu'un grand laboratoire possédant des centaines de chercheurs à l'autre bout du monde. Il a écrit, avec des livres comme Ravage ou Le voyageur imprudent, des romans solides, forts, marquants, qui aujourd'hui encore peuvent se lire sans faiblir. Et puis... et puis Barjavel s'est lentement transformé en ce qu'il est devenu aujourd'hui. D'une part : un journaliste à tout faire qui parle de tout et de rien sans jamais être au courant du fond du problème, et dont on voit à tout bout de champ la tête de chien battu à la télévision chaque fois qu'il s'agit de proférer sentencieusement des lieux-communs. D'autre part : un romancier « sensationnaliste », qui écrit des livres à succès en composant de la façon la plus putain qui soit des cocktails bien dosés d'ingrédients à la mode, ce qui donne dans le registre tarte La nuit des temps ou dans le registre ignoble Les chemins de Katmandou — et maintenant Le grand secret, le moins mauvais des trois, celui qui par endroits se rapproche le plus du Barjavel de naguère, mais quand même... Me suis-je assez fait comprendre ? Oui, Barjavel, je vous aime bien. Enfin, je vous aimais bien.

Serge BERTRAND
Première parution : 1/8/1973
dans Fiction 236
Mise en ligne le : 28/10/2002


Edition PRESSES DE LA CITÉ, (1973)

 
     (N.D.L.R. : Fiction a publié deux opinions défavorables sur Le grand secret de Barjavel (celles de S.A. Bertrand dans le n° 236 et de Demètre Ioakimidis dans le n° 238). Dans la tradition du « pour et contre », voici aujourd'hui un avis opposé.)

     Qu'est-ce qui les fait courir ? Eux, les grands de ce monde, ceux qui tiennent dans leur poing la foudre et la rose ? Qu'est-ce qui fait courir Mao, Nixon, de Gaulle, Brejnev ? Qu'est-ce qui les fait se rencontrer, comploter, décider, là-haut, loin au — dessus de notre tête ? Et éventuellement, qu'est-ce qui fait qu'on les assassine, comme Kennedy à Dallas, le 22 novembre 1963 ?
     Le matérialisme historique répond facilement : ce qui les fait courir, c'est la chose même qui les a portés au pouvoir : une classe qui agit pour conserver ses intérêts, et dont les bras sont des groupes de pression financiers, industriels, politiques.
     Ça, c'est la réponse facile, la réponse claire : tout simplement la vraie réponse... Mais quand on est romancier, rien ne vous empêche de détourner la réalité, de l'ignorer, de mettre autre chose à sa place. D'inventer un « truc », de faire mousser un mystère, de structurer, à la place du courant matérialiste, un autre courant, fictif, d'essence fantasmatique. Des journalistes ou des historiens bourgeois usent souvent de ce genre de truc : M. Untel, chef d'Etat, a déclaré une guerre parce qu'il avait des ulcères ou une vision divine. C'est de la malhonnêteté. Mais lorsqu'on est romancier et qu'on présente le « truc » à l'intérieur d'un roman, il n'y a rien à redire sur la méthode. Il suffit simplement de trouver un truc suffisamment astucieux, suffisamment convaincant, pour qu'il puisse lier les éléments épars régis par une matérialité sciemment (ou inconsciemment) ignorée, pour que le roman fonctionne, pour que le lecteur marche.
     C'est ce qu'a fait Barjavel pour Le grand secret. Il a trouvé le truc (c'est un élément-clé de bon nombre de romans de SF), et son roman fonctionne bien ; le lecteur ne marche pas, il court : Le grand secret est du vrai Barjavel (on l'avait perdu dans Les chemins de Katmandou), de l'excellent Barjavel (il s'était un peu tassé dans La nuit des temps). Je veux dire par là que l'ouvrage se lit d'une traite tant le suspens y est captivant, et qu'il se lit en en savourant chaque phrase, tant le romancier a l'art du « petit détail vrai », de la note poétique ou incongrue, de la digression qui paraît spontanée mais est savamment orchestrée, et qu'on y trouve enfin cet art suprême et typiquement barjavelien de la dialectique tous azimuts, je veux dire cette façon de ne jamais camper un personnage ou un événement sans lui opposer aussitôt son envers ou son contraire : de même qu'un homme a ses bons et ses mauvais côtés, un acte n'est jamais unidirectionnel, il produit des résultats à la fois positifs et négatifs... Et ce qui se trouve dans le grain du récit se communique aussi à sa ligne de force, puisque le « grand secret » est à la fois incroyablement bénéfique et incroyablement maléfique, qu'il renferme en même temps tout l'espoir et tout le désespoir du monde.
     On ne peut s'étonner de cette position, qui est chez l'écrivain une constante affirmée : Barjavel travaille dans toutes les nuances du gris, jamais dans le noir ou le blanc, jamais dans le manichéisme. Est-ce à dire que Le grand secret est un grand roman, un grand Barjavel ? Il est toujours présomptueux de vouloir répondre à ce genre de question sans recul. Personnellement, je le placerais assez haut dans sa bibliographie, mais peut-être n'est-ce qu'une réaction causée par la relative déception occasionnée par ses deux précédents ouvrages. Je cernerais en tout cas ainsi la carrière de Barjavel romancier fantastique : Ravage et Le voyageur imprudent, c'était le triomphe de l'inspiration ; Le diable l'emporte et Colomb de la Lune (à mon avis ses deux meilleurs romans), l'équilibre parfait entre, inspiration et métier ; Le grand secret étant alors, peut-être, la perfection du métier — ce qui voudrait aussi dire que l'inspiration a quelque peu fichu le camp... C'est sans doute vrai d'une certaine manière, car Barjavel, ici, brode sur des thèmes qu'il a déjà utilisés (le secret qui est la clé de la survie ou de la mort du monde détenu par un petit nombre d'élus, le havre de paix et de bonheur caché dans un coin secret de la Terre, la foudre atomique qui apporte un point pas tout à fait final à l'histoire), de même qu'il en remet avec ses obsessions familières : l'exaltation de l'amour charnel et des joies simples de la nature, la condamnation d'un certain type de science et de ses retombées technologiques et a-naturelles (toutes chose que j'approuve et qui, garantes d'une continuité de pensée transcendant mœurs et modes, valurent à Barjavel d'être traité de réactionnaire et le font rejoindre aujourd'hui — mais avec des ambiguïtés dues à son théisme emphatique et à certaines de ses prises de positions personnelles, franchement conservatrices ou moralisatrices — le peloton de tête des « écogauchistes » !).
     De même, au simple niveau de l'écriture, il lui arrive d'abuser du « petit détail significatif ». Mais c'est que Barjavel est un écrivain qui travaille dans la pâte vivante des gens, dans le bouillonnement des choses, et s'il lui arrive d'en faire trop, c'est toujours avec ce métier dont je parlais tout à l'heure : il sait être torrentueux sans cesser d'être clair, il est toujours chaleureux sans jamais être mièvre.
     Mais le sujet du roman, me direz — vous ? Il est lié au suspens qui tient, je l'ai déjà signalé, une part prépondérante dans le déroulement du livre. Mais ce suspens est plus qu'un artifice pour tenir le lecteur en haleine : il est imposé par la structure de l'ouvrage, qui est construite sur la narration d'événements (en partie) réels et déjà connus, en l'occurrence la vie, les voyages, les rencontres et parfois la mort, entre 1955 et 1972, d'une dizaine de « grands », à commencer par le Pandit Nehru — l'Inde étant ici porteuse d'une sorte de mysticisme orientaliste que Barjavel assimile avec aisance. Travaillant sur le proche passé au lieu de travailler sur le proche futur, au sein d'un roman de politique-fiction soutenu par un élément de science-fiction (comme, qui peuvent lui être comparés, La variété Andromède et Un animal doué de raison), Barjavel se devait de soustendre sa dramaturgie d'un voile de mystère progressivement et méticuleusement soulevé.
     Ceux qui ont lu son essai, La faim du tigre, reconnaîtront dans Le grand secret une tentative de passage au romanesque des théories soutenues dans ce livre touffu, naïf, contradictoire mais prodigieusement sincère, dont une des phrases essentielles est : La vie continue parce que les individus sont mortels. On retrouve dans Le grand secret les éléments de cette constatation :
     « Et la vie, délivrée du frein de la mort, se mettra à se multiplier, à bourgeonner, à éclater, à déborder dans toutes les espèces. Malgré les cataclysmes qui s'ensuivront, malgré les revanches brutales de la mort par les guerres, les famines, les massacres, la vie ne cessera, après chaque désastre, de recommencer, de tout envahir et de tout ravager. La vie sans la mort rend la vie impossible. » (p. 200)
     On aura compris que le concept même d'immortalité est disséqué, bousculé, passé au laminoir et soumis à un traitement bien différent de celui cuisiné par tous les autres romanciers de SF qui l'ont utilisé. Comment ce concept est-il accroché à cette « personnalisation » de l'histoire dont j'ai fait état, c'est là justement le contenu du roman — et vous n'en saurez pas davantage ! Il n'empêche qu'à travers son récit, Barjavel, comme toujours, a essayé de cerner, au général et au particulier, la notion de bonheur et, par-là, a bien été obligé de piocher du côté de l'écologie et de l'utopie. Ce qui donne, on s'en doute, ses meilleures pages :
     « Des ruisseaux coulaient entre les pelouses, des sources jaillissaient aux pieds des arbres ou tombaient de leurs branches. Des lapins, des écureuils, des chats, des hamsters, des cobayes jouaient, se pourchassaient, grimpaient, sautaient, s'enfonçaient dans des terriers. Un renard roux comme un incendie jaillit d'un fourré, tomba sur un lapin et l'emporta. Une adolescente gracieuse, aux longs bras minces, s'agenouilla devant un adolescent de son âge, porta ses douces mains et sa bouche au sexe du garçon pour le faire dresser, puis, sans le lâcher, s'allongea sur les fleurs, s'ouvrit, et le conduisit jusqu'au cœur de son corps. De plus jeunes enfants jouaient à mille jeux, se roulaient sur les pâquerettes, un chat mangeait un écureuil, des essaims d'oiseaux multicolores volaient d'arbre en arbre comme si ceux-ci échangeaient des fleurs, un héron piquait du bec une grenouille pas plus grosse qu'une marguerite... » (p. 157)
     Il est bon d'en rester sur cette image d'un paradis — en n'oubliant pas le système de la dialectique tous azimuts : bientôt, ce sera l'enfer...
     Mais lorsqu'on referme un livre, et quelle que soit la critique passionnelle ou raisonnée qu'on en fait et l'opinion qu'on en a, la question la plus intéressante est finalement celle-ci : pourquoi a-t-il écrit ça ? Il me semble qu'y répondre au sujet du Grand secret est assez facile. Passons sur l'aspect non matérialiste de l'histoire : Barjavel n'est pas marxiste. Passons sur le côté personnalités suivies par le petit bout de la lorgnette : Barjavel est journaliste, et sans doute nous chuchote-t-il là son désir secret d'être admis dans l'intimité des grands. Plus intéressant et significatif est le fait d'avoir voulu parler de l'immortalité. Ce sujet a toujours fasciné les écrivains, parce qu'il est un moyen de se décharger de la peur de la mort. Seulement, l'immortalité, ça n'existe pas. Alors pourquoi ne pas plutôt se convaincre que la mort est une chose nécessaire ? Parlant de son livre lors d'une émission télévisée, Barjavel a eu cette phrase même : La mort est nécessaire. Bien sûr ! Mais dans la bouche d'un homme au seuil de la vieillesse, cette déclaration a quelque chose d'émouvant, car elle démasque une sérénité qui est le résultat d'un « truc » à l'échelon supérieur : avoir pu démontrer dans un roman que l'immortalité était une catastrophe planétaire, que la mort ne doit pas être crainte car elle est la seule issue, possible, le seul avenir raisonnable et paisible pour un être vivant en quête de continuité...
 

Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/12/1973
dans Fiction 240
Mise en ligne le : 17/1/2016


Edition PRESSES DE LA CITÉ, (1973)

 
     Comme avec La nuit des temps, René Barjavel connaît un grand succès de vente grâce à ce roman. Comme dans La nuit des temps, il s'y montre un romancier connaissant bien son métier, sachant placer et tendre les ficelles d'une intrigue destinée à tenir le lecteur en haleine. Comme pour La nuit des temps, l'amateur de science-fiction s'avoue incapable de se joindre aux applaudissements du grand public, et ce pour la même raison. L'amateur de science-fiction se trouve un peu dans la même situation qu'en face de La planète des singes de Pierre Boulle, qu'on ne pouvait éventuellement admirer qu'à condition de ne pas connaître Le règne du gorille de L. Sprague de Camp et P. Schuyler Miller. Hélas ! tel semble être le destin des auteurs de science-fiction : creuser des thèmes que des romanciers non spécialisés exploitent ensuite plus superficiellement mais avec succès pour la masse du public...
     Mais René Barjavel a au moins été audacieux sur un point. Il intègre son intrigue à l'histoire contemporaine. II a même, probablement avec l'enthousiasme de celui qui croit avoir une bonne idée, été trop loin : il en arrive à mettre en scène des chefs d'Etat contemporains, de Kennedy à Mao Tsé-Toung en passant par de Gaulle et Nehru, et à imaginer que les principaux événements internationaux sont motivés, depuis plusieurs années, par son Grand Secret. Le terrain est extrêmement dangereux, car ses hommes d'Etat ont l'apparence, le comportement et les répliques de marionnettes. Sans doute cela tient-il à une description trop superficielle de leur vie quotidienne, de leur entourage, de leurs obligations : ils n'apparaissent que pour les besoins du Grand Secret, et le lecteur éprouve quelque difficulté à « marcher ». Lorsque Irving Wallace écrivait son roman (The man) sur le sénateur de race noire qui devient accidentellement Président des Etats-Unis, il avait demandé à Kennedy la permission de s' « imprégner » de l'atmosphère de la Maison Blanche, il avait étudié la manière dont l'entourage du Président fait son travail, et son roman a gagné de la sorte une résonance profonde, qui est celle de la vraisemblance, et dans une mesure non négligeable sans doute celle de la réalité. Rien de tel sous la plume de Barjavel, qui sollicite ces Grands pour des interventions beaucoup plus importantes que celles de fugitifs dei ex machina, et qui les fait malgré cela parler et agir comme de simples utilités. Lorsque Dumas mettait en scène Richelieu ou Buckingham, il bénéficiait du moins de l'avantage procuré par l'éloignement dans le temps, lequel ne joue naturellement pas pour Barjavel.
     La première partie du roman est constituée par une histoire d'amour et des intrigues d'espionnage et de contre-espionnage. L'histoire d'amour concerne un homme et une femme qui sont mariés chacun de leur côté, dont l'auteur décrit la passion comme une sorte d'Amour Exemplaire, et dont l'aventure reste malgré tout fort banale aux yeux du lecteur — à une remarquable scène près, qui relève d'ailleurs plutôt du vaudeville (p. 34). Comme l'héroïne se sent transformée par sa passion, elle demande un jour à son mari :
     — « Comment me trouves-tu ? »
     Son mari répond par une autre question :
     — « Qu'est-ce qui t'arrive ? »
     Ce sur quoi l'héroïne explique qu'elle a un amant. Il y a du mérite, dans certains cas à rester littéral — mais les personnages qui le font n'émeuvent pas toujours le lecteur dans le sens prévu par l'auteur.
     L'amant en question apparaît assez rapidement engagé dans une intrigue dans laquelle une découverte biologique paraît jouer un rôle. L'amateur de science-fiction se dit tout de suite qu'il doit s'agir de quelque chose qui donne un pouvoir supérieur à ceux qui en détiennent le secret, et il retient l'invulnérabilité, l'immortalité et les facultés parapsychologiques comme possibilités principales. De sorte que lorsque l'auteur dévoile — peu avant le milieu du livre — qu'il s'agit bien de l'immortalité, l'effet reste assez mince sur ledit amateur de science-fiction, qui se rappelle ce que A.E. van Vogt, Robert Sheckley, Roger Zelazny et Jack Vance (pour ne citer qu'eux) ont déjà brodé sur ce thème.
     (Incidemment, on ne peut que déplorer au passage l'ignorance de la science-fiction manifestée de façon d'ailleurs explicite par l'auteur. Celui — ci écrit en effet (p. 201) : « C'était en 1955. Les auteurs de science-fiction les plus audacieux prévoyaient la première expédition de l'homme vers la lune en l'an 2050 ou même beaucoup plus tard. »Il ne servirait à rien de faire remarquer qu'un nommé Robert Heinlein a publié en 1950 une nouvelle dans laquelle il plaçait en 1978 la première expédition de l'homme vers la lune ; ni que le même Heinlein remarquait, quelques années plus tard, que 1978 n'était sans doute par la date juste, mais qu'il n'était pas disposé à parier que ce vol ne s'effectuerait pas plus tôt.)
     Voilà donc les personnages de René Barjavel — qui, comme ce dernier, ignorent tout de la science-fiction — aux prises avec l'immortalité. Celle-ci est transmise par une sorte de virus, sous des conditions que ces braves personnages ne semblent pas du tout pressés de déterminer exactement. Le biologiste hindou qui a accidentellement découvert cette substance croyait tenir un remède contre le cancer, il en a expédié des échantillons à certains confrères estimés, et ceux-ci semblent maintenant devenus immortels par contagion. Comme les Grands nous y voici ! — ont été mis au courant de la situation par Nehru, lui-même alerté par son compatriote, ils décident d'isoler les immortels dans une des iles Aléoutiennes où un paradis sur mesure leur est construit — et le lecteur de science-fiction adresse au passage une pensée à Olaf Stapledon et à Aldous Huxley, même si l'auteur n'en fait évidemment rien de son côté.
     Dans ce paradis édifié sur mesure, l'étude du virus ne semble toujours pas urgente. Ce qui semble en revanche très urgent aux jeunes filles de l'île, c'est de se faire faire des enfants : en devenant enceintes, elles atteignent du même coup un état de femelles stupides si peu sympathique qu'on soupçonnerait volontiers l'auteur d'avoir voulu écrire un pamphlet en faveur de la légalisation de l'avortement. De là éclate le conflit de rigueur dans toute Utopie dont l'auteur veut expliquer la non-existence, et l'île est naturellement détruite. Fin du Grand Secret. Fin des amants de la première partie, qui s'étaient retrouvés dans l'île comme de juste. Fin d'un roman écrit avec habileté, mais aussi avec une regrettable méconnaissance de ce qui avait déjà été fait dans le genre. Ceux qui acclament Le grand secret comme un grand roman de science-fiction — alors qu'ils ne connaissent apparemment ni Heinlein, ni Asimov, ni Clarke, ni Delany par exemple — sont comparables à des mélomanes qui s'extasieraient devant les quatuors à cordes de quelque médiocrité contemporaine sans connaître ce que Haydn, Beethoven, Dvorak et Bartok, entre autres, ont déjà écrit dans ce domaine.
     Indubitablement, Le voyageur imprudent demeure le meilleur roman de science-fiction de René Barjavel. La nuit des temps l'avait démontré, Le grand secret le confirme.
 

Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/10/1973
dans Fiction 238
Mise en ligne le : 23/7/2017

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Immortalité

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Les Thèmes - Immortalité
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Annick Béguin : Les 100 principaux titres de la science-fiction (liste parue en 1981)
Jacques Goimard & Claude Aziza : Encyclopédie de poche de la SF (liste parue en 1986)

Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)
Le Grand secret , 1989, Jacques Trébouta (Téléfilm)

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