• Un pays entièrement peuplé de robots, ça n'existe pas.
• Un robot chef d'État, ça n'existe pas.
• De séduisantes « pépées-robots », ça n'existe pas.
Et pourquoi ?
Avec un humour aigu, le grand écrivain polonais Stanislas Lem nous présente, dans ce recueil de nouvelles, un monde futur scientifiquement vraisemblable et extraordinairement angoissant.
Avec Stanislas Lem, la science-fiction prend sa véritable dimension. Dans ces nouvelles qui nous présentent un monde angoissant, Lem ne se laisse pas emporter par sa seule imagination : son univers futur est fondé sur des données scientifiques précises et parfaitement vraisemblables.
Ainsi commence le « prière d’insérer » qui accompagne ce livre. Si on comprend bien, cela signifie que Lem confère à la science-fiction sa dimension véritable parce qu’il extrapole à partir de données scientifiques précises pour imaginer un univers angoissant. De qui se moque-t-on au juste ? Une telle affirmation serait peut-être excusable de la part d’un des nombreux critiques qui s’arrogent le droit de condamner la science-fiction après en avoir lu trois échantillons médiocres, et qui découvrent que le quatrième est moins mauvais. Mais cela est écrit par quelqu’un qui devrait, en principe, connaître « de l’intérieur » la collection « Présence du Futur », et qui devrait aussi réaliser que le présent ouvrage de Lem est le quatre-vingt-seizième de ladite collection. Or cette dernière n’a pas présenté uniquement des navets : si tel était le cas, cette affirmation concernant une « véritable dimension » enfin atteinte pourrait être tolérée – et encore. Cela est triste à dire, mais on a l’impression que « Présence du Futur » file actuellement un bien mauvais coton…
Car enfin, prétendre que Lem apporte sa « véritable dimension » à la science-fiction revient à énoncer une pure et simple contre-vérité. La création d’un univers menaçant fondé sur des données scientifiques précises n’a pas été inventée par cet honnête auteur polonais. Il y a eu, avant lui, des personnages nommés Robert Sheckley, Arthur Clarke, John Wyndham, Clifford Simak, Isaac Asimov, Fredric Brown – pour ne citer que des auteurs représentés dans la même collection. Et le talent de Lem, il faut bien l’avouer, n’apporte absolument rien de nouveau (quantitativement ou qualitativement) à quiconque connaît les écrivains sus mentionnés. L’auteur du « prière d’insérer » nous assure encore que Stanislas Lem a écrit 18 livres en polonais, traduits en quatorze langues, et qu’il a atteint un tirage total de deux millions et demi d’exemplaires. On le croit volontiers, en souhaitant que la partie de son œuvre inédite en français soit meilleure que celle ayant connu les honneurs de la traduction.
De ce qui précède, on serait tenté de conclure que cet ouvrage est très mauvais. Ce serait incorrect. Les récits réunis dans ce livre atteignent en moyenne une médiocrité presque honorable, mais leur valeur réelle ne correspond nullement aux dithyrambes dont l’éditeur a fait accompagner le volume.
Celui-ci comprend trois nouvelles, et un extrait plus long. La première de ces nouvelles, intitulée L’ami, met en scène un jeune technicien auquel un inconnu vient régulièrement présenter des schémas de circuits électroniques de plus en plus complexes. Il ne veut pas en faire connaître l’auteur, mais il vient chercher les pièces correspondant à ces montages. Bon, se dit l’amateur de science-fiction tant soit peu averti : il y a robot ou cerveau électronique sous roche. Et, effectivement, c’est là la révélation que l’auteur a préparée. Le visiteur est en quelque sorte l’esclave d’un super-cerveau électronique, qui paraît avoir des idées de conquête, et que le narrateur parvient à court-circuiter en fin de compte. Cela n’est guère nouveau. Stanislas Lem est moins un pessimiste qu’un inquiet, et il se complaît à décrire ce sentiment chez son narrateur, dont les jérémiades finissent par lasser quelque peu. En revanche, le passage qui précède le dénouement, passage qui présente le narrateur « connecté » dans le circuit du cerveau, possède un accent à la fois visionnaire et délirant, assez réussi. Cependant, la nouvelle est beaucoup trop longue pour sa substance : cinquante-huit pages pour une idée fondamentale, cela doit être vraiment bien fait pour que le lecteur applaudisse. Or, ici, c’est fait avec un métier correct, sans plus.
La nouvelle suivante s’intitule L’obscurité et la moisissure, et le personnage principal est à nouveau un inquiet. Un inquiet qui contemple, passablement hébété semble-t-il, la prolifération de ce qui paraît être des microbes mutants. Comme la reproduction par scissiparité s’accompagne, pour les besoins de la cause, d’un appréciable dégagement de chaleur, tout fini par un embrasement. Si la substance n’est guère plus riche que dans le récit précédent, la brièveté de cette nouvelle lui confère une densité plus grande, et l’observation au second degré est faite avec minutie. Un savant pouilleux observe les microbes mutants, et l’auteur observe le savant pouilleux.
Le troisième récit, Le marteau, est le plus réussi du volume. Lem y développe un thème qui n’était qu’esquissé dans les deux premières nouvelles, celui de la solitude. Le début du récit comporte de longs dialogues, et l’essence et la situation des interlocuteurs sont révélées avec adresse ; le lecteur peut d’ailleurs deviner avant la révélation effective, sans inconvénient : le récit ne se termine pas pour autant.
Une centaine de pages, à la fin du livre, est occupée par Le bréviaire des robots. Apparemment, il s’agit d’extraits d’un autre ouvrage de l’auteur. On a là des épisodes, indépendants les uns des autres, qui présentent les exploits d’une sorte de Münchhausen de l’ère spatiale. Racontés à la première personne du singulier, ces récits sont placés sous le signe de l’hénaurme, et Stanislas Lem ne s’y montre aucunement avare d’idées. Mais la chaîne de pétards fait tout de même long feu : la pantalonnade-fleuve n’a guère attiré d’auteurs, et cela se comprend. En une centaine de pages, on en distingue ici les écueils ; le principal de ceux-ci est l’essoufflement auquel mène un ton qui ne tire sa meilleure efficacité que des contrastes, et qui est, en ces pages, laissé à lui-même.
Il est de bon ton, actuellement, de manifester une sorte de méfiance à l’égard de ce qui vient des États-Unis. Les volumes récents de « Présence du Futur » démontrent qu’une telle attitude n’est aucunement justifiée dans le domaine de la science-fiction. Dans le cas particulier, Stanislas Lem enfonce laborieusement des portes qui sont grandes ouvertes outre-Atlantique depuis plus de vingt-cinq ans. La mesure la plus triste du niveau actuellement atteint par la collection est que ce livre n’est même pas inférieur à la moyenne des titres récemment publiés par « Présence du Futur ». Exception faite des deux volumes d’Asimov. Lequel est comme par hasard Américain.
Demètre IOAKIMIDIS Première parution : 1/6/1967 Fiction 163 Mise en ligne le : 20/11/2022