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C'est ainsi que les hommes vivent

Pierre PELOT



LIVRE DE POCHE (Paris, France) n° 30550
Dépôt légal : avril 2006
Roman, 1178 pages, catégorie / prix : 10 €
ISBN : 2-253-11448-0



Quatrième de couverture
     Automne 1999. Lazare Grosdemange, journaliste et grand voyageur, revient sur les lieux de son enfance. Un accident lui a fait perdre la mémoire dans des circonstances troublantes qu'il cherche de toutes ses forces à éclaircir.
     Au début du XVIIe siècle, dans cette partie des Vosges, Dolat, fils d'une paysanne brûlée pour sorcellerie, apprend qu'il a été recueilli par les religieuses de Remiremont et adopté par une demoiselle de haut lignage. Il se retrouve impliqué avec Apolline, sa « marraine » devenue sa maîtresse, dans les intrigues qui secouent le duché de Lorraine, et doit s'enfuir vers la Bourgogne voisine. La guerre de Trente Ans qui dévaste la Lorraine atteint bientôt ces régions sauvages et sépare les deux amants.
     Par des voies secrètes et souterraines, la quête de Lazare Grosdemange va croiser, au-delà des siècles, les aventures de Dolat, « fils du diable ».
     Fresque hallucinée de la guerre de Trente Ans et roman contemporain, C'est ainsi que les hommes vivent est une immense aventure du langage et de la mémoire.
Critiques

            Énorme pavé écrit sur deux ans après d’imposantes recherches documentaires, CAQLHV est le chef-d’œuvre de Pierre Pelot, comme en font les Compagnons du devoir. Il fait entrer Pelot dans la petite confrérie des écrivains de fresque, aux côtés de Tolstoï et des autres photographes d’univers.

            1599, dans les Vosges, une pauvre femme dont le seul tort est d’être trop belle est envoyée au bucher par de faux témoignages. Dans sa prison, alors qu’on va la soumettre à la question, elle accouche d’un enfant qui devait être celui de la félicité et qui sera celui du malheur, né le poing en avant sur la paille d’un cul de basse fosse. Exposé après le supplice de sa mère, Dolat est « adopté » sur un coup de tête par la très jeune Apolline, fille de petite noblesse promise à devenir chanoinesse de Remiremont. Elle sera sa « marraine » avant de devenir, plus tard, sa maitresse et son unique amour. Trente-six ans de rapprochements et de séparations récurrents pour les deux jeunes gens, d'abord entre libertinage et complot de cour, puis en fuite hors du monde balisé de la ville, vers cet en-dehors qu’on appelait au Moyen-Âge la Sauvagerie, le tout au milieu des affres de l’abominable Guerre de Trente Ans.

            1999, dans les Vosges, Lazare, grand reporter revenu au pays, commence une quête de ses origines qui le reliera sans le vouloir à ces hommes et femmes ensevelis par l’Histoire, et à un trésor enterré pour lequel beaucoup ont vilement massacré.

            En 1179 pages, Pelot fait revivre un monde disparu, par la langue d’abord, mélange de français archaïque et de patois vosgien, impressionnant dans des dialogues rugueux et de peu de mots, par la profusion de détails, ensuite, où tout est décrit, même et surtout le plus ignoble, toutes ces animalités d’où peinait à s’extirper l’humanité d’une époque bien primitive. En ce début du XVIIe siècle, la Renaissance n’a pas vraiment atteint les marches vosgiennes, encore moins l’infinité des gueux, urbains ou forestiers, qui peuplent la région. Hormis la prospérité de quelques nobles et religieux, la vie là-bas est atrocement dure. La justice, impitoyable, est de plus formidablement injuste. L’existence est courte, entre malnutrition, maladies, malemorts. On vit dans la merde et l’ordure, on peut mourir à tout moment, on se prostitue pour manger (mal), on mange même ses enfants, paraît-il, quand tout va trop mal. Les hommes vivent mal, et les femmes bien plus. Dans un monde d’hommes, une femme est un bien qu’on peut céder, vendre, acheter, et qui doit, pour survivre sans se prostituer, avoir un « homme » qu’il n’est pas besoin d’aimer. En lui ouvrant son entrecuisson, on obtiendra de lui aide matérielle et identité déléguée.

            Détails et langage s’allient pour balayer toute la vie de ces miséreux (prolétaires étymologiques) dont le monde n’a que faire. Gueux des taudis urbains, forestiers exonérés de corvée, charbonniers des forêts profondes, mineurs d’argent ou d’or, tous tentent de survivre, fût-ce au prix de la vie des autres. Il n’y a de solidarité qu’au sein de l’immédiate communauté, là où on peut survivre et forniquer, prolonger sa vie et prolonger la vie. L’étranger est souvent inutile, au pire une menace, au mieux une proie. Et quand la guerre arrive, qu’elle est cruelle comme jamais, qu’on torture et qu’on tue pour rire (rappelons que les horreurs de la Guerre de Trente Ans furent à l’origine du premier droit de la guerre), la bestialité des sédentaires doit se hisser au niveau de celle des écorcheurs en maraude. Des deux côtés, on tue, certes, mais on profane aussi, par plaisir, quand on ne mange pas. Gueux et écorcheurs sont deux faces d’une même pièce, indifféremment l’une ou l’autre, c’est d’autant plus vrai pour Dolat et Apolline, qui devront aller au fond de l’abjection pour continuer à vivre. Racontant misère et malheur, la langue, les phrases de Pelot emportent tout sur leur passage. Comme un fleuve en crue, le verbe de Pelot saisit et entraîne loin, si loin son lecteur. Les premières dizaines de pages consacrées au supplice de la « sorcière » époustouflent et donnent le ton, les scènes de massacre et de torture qui closent le récit aussi. C’est ainsi que les hommes vivent – comme des bêtes qui voudraient aimer et trouvent de petits ilots de joie dans un océan de lancinante souffrance –, qu’ils meurent aussi, souvent. Et rien n’a changé sous le vernis de civilisation, Lazare le sait bien. En 1999 aussi des hommes cherchent le trésor caché et des hommes meurent pour lui. Et que dire des guerres modernes, en Tchétchénie ou ailleurs, qui ne comptent pas moins de massacres de masse, viols, humiliations et mutilations. Il suffit de s’éloigner un peu du centre occidental et d’aller vers la périphérie mondiale, vers ces marches jumelles de celles que parcoururent éperdument Dolat et Apolline, loin de la sécurité relative de leur jeunesse. La bestialité est toujours là, n’attendant qu’une occasion de s’exprimer, qu’un humain de hasard sur qui se déchaîner.

Éric JENTILE
Première parution : 1/1/2016 dans Bifrost 81
Mise en ligne le : 1/11/2020

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition DENOËL, (2004)

     Voici donc ce roman qui a connu une si longue gestation, écrit sur deux ans mais déjà bénéficiaire d'une bourse à la création en 1994 afin de mener les recherches nécessaires. Il ne s'agit pas de S-F, bien que cette Lorraine du XVIIe offre un dépaysement et un exotisme au moins aussi grands que l'exploration d'une autre planète. Il ne s'agit pas non plus de fantastique, même si le roman s'ouvre sur un procès en sorcellerie minutieusement conté, observé par les mentalités de l'époque, et se poursuit par une impressionnante descente aux enfers. Il s'agit simplement d'un roman de Pelot, d'un grand roman où l'on retrouve toutes les qualités de l'auteur, un récit d'une extrême noirceur où surnagent cependant des îlots de tendresse : Dolat, né pendant la captivité de la supposée sorcière, échappe à la mort et devient le filleul d'adoption d'Apolline, une fillette de haute lignée éduquée par les religieuses de Remiremont. Mais la belle marraine qui déniaise le « fils du Diable » à son adolescence l'entraîne dans ses intrigues coupables : ayant cherché à se débarrasser de la mère supérieure qui a aboli certains privilèges des religieuses par des maléfices auxquels elle a associé Dolat, elle fuit avec lui dans la montagne habitée par des « myneurs » et des « forestaux » vivant en marge de la société et des juridictions locales. Les péripéties, et elles sont nombreuses, qui ont jusqu'ici émaillé la vie de ces deux personnages, ne sont rien en comparaison des épreuves qui les attendent. Ce cortège de malheurs où l'humain descend toujours plus bas sans jamais toucher le fond atteint son point culminant lors des sanglants épisodes de la guerre de Trente Ans.

     Parallèlement à cette intrigue, Lazare Grosdemange, grand reporter récemment victime d'une crise cardiaque qui l'a rendu partiellement amnésique, se penche sur ses origines jusqu'à ce que ses recherches croisent les événements dont ses ancêtres furent les acteurs. Travail de mémoire pour retrouver des bribes de sa vie, mémoire du passé : la double quête rejoint celle de l'identité. Cette préservation de l'oubli est également à l'œuvre quand Apolline entreprend d'écrire sa vie. Pelot, pour qui écrire, c'est respirer, souligne bien les vertus identitaires de l'écriture, a fortiori si elle est biographique (ce qu'est en partie ce roman) : « Parce que l'écrire, c'était admettre. Qu'admettre c'était donc exister... »

     On n'avait pas lu pareille fresque depuis longtemps. Pierre Pelot a magnifiquement restitué le moindre détail de cette sombre période, en effectuant notamment un impressionnant travail sur le langage, qui intègre les mots d'alors dans un phrasé très contemporain. C'est un torrent de mots qui roule, dévale et ravine, un torrent qui n'est pas fait d'une eau pure comme les phrases filtrées pour éliminer les redondances, choisir les expressions et peser le sens des mots, mais une eau de terre et de pierres mêlée, qui charrie un vocabulaire glaiseux encore mal dégrossi de sa gangue originelle, des gravillons de patois crachés avec un accent rocailleux, des expressions profondément racinées dans le rude quotidien du lieu et de l'époque, des tournures anciennes immergeant dans ce passé révolu le lecteur ballotté comme un fétu, tournures qui se succèdent tumultueusement le long d'infinis déroulements de phrase, virevoltant et tourbillonnant dans le flot furieux des pensées cherchant à se fixer comme des branchages qui s'accrocheraient sur une berge ou un tronc flottant qui se coincerait entre deux rocs de certitude, revenant avec obstination sur l'image, l'idée, la scène, pour les mieux préciser, à coups d'adverbes et d'adjectifs qui sans cesse nuancent, corrigent, retouchent ou redressent l'impression première, avec l'impossible mais convaincant et sinon séduisant projet de réaliser par ces patientes touches impressionnistes une fresque hyperréaliste qui restituerait la trame et la texture même de ce monde éteint, afin de témoigner que c'est ainsi que les hommes vivent.

     Ce roman n'est pas un chef-d'œuvre de plus de Pierre Pelot : c'est son chef-d'œuvre !

Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 1/1/2004
dans Bifrost 33
Mise en ligne le : 1/3/2005


Edition DENOËL, (2003)

     La guerre de Trente Ans du point de vue des petites gens
     Le fameux conflit du XVIIe raconté en filigrane dans un thriller à la fois historique et contemporain. Le dernier roman monumental de Pierre Pelot charrie toutes les saveurs de la langue de l'époque.

     Littérature. Pierre Pelot semble s'être donné pour mission de raconter l'humanité. Sur la lancée de son impressionnante série « Sous le vent du monde » qui narre, en quatre gros volumes, la préhistoire de l'Homme, il livre aujourd'hui un énorme récit, 1111 pages dûment numérotées, dont les évènements prennent place au début du XVIIe siècle.
     Pas triste, ce début de siècle... A l'extrême fin de décembre 1599, on arrête, torture et brûle comme sorcière une femme qui n'avait pour tort que d'être belle, intelligente et fidèle à son mari. D'emblée, le ton est donné. Ignorance, pauvreté et saleté font le lit de la brutalité, d'une cruauté insensée nourrie d'une religion omniprésente et mal comprise. Le supplice de la pauvre femme est rendu dans tous ses sordides détails avec une âpre densité.
     Langue râpeuse
     Il faut dire que, reprenant la technique éprouvée dans sa série préhistorique, Pelot rédige son récit dans la langue de l'époque. « Il vint le poing d'abord, ce qui était d'augure méchant, selon ce que de grande mémoire on avait vu coutumièrement. » Etrange poésie de mots vieillis ou oubliés, (qui figurent parfois dans un glossaire hélas incomplet à la fin du livre). Mots qui, cependant, libèrent leur sens dans le contexte. « Garce » n'est que le féminin de « gars » et l'on ne dit pas « tout de go » mais « tout de gob », qui vient de gober, avaler d'un coup. On se trouve à l'opposé de la littérature superficielle, légère, aérée, mais on plonge dans une littérature épaisse, charnue, qui a de la densité, du goût et des odeurs, épicée, comme un potage d'autrefois se démarque d'un bouillon clair. Pelot travaille la langue comme un paysan d'antan labourait la terre : lentement, durement, avec acharnement, en y consacrant beaucoup de temps. Le rythme est lent, qui donne une sorte de langueur au récit. La description est ample, complète, détaillée. On sent le mouvement de la vie.
     Celui qui est né le « poing d'abord », c'est Dolat, le fils de la sorcière qui a accouché en prison. Un enfant que la matrone acccoucheuse n'a pas eu le cœur de tuer, comme on le lui ordonnait, et qui l'a déposé sous le porche d'une église, comme nombre d'enfants non désirés à l'époque.
     Diable de fuite
     Le roman conte la vie de Dolat, marqué par le diable. Mais où est Dieu ? où est le diable ? dans cette époque qui voit surgir la plus terrible des guerres de religion : celle de Trente Ans, qui tua le tiers de la population de l'Europe ! Dolat amoureux de sa marraine, Apolline d'Eaugrogne, chanoinesse dévergondée (comme d'autres) à l'Abbaye de Remiremont, « dans le pays des Vosges, en Lorraine » qui donne son cadre au récit. Apolline qui d'abord aime Dolat, puis se sert de lui, le défigure, puis lui demande son aide pour fuir. Notamment dans les forêts, où l'on fait connaissance des « froustiers », ces forestiers frustes que l'acte écrit d'un roi a autrefois déclaré libres. Fuir, car cette époque maudite n'est que succession d'intrigues, de traîtrises, d'épidémies, de violences, de destructions, de malheurs, de morts et d'horreurs.
     En alternance avec les chapitres qui racontent la vie de Dolat et d'Apolline, on suit, cinq cent ans plus tard, en 1999-2000, Lazare Grosdemange, reporter qui revient sur les lieux de son enfance après un infarctus qui lui a ôté une partie de sa mémoire. Intéressé par un trisaïeul bagnard, dont il cherche à percer le mystère de la condamnation, Lazare se trouve confronté à de puissants notables d'une part, mais il va aussi croiser la vie de Dolat, par-delà les siècles.
     Roman d'intrigues et de suspense, récit policier et thriller historique, « C'est ainsi que les hommes vivent » est certainement à ce jour l'œuvre la plus achevée de Pierre Pelot. Outre qu'il montre le grand talent d'écrivain de son auteur, la force de ce récit est qu'il raconte la guerre de Trente Ans vue par les petites gens, qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Sinon qu'on les étripe. Et si ça se trouve, Pierre Pelot figurera au livre des records pour la phrase incroyablement longue, sans cesse relancée par des « et après », « paraprès », « après », « et », « puis », qui s'étend de la page 581 à la page 588 ! Sacré livre, solide lecture et fameux écrivain, ma foi !

Jean-François THOMAS (lui écrire)
Première parution : 1/10/2003
24 heures
Mise en ligne le : 3/1/2009

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