La réputation de Johan Heliot, en tant que romancier, ne cesse de grandir depuis La Lune seule le sait. Il construit une bibliographie composée de livres tous aussi étonnants les uns que les autres, n'hésitant pas à aborder des genres bien différents comme l'Uchronie, la littérature jeunesse, le Steampunk ou, comme c'est le cas avec La Couleur de la Faim, la fantasy urbaine.
C'est parce qu'il en a assez de devoir se rabattre sur du second choix, des vieux qui ne sont plus bons à rien dans Les Prairies, que Morcaï Treznor a entrepris le long voyage qui le mène à Perdition, consulter un thérapeute. Mais, dans son cas, une opération ne servirait à rien ...il faut revenir à la nature ! Or, Morcaï est un ogre qui a besoin de s'emplir la panse de chair humaine.
Et, dès son arrivée, il ne passe pas inaperçu. En effet, il débarque au début de la période de La Rencontre, une suite de combats, entre les héros de chaque clan, qui permet de désigner le Champion. Pour être auréolé d'une réputation de vainqueur, chaque héros livre des combats « préparatoires » dans tous les lieux de la ville. C'est ainsi que Morcaï est défié par l'as du clan des Elfes. Mal lui en prend, la lutte tourne vite à l'avantage de l'ogre qui transforme le héros en épave.
Commence pour Morcaï un parcours terrible où il est agressé, torturé, entraîné dans des coups tordus, sans y comprendre rien. Mais ces événements réveillent sa faim !
Pour ce roman, Johan Heliot invente un univers peuplé de toutes les créatures fantastiques qui ont dû émigrer, fuir le vieux monde qui ne les reconnaissait plus et les traquait. Il anime une société, à l'image de celles des humains, dans une cité gigantesque construite sur une île. Si l'analogie avec Manhattan est flagrante, elle l'est également dans le rappel du massacre des populations locales par les colons sur tous les territoires du Nouveau monde.
L'auteur emprunte aux natures légendaire, animale et humaine pour brosser une série de personnages peu communs, leur laissant la duplicité, le goût et l'appétit du pouvoir. Ces traits de caractère s'accompagnent, bien sûr, d'un fort penchant pour la « tambouille » politicienne, pour les magouilles et manœuvres nécessaires pour se faire élire, et réélire encore et toujours, quel qu'en soit le prix à payer. Il dresse un catalogue de coups bas, retors et vicieux, ajoutant aux turpitudes de l'esprit humain, la capacité d'aggravation par la magie.
Avec ces personnages et cette situation, il concocte une intrigue complexe, tortueuse, basée, entre autres, sur les rapports ambigus de ceux que la course au pouvoir oblige à cohabiter, ceux qui doivent naviguer dans un environnement de mensonges et de tromperies, étant eux-mêmes les auteurs de non-dits, de fausses nouvelles et de vraies rumeurs. Mais il sait détendre cette atmosphère et émaille cette guerre de traits d'humour, de situations comiques, au premier comme au second degré.
Johan Heliot propose des fictions très agréables à suivre, tout en pointant du doigt les travers de notre société.
La Couleur de la Faim est une réussite de plus à mettre à l'actif de cet auteur talentueux.
Serge PERRAUD
Première parution : 21/11/2006 nooSFere