DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : novembre 2006, Achevé d'imprimer : octobre 2006 Première édition Roman, 496 pages, catégorie / prix : 25 € ISBN : 2-207-25664-2 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Fantasy
Quatrième de couverture
Depuis qu'il est enfant, Jack Chatwin a des visions. Il voit de façon très réaliste un couple -Visage Gris et Visage Vert -poursuivi par un démon et la troupe de traqueurs sous ses ordres. Qui sont ces créatures ? Où se trouve leur monde, tout en forêts inviolées et en cités blanches aux tours démesurées ? Les réponses échappent au jeune Jack, jusqu'à ce qu'il rencontre John Garth, un archéologue qui, tel Achab à la poursuite de Moby Dick, cherche Glanum, une cité mythique qui semble se déplacer sous le sol, ou plutôt sous la réalité.
Quelques années après que John Garth a été littéralement happé par Glanum, Visage Gris prend pied dans la réalité de Jack et lui demande de l'aide. Conscient que le sort de deux mondes repose entre ses mains, Jack part à la recherche de Visage Vert, débutant ainsi la plus dangereuse des quêtes.
Publié outre-Manche entre son cycle de La Forêt des Mythagos et celui du Codex de Merlin, La Chair et l'Ombre est souvent considéré comme le chef-d'œuvre de Robert Holdstock.
Lauréat du World Award et de deux Grands Prix de l'Imaginaire,Robert Holdstock, né en 1948, est mondialement connu pour son cycle de La Forêt des Mvthagos (Denoël, 2002).
1 - Note de l'auteur (1996), pages 466 à 466, notes, trad. Florence DOLISI 2 - Alain SPRAUEL, Bibliographie des oeuvres de fiction de Robert Paul Holdstock, pages 469 à 477, Bibliographie (lire ce texte en ligne)
Critiques
« Il n'existe pas de frontière entre notre terre et votre esprit. Pensez-y comme au territoire d'un animal dont les frontières ne sont pas des barrières physiques mais des marques odorantes. C'est un autre jeu de dimensions. »
Ce n'est pas une enfance ordinaire qu'a connue Jack Chatwin. Dès l'âge le plus tendre, le garçon est devenu le sujet d'un phénomène étrange et inexpliqué : le miroitement. Sans crier gare, le jeune Jack plonge ainsi dans une transe — sorte de rêve éveillé — qui l'isole totalement de son environnement et le projette dans un univers préhistorique à la fois lacustre et forestier ; un rêve qu'il exsude littéralement par tous ses pores, et dans lequel il assiste en témoin à la fuite d'un couple — Visage vert et Visage gris — devant une menace qui prend l'apparence d'un taureau. Quel est ce monde ? Qui sont ces fugitifs ? John Garth, un archéologue excentrique, semble connaître les réponses. Cependant, le fouilleur est obsédé par sa propre quête : celle du cœur vivant de la cité fantôme de Glanum dont il exhume les échos pétrifiés sur toute la surface de la Terre. Cette quête finira par le dévorer au sens propre sous les yeux de Jack qui devra attendre l'âge adulte et l'irruption dans la réalité d'un des deux fantômes de ses visions pour se livrer à une introspection dans les profondeurs de son inconscient.
De Robert Holdstock, on garde le souvenir du cycle de « La forêt des Mythagos »ou de l'inachevé — pour l'instant — « Codex Merlin » (le troisième et dernier tome étant à paraître au Pré aux clercs) ou encore du recueil Dans la vallée des statues et autres récits. Peut-être même se souvient-on de son incursion dans le domaine science-fictif avec le roman Le Souffle du temps. Tous ces ouvrages sont bien sûr plus que recommandables, à la différence des titres plus médiocres de l'auteur parus chez Mnémos et au Seuil dans sa collection « Points Fantasy ». Bonne nouvelle pour nous, La Chair et l'ombre s'inscrit dans la meilleure veine de l'auteur britannique. Certes, le roman n'est pas de la première jeunesse (il est paru outre-Manche en 1996) et il peut rebuter plus d'un lecteur de fantasy habitué à d'autres ressorts. En effet, rien n'est plus éloigné des pantomimes formatées vendues sous l'étiquette fantasy que cette œuvre intimiste hantée par des visions fantomatiques que l'auteur tente d'ordonner, sans trop en dévoiler quand même, en un univers cohérent. Ce roman est davantage un écho subtilement déformé du cycle de « La forêt des Mythagos » qu'une redite de ces récits épiques dépouillés de la densité et de la profondeur de leurs racines primordiales. La Chair et l'ombre est une quête : celle du terreau mythique où s'enracinent les manifestations paranormales dont les échos résonnent à la fois dans la psyché de Jack Chatwin et dans son environnement proche, allant jusqu'à lui ravir sa fille. C'est une quête qui mêle physique quantique, archétypes jungiens et métaphysique. Une quête qui va mener le Moi principal, isolé, défini et autonome — le MoPIDA — de Jack à défricher un paysage intérieur façonné par son inconscient et celui de l'espèce humaine toute entière et à dresser une cartographie éphémère de cette matrice primitive du conscient où coexistent archétypes, entités spectrales issues de vies antérieures, mythes-imagos (mythagos), réminiscences préhistoriques et vestiges de croyances révolues. Evidemment, ce voyage n'est pas sans risque car le territoire traversé est aussi fuyant qu'un souvenir et aussi labyrinthique que le cerveau. Les profondeurs de l'inconscient sont une dimension où le temps n'a pas la même emprise mais où l'on peut mourir aussi définitivement que dans la réalité.
Tout ceci semble bien complexe, sauf que le roman de Robert Holdstock n'est pas seulement un théâtre où évoluent des ombres chimériques. Il est peuplé d'êtres de chair qui ne se limitent pas à un rôle d'archétype. Jack Chatwin, son épouse, l'amant de celle-ci et Visage gris lui-même ; tous ces personnages ont une existence terriblement humaine finalement. Partagées entre leur ambition et leur désir de bien faire, guidées par leur volonté de savoir, perturbées par des relations intimes compliquées et confrontées aux petites lâchetés quotidiennes, leurs existences introduisent une dimension plus psychologique dans le roman.
Bref, pour peu qu'on se laisse prendre par une narration qui suggère plus qu'elle ne dit, par des descriptions qui évoquent plus qu'elles ne montrent. Pour peu que l'on surmonte les quelques passages explicatifs sur l'inconscient et le rêve éveillé — sans doute le point le plus rébarbatif du roman — , on peut succomber au charme indéniable d'une histoire humaine qui réconcilie inconscient collectif et fantasy exigeante.
Depuis son enfance, Jack Chatwin a un don étonnant : il a des visions. Mais pas n'importe lesquelles : les siennes s'accompagnent de phénomènes extérieurs, comme cet étrange miroitement autour de son corps, qui exhale en outre les odeurs des scènes vécues par Jack. Dans ces visions, Jack aperçoit un couple, qu'il baptise Visage Gris et Visage Vert, en fuite devant une créature énorme. La vie de Jack, qui fut un temps l'objet d'études scientifiques, est retournée dans l'anonymat. Jusqu'au jour où il rencontre Garth, un archéologue d'un genre particulier. Ce dernier traque en effet Glanum, une cité mythique, supposée selon lui se déplacer dans les entrailles de la Terre. Mais Garth disparaît un jour sans apporter de réponses aux questions que se pose Jack ; aussi, sur l'insistance de sa femme, décide-t-il d'entreprendre des expériences scientifiques, durant lesquelles il va explorer son propre Hinterland, son préconscient. Un voyage à l'intérieur de soi que Jack va vivre physiquement, dans un monde imaginaire censé reproduire le contenu de son préconscient.
L'idée de ce roman est originale : aborder l'étude du subconscient sous l'angle d'une quête de fantasy. Ou aborder la fantasy sous l'angle psychologique. Ou comment le monde réel (le subconscient) et le monde de fantasy s'interpénètrent par le biais de figures archétypales. En somme, un livre-synthèse de l'oeuvre de l'auteur, qui a placé les archétypes au coeur même de celle-ci, depuis La forêt des mythagos. Ce roman se lit donc visiblement à plusieurs niveaux : celui, simple, d'un homme qui tente de sauver sa propre fille — menacée par Visage Gris — tout en étant en quête d'identité ; et celui, plus ardu, de méta-discours sur les rapports entre psychologie et fantasy. Le premier niveau se lit sans déplaisir, Holdstock excellant à brosser le portrait de personnages crédibles et attachants, et à évoquer des scènes visuellement marquantes, comme l'émergence de Glanum qui emporte Garth, ou la scène en flash-back qui explique l'enfance de Visage Vert. Le deuxième niveau, en revanche, posera des problèmes au lecteur peu au fait de la psychologie jungienne (ce qui est le cas du présent critique). Privé de repères, il aura ainsi du mal à identifier ce qui ressort de l'archétype dans l'Hinterland, et perdra la majeure partie du méta-discours de Holdstock.
Il n'en reste pas moins qu'en tant que roman fantastique, La chair et l'ombre se lit sans déplaisir. Mais avec l'impression de ne pas comprendre grand-chose de son vrai propos (à moins d'avoir lu l'oeuvre de Jung).