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La Possibilité d'une île

Michel HOUELLEBECQ



LIVRE DE POCHE (Paris, France) n° 30729
Dépôt légal : février 2007
Roman, 480 pages, catégorie / prix : 7,50 €
ISBN : 978-2-253-11552-6
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture
     Qui,
     parmi vous,
     mérite
     la vie
     éternelle ?
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition FAYARD, (2006)

     Les médias se sont tant répandus, à tort et à travers, sur le dernier roman de Michel Houellebecq, que sa présence en ces pages, qui plus est accompagnée de celle de Cosmos Incorporated de Maurice G. Dantec — autre apocalypse des ruines du monde humain — , pourrait paraître incongrue, presque déplacée, si précisément son magnifique dernier roman, La Possibilité d'une île, ne relevait pas directement du genre qui nous intéresse ici. Ah ! rendez-vous compte : cette année, le sacro-saint Prix Goncourt, censé consacrer l'élite littéraire du pays, a bien failli échoir à un roman de science-fiction dont l'auteur, qui se fit connaître avec une remarquable biographie critique de H.P. Lovecraft (Contre le monde, contre la vie), ne cache pas son intérêt pour un genre qu'il considère même, si l'on en croit certain article paru en 2002 dans la revue de la « NRF », comme la meilleure chose que le XXe siècle ait engendré ! Mais de tels déchaînements de passions ne sont rien au regard du salutaire cataclysme que son œuvre a provoqué dans l'univers sclérosé des Lettres françaises. Il faut croire Michel Houellebecq lorsqu'il prétend dans son journal en ligne, avec une candeur effarante, que La Possibilité d'une île est son chef-d'œuvre.

     L'essentiel de ce roman très drôle à la structure enchâssée — dont nous ne résumerons pas une intrigue déjà largement relayée par la presse — , servi par un style à l'admirable épure, est constitué par le « récit de vie » de l'humoriste Daniel1, roi incontesté du one-man-show ; les épisodes de cette autobiographie sans concession sont alors commentés deux mille ans plus tard par ses clones néohumains Daniel24 puis Daniel25. Amer, vieillissant, parfois ignoble, mais toujours lucide, Daniel1 renvoie à la société de son temps sa propre abjection : il est même récompensé pour cela puisque sa réussite lui apporte célébrité, considération, richesse, sexe facile. Personnage inoubliable, alter ego diabolique et cependant pathétique du Français moyen englué dans la zéropolis du XXIe siècle, Daniel1 crève de se voir vieillir : « Lorsque la sexualité disparaît, c'est le corps de l'autre qui apparaît, dans sa présence hostile ; ce sont ces bruits, ces mouvements, les odeurs ; et la présence même de ce corps qu'on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne ; tout cela, malheureusement, est connu ».

     La Possibilité d'une île, chapitré à la manière des Évangiles, entérine la vision naïve et aporétique de la sexualité que Michel Houellebecq décrit dans tous ses romans ; s'ils en appellent désespérément à la conscience sexuelle féminine de la femme, si, désemparés, ils cherchent à réhabiliter une sexualité masculine mise à mal par l'évolution des mœurs, s'ils sont les seuls artistes à enfin envisager la fellation non comme un acte littéraire de subversion mais comme celui d'une indicible tendresse, l'auteur et son personnage n'en sont pas moins douloureusement conscients de n'être que les jouets de pulsions et de schémas déterministes. Moins que la « misère sexuelle » dont on nous rebat les oreilles depuis son premier roman, Michel Houellebecq nous livre surtout un regard de presque quinquagénaire sur sa propre sexualité. Pour lui, la vie s'arrête à quarante ans. Or, pour l'auteur comme pour son double de fiction, « la disparition de la tendresse suit toujours de près celle de l'érotisme » : il était dès lors logique que Daniel1, écœuré par sa propre soumission à l'extension du domaine du fun et de l'infantilisme généralisé, désespéré par sa déchéance sexuelle à l'ère du triomphe de la dictature adolescente (« Jeunesse, beauté, force : les critères de l'amour physique sont exactement les mêmes que ceux du nazisme »), confiât son ADN aux Élohimites, raéliens à peine déguisés sur le point de synthétiser l'être humain. C'est ainsi que Daniel1, fort de cette promesse de renaissance cyclique, met fin à ses jours. « L'espace vient, s'approche et cherche à me dévorer »...

     « Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s'éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle. » (Daniel, 12-2)

     Nous savons, avec les commentaires de Daniel24 et Daniel25, que la folle entreprise élohimite a été couronnée de succès. « Je compris [...] que l'ironie, le comique, l'humour devaient mourir, car le monde à venir était le monde du bonheur, et ils n'y auraient plus aucune place » : le rire, pour Daniel1, n'était que la manifestation de la méchanceté. Après que la planète a été dévastée par les catastrophes climatiques et nucléaires, les néohumains, clones reclus dans la plus grande solitude physique au cœur de leurs bunkers disséminés à la surface du globe — tandis qu'au-dehors se traînent des hordes sauvages d'humains dégénérés — , ne connaîtront donc ni le rire, ni les pleurs ; ni l'amour, ni la haine. Sans désir, voués à épiloguer inlassablement sur les récits de la vie de leurs ancêtres, ils ne sont plus vraiment des hommes : machines biologiques pensantes, bien que nostalgiques de la souffrance et du bonheur, ils sont déjà morts. Au terme d'une existence morne, grise, plate, calme, sans joie ni malheur, ils se suicident à l'âge de cinquante ans, laissant place à leur successeur dont l'existence sera rigoureusement identique. Animale ou machinique, lentement l'humanité s'éteint.

     La fin du roman, poignante, d'une stupéfiante beauté, coïncide avec la fin des temps. C'est pourtant de ces tableaux de ruines, de désolation et de tristesse infinie, transcendés par la poésie, que naîtra l'espoir du titre : « Je sais le tremblement de l'être / L'hésitation à disparaître, / Le soleil qui frappe en lisière / Et l'amour, où tout est facile, / Où tout est donné dans l'instant ; / Il existe au milieu du temps / La possibilité d'une île. ».

Olivier NOËL
Première parution : 1/4/2006
dans Galaxies 39
Mise en ligne le : 4/2/2009

Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)
Possibilité d'une île (La ) , 2008, Michel Houellebec

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