Au cœur de la forêt ukrainienne, le petit Ivan découvre une jeune fille endormie sur un autel. Une présence inquiétante le pousse à s'enfuir. Des années plus tard, Ivan revient sur les lieux. Cette fois, il ose embrasser la belle... et se retrouve précipité mille ans auparavant, dans un monde parallèle où la sorcière Baba Yaga fait peser une terrible menace.
Une réinterprétation libre et magistrale de La Belle au bois dormant, par l'un des auteurs de fantasy les plus talentueux au monde.
« Orson Scott Card est un maître conteur... Enchantement en est la preuve ultime. »
Anne McCaffrey
Orson Scott Card est né en 1951. Mormon de stricte obédience, créateur d'univers multiples, tant dans le domaine de la science-fiction que de la fantasy, il est connu notamment pour Le Cycle d'Ender et Les Chroniques d'Alvin le Faiseur. Son œuvre a obtenu les plus grandes distinctions du genre.
Critiques
Cela fait maintenant un an que les éditions du Seuil ont lancé leur collection de fantasy en poche. Reconnaissons que jusqu'à présent, celle-ci n'a pas suscité notre enthousiasme pour son originalité. A quelques exceptions près (de mémoire, Les Brigands de la forêtde Skule de Kerstin Ekman, L'Abîme de John Crowley ou Fendragon de Barbara Hambly), ce sont surtout des titres médiocres ou, à la limite, passables, qui ont été réédités. Récemment quelques textes, déjà disponibles chez Phébus ou Les Moutons électriques, ont pourtant attiré notre attention : La Forêt d'Iscambe de Christian Charrière, Le Phénix vert de Thomas Burnett Swann, et le cycle de « Gormenghast » de Mervyn Peake, dont on recommande vivement la lecture intégrale de l'œuvre. Pour cette chronique, nous nous sommes penchés sur une autre réédition, celle d'Enchantement de Orson Scott Card. Certes, Card ne fait pas le poids face aux trois auteurs précédemment cités. Et puis, on s'est un peu lassé des déclinaisons en rafales d'Ender et aussi beaucoup agacé du prêchi-prêcha d'Alvin le Faiseur. Cependant, il semble bien qu'avec ce court roman — une qualité, en ces temps de fantasy interminable — l'auteur états-unien ait renoué, au moins provisoirement, avec la veine enchanteresse de Les Maîtres chanteurs ou encore de Espoir-du-cerf.
Le point de départ d'Enchantement évoque naturellement le conte « La Belle au bois dormant ». L'argument initial est d'ailleurs le même : une jeune femme est plongée dans un sommeil magique et attend le baiser d'un preux chevalier pour se réveiller, convoler en justes noces et enfanter une descendance, forcément prolifique. Bon, la comparaison s'arrête ici car la couche de la princesse se trouve sur un piédestal au milieu d'une fosse gardée par un ours affamé. De surcroît, l'histoire se déroule en Ukraine et aux Etats-Unis et effectue des va-et-vient entre deux époques que sépare un millénaire. Enfin, le chevalier est incarné par un jeune étudiant en littérature qui s'est spécialisé dans les contes slaves et pratique beaucoup l'athlétisme mais pas du tout l'art de la chevalerie. Vous l'aurez compris, ce roman, qui mêle des éléments des folklores slave et juif, est surtout un prétexte pour un amusement sans prétention. Orson Scott Card nous trousse, dans un style enlevé, un récit qui abonde en quiproquos croustillants générés par le choc des époques, sans pour autant leur retirer toute vraisemblance historique. Sur ce point, la reconstitution du monde slave archaïque montre même un effort de documentation méritoire. Il serait toutefois malvenu de suggérer qu'Enchantement est un roman historique, car le récit use essentiellement, tout en les détournant, des ressorts du conte. Ainsi, l'aspect effrayant de la malveillante sorcière Baba Yaga est-il totalement gommé au profit de ses relations particulières avec l'Ours qu'elle a ensorcelé, et avec lequel elle couche — un ours-dieu asservi qui ne se gène pas pour formuler ses avis très cyniquement. De même, les effets pyrotechniques et le manichéisme sont délaissés — ce dont on ne se plaindra pas — au bénéfice d'une magie de nature plus malicieuse.
Mais l'intérêt ne s'arrête pas là. Ainsi, en grattant sous le vernis du folklore, on perçoit une réflexion plus profonde sur la mémoire et la survie de la culture, donc de l'identité d'une civilisation à travers cette mémoire. De même, mais d'une manière plus moralisatrice et, peut-être, plus discutable, Orson Scott Card prêche-t-il une fois de plus pour le respect des différences et pour un retour vers des valeurs plus communautaires.
Sans être bouleversant, Enchantement s'avère donc une bonne pioche pour qui désire se distraire, une lecture rafraîchissante non dénuée d'un soupçon de profondeur, ce qui ne gâte rien.
Dans son enfance, Ivan s'est fait juif pour fuir la Russie, mais avant de partir, il a découvert une Belle au bois dormant. Lorsqu'il retourne sur place, après la chute du mur de Berlin, la Belle attend son baiser...
Or le voyage d'Ivan a justement pour but l'étude des récits folkloriques, pour vérifier “ si la théorie de Propp, selon laquelle tous les contes de fées russes, dans leur structure, n'en faisaient qu'un, était vraie ou fausse ” 1. Quoi de mieux pour cela que d'être projeté au Xème siècle, au cœur même d'un conte, dans un royaume oublié par les légendes, afin d'affronter la terrible sorcière Baba Yaga et le Dieu Ours ?
Avec ce conte de fées pour adultes, Card s'amuse à bouleverser les structures classiques, notamment dans leur chronologie. Tout commence par le baiser, le mariage suit de peu, tandis que l'amour peine à venir... Et si Ivan est un héros totalement inadapté au Moyen-âge, la princesse l'est de même à notre époque : ces contrastes induisent de nombreuses scènes savoureuses, comme cette traque en plein New York où enchantements et sortilèges remplacent filatures et corruptions.
Enchantement contient tout ce qui fait le charme des romans de Card : un talent de conteur inégalable, un style d'une parfaite fluidité, une tendresse évidente pour des personnages d'une épaisseur inhabituelle, une malice omniprésente...
En outre, ces aventures inventives, enlevées et amusantes se doublent d'une réflexion sur la relativité des cultures et des religions, mais aussi sur l'écriture et le rôle des contes. En greffant sur le conte traditionnel le voyage temporel et des thèmes contemporains, Card fait évoluer son récit vers une fantasy moderne et souligne ainsi la filiation de ces genres.
Le résultat est brillant et enchanteur, drôle et intelligent ; en un mot : indispensable !
Notes :
1. Wladimir Propp (1895-1970) est le premier a avoir dégagé les structures constantes et universelles propres aux récits traditionnels (Morphologie du conte, 1928) en mettant en évidence les 31 fonctions qui les gouvernent.