Voici le quatrième et dernier tome de L'âge de la déraison, la tétralogie de J. Gregory Keyes. Après un premier tome très réussi, et des suites satisfaisantes — même si l'effet de surprise du premier volume était passé — l'auteur va-t-il réussir à livrer une conclusion à la hauteur ? La réponse est indubitablement positive.
Désormais, tous les protagonistes sont sur le continent américain, de Benjamin Franklin à Adrienne de Monchevreuil, en passant par l'indien Red Shoes, les rois de France et de Suède et le tsar de Russie. Tous ces personnages, que Keyes a patiemment jetés dans l'intrigue depuis le premier tome, et qui se sont croisés durant tout le cycle, convergent tous vers New Paris, en Louisiane, pour le grand final.
On savait depuis longtemps que cela devait se terminer dans un conflit global, mais le moins que l'on puisse dire est que l'auteur s'est donné les moyens d'une superproduction hollywoodienne : la guerre entre les différents groupes a lieu aussi bien sur terre, dans la mer (en sous-marin) et dans les airs (en zeppelin). De plus, Adrienne doit affronter son propre fils, Nicolas, devenu l'Enfant-Soleil, une menace pour le monde, ce qui porte le combat sur un autre plan, celui de la lutte psychique. Il en résulte un récit trépidant, sans temps mort et empli de gestes héroïques, mais qui au-delà de ce pur plaisir de lecture, montre la guerre dans toute son horreur. Et que certains combattants se rendent compte brutalement qu'ils luttent contre les leurs, pour des raisons qu'ils ont un peu oubliées, n'est pas sans faire froid dans le dos.
A l'âge de la déraison succède fatalement celui de la raison ; ce cycle tout entier est donc à prendre comme le passage chaotique d'un monde à l'autre. Un mal nécessaire pour jeter les bases de ce qui sera peut-être un monde meilleur : les rois appartiennent au passé, l'esclavage aussi. Chacun libre de ses pensées et gestes. Keyes n'est toutefois pas dupe, et il fait dire à Benjamin Franklin que malgré la possibilité d'autres guerres, « [cette paix] qui avait été un jour pouvait être à nouveau, et encore à nouveau, tant qu'il restait des individus ayant le le coeur et la volonté de parler et d'agir ».
Un petit conseil, néanmoins, pour goûter au maximum ce livre : vu le nombre de personnages de l'histoire, et le nombre encore plus grand d'interactions entre eux, on préférera lire le cycle dans la continuité plutôt qu'en laissant passer quelques mois entre chaque tome. Sinon, on risque d'oublier certains pans de l'intrigue, et se retrouver parfois un peu perdu. Malgré ce petit bémol, L'âge de la déraison, récit d'aventures épique, mérite amplement sa place parmi les meilleurs publiés durant la dernière décennie, grâce à l'inventivité et au talent de scénariste de J. Gregory Keyes.