Le Prince du Graal n'est pas le premier roman de Nancy McKenzie inspiré par les légendes de la Table Ronde. Elle avait tout d'abord écrit sur Guenièvre deux livres, Guenièvre, l'enfant-reine et Guenièvre, la reine de Bretagne, réhabilitant ainsi celle qui depuis quelques décennies avait revêtu l'allure d'une femme mièvre, parfois même confite en bondieuseries. Dans Le Prince du Graal, toutefois, Nancy McKenzie tient le pari original de faire un héros attachant d'un homme qu'elle-même trouve profondément antipathique.
Galaad, le fils de Lancelot, a été élevé par sa mère Hélène dans l'idée que son père avait commis un péché impardonnable. L'amour partagé que celui-ci éprouve pour Guenièvre, la profonde amitié qui le lie à Arthur, l'insupportable tolérance de ce dernier pour leurs écarts de conduite et le chagrin immense qu'ils causent à sa mère, sont autant de torts que Galaad, dont la tête a été farcie de préjugés par Hélène et le père Aidan, ne pardonne pas. Tout comme il ne pardonne pas à Mordred le péché de sa naissance incestueuse.
Quand, à Camelot, au cours d'un combat l'opposant à Gauvain et à quelques-uns de ses frères qui lui avaient tendu un piège, Lancelot tue Gareth l'innocent, le seul ami de Galaad, le conflit du jeune garçon avec son père se mue en haine profonde.
Le Prince du Graal est un roman construit de façon à éviter toute linéarité, par le biais de flashes-back nombreux, concernant différentes époques. On se promène ainsi de l'âge adulte de Galaad, après la mort du roi Arthur, à son enfance, en passant par quelques épisodes-clés de la construction de sa personnalité tourmentée. Le fait que les éditions Pygmalion aient publié ce livre en deux parties, respectivement intitulées La prophétie de la Dame du lac et Les Sortilèges du désir, ne facilite pas la lecture, à moins de lire les deux volumes à la suite l'un de l'autre. De même, il est préférable, pour une meilleure compréhension, d'avoir lu auparavant les deux romans sur Guenièvre — mais cela expose à des redites. Car, d'une histoire très connue, Nancy McKenzie propose une interprétation profondément originale.
On regrettera la lenteur de la narration, chose qui, ajoutée aux multiples retours en arrière et à la forte antipathie qu'inspire presque de bout en bout le personnage principal, risque de lasser le lecteur. Mais il est des moments d'émotion pure, grâce à quelques personnages secondaires, comme Perceval, en particulier. La deuxième moitié des Sortilèges du Désir, où Galaad se rend compte du mal qu'il a pu commettre, lui, le chevalier au cœur pur, est particulièrement intéressante. Nancy McKenzie excelle dans la peinture des personnages et l'entrelacement des faits légendaires de la Quête du Graal à la « réalité » qu'elle raconte est vraiment réussi, respectant à la fois les codes du Roman Courtois traditionnel et ceux du roman historique moderne.
Un dernier mot au sujet de l'inspiration de l'auteur. Quoique la quatrième de couverture — et le titre français du premier volume — tentent de convaincre le lecteur de la considérer comme une nouvelle Marion Zimmer Bradley, Nancy McKenzie, quant à elle, se réclame de Mary Stewart, tenue outre-Atlantique pour l'auteur de l'un des plus grands cycles arthuriens, et restée non traduite à ce jour. Espérons que l'engouement nouveau des lecteurs francophones pour la fantasy et pour la Matière de Bretagne incitera quelque éditeur à publier en France cette œuvre méconnue !