EONS
(Caëstre, France), coll. Lunatique n° 96 Dépôt légal : janvier 2008 Première édition Revue, 248 pages, catégorie / prix : 14,80 € ISBN : 978-2-7544-0466-2 Format : 13,1 x 20,0 cm Genre : Imaginaire
Quatrième de couverture
Dans quelques minutes, ce sera la nuit complète, la nuit fermée à double tour sur le paysage désolé, la nuit avec son cortège d'ombres inquiètes, ses monstres sans visage, cette nuit aussi profonde et dangereuse que celle des origines...
(Rhénane zéro)
Les allées du temps s'arrêtent toujours aux frontières du silence. Les évidences se perdent dans les ronces des avenues, les routes défoncées de la nuit.
Mais à l'aube de cette journée d'été, la caravane se trouvait à plusieurs lieues des murs de la ville...
(Fontanarum Metamorphosis)
Un extraterrestre nommé James Joyce me donna à boire, à Trieste, un alcool si divinement fort que j'en délirai deux nuits de suite, avec rien qu'une courte interruption, placée comme il se doit dans la journée intervallaire...
(Hommage à Janus)
La maison est encore silencieuse, mais pendant la nuit — ou du moins durant toute une partie de la période dévolue au sommeil — , des craquements et des gémissements se sont succédés, et les dormeurs, par moments, se sont agités, comme si des rêves de mauvais augure les tourmentaient...
(Otages de l'hiver)
Les lèvres de Marcia étaient entrouvertes comme pour un baiser, mais ses yeux démentaient les promesses de sa bouche. Elle montra soudain les dents, prête à mordre plutôt qu'à me couvrir de tendresse...
(Lames de fond)
J'ai bien connu Betali Svön, écrit Tristram Jones. C'était sur Perséphone... Dans les années quatre-vingts...
1 - Richard COMBALLOT, Introduction, pages 7 à 10, introduction 2 - Rhénane zéro, pages 11 à 14, nouvelle 3 - Les Guêpes géantes de Fessenheim, pages 15 à 22, nouvelle 4 - Les Mille millions de chevaux de la planète Dada, pages 23 à 37, nouvelle 5 - Fontanarum metamorphosis, pages 38 à 41, nouvelle 6 - Richard COMBALLOT, Entre SF et Fantastique, pages 42 à 55, entretien avec Daniel WALTHER 7 - Hommage à Janus, pages 56 à 68, nouvelle 8 - Cantilène dans une flaque d'encre, pages 69 à 78, nouvelle 9 - Carguefoutre (une fantaisie hors-saison), pages 79 à 91, nouvelle 10 - Alain DARTEVELLE, Le Sexe féminin, SF façon Walther, pages 92 à 96, article 11 - Otages de l'hiver, pages 97 à 122, nouvelle 12 - Quelques notes pour une autre esthétique du Fantastique moderne, pages 123 à 127, article 13 - Lames de fond, pages 128 à 141, nouvelle 14 - La Reconquête du Brésil. La Dernière aventure de Napoleone Buonaparte, pages 142 à 151, nouvelle 15 - Villiers de l'Isle Adam, pages 152 à 159, article 16 - Gustav Meyrink ; fou, peut-être, mais génial, pages 160 à 163, article 17 - Pour saluer André Hardellet, pages 164 à 169, article 18 - Richard COMBALLOT & Daniel WALTHER, Traque à New Bornéo, pages 170 à 197, nouvelle 19 - La Planète égarée, pages 198 à 203, nouvelle 20 - Manuscrit trouvé dans un étui à cigare, pages 204 à 223, nouvelle 21 - Trails / Pistes, pages 224 à 226, nouvelle 22 - Richard COMBALLOT, Bibliographie des œuvres de Daniel Walther, pages 227 à 240, bibliographie
Critiques
Daniel Walther, qui, il y a peu, fit l'objet d'un « dossier Bifrost », est à l'honneur dans ce numéro spécial de Lunatique, le second après celui dédié au regretté Michel Demuth. Au sommaire quatorze nouvelles, dont quatre inédites, cinq articles, le tout accompagné d'un entretien avec Richard Comballot.
Comme ce dernier le signale, pour réunir une anthologie de Daniel Walther, il n'y a qu'à se baisser : le choix ne manque pas avec près de 160 nouvelles au compteur, souvent parues dans des supports confidentiels, partagées entre science-fiction, fantastique et fantasy, toutes plus ou moins fortement dopées à la testostérone. Car la sexualité est une constante chez l'auteur alsacien, qui est tout simplement incapable de se passer de cette dimension dans ces textes. Le recueil s'ouvre sur une belle et sombre nouvelle d'un narrateur confronté à l'Apocalypse et à sa propre mort, torturé par la question de : combien de temps encore ? Toujours dans les années 70, « Les Guêpes géantes de Fessenheim » traite de mutations dues au nucléaire, bien dans l'air du temps, alors que le vent de liberté et de révolte d'inspiration dadaïste qui souffle dans « Les 100 millions de chevaux de la planète Dada » connaît, sur fond de sexualité mortifère, une conclusion pessimiste. La sexualité dévorante, exigeante, de la femme, angoissante pour l'homme qui doute de ne pouvoir la satisfaire, se retrouve dans nombre de textes, fantasmatique avec le beau « Cantilène dans une flaque d'encre » qui évoque aussi la descente dans l'enfer de la dépression d'un écrivain qui se croyait « arrivé », fantastique dans « Caguefoutre » où s'immisce un fantôme lubrique, entre space opera et fantasy dans « Otages de l'hiver », et finalement menaçante dans « Lames de fond », où rôde la hantise de la castration. Alain Dartevelle se livre d'ailleurs à une intéressante étude sur le rôle et la place du sexe dans l'œuvre de Daniel Walther, lequel, dans ses articles, ne manque pas d'adresser un hommage à André Hardellet.
L'érotisme est une musique obsédante, les deux font d'ailleurs bon ménage comme il est démontré dans le « Manuscrit trouvé dans un étui à cigare », nouvelle qui rappelle que Daniel Walther est aussi un érudit impressionnant, qui truffe ses textes de références à l'art ou à l'histoire avec un naturel déconcertant. Ici, il évoque Joyce de façon étonnante, sous la forme d'un extraterrestre (« Hommage à Janus »), et dans « Traque à New Bornéo », écrit en collaboration avec Richard Comballot, il rend hommage à Conrad et Coppola. De fait, il ne craint pas de s'aventurer sur le terrain de l'uchronie avec une évasion réussie de Bonaparte dans « La Reconquête du Brésil ».
Journaliste et fantastiqueur accompli, Daniel Walther a aussi développé sur le genre des opinions qu'il délivre à travers des articles dénonçant l'omniprésence sanglante de l'horreur made in USA façon Stephen King et rendant hommage à des modèles comme Villiers de l'Isle-Adam et Gustav Meyrinck. Ses commentaires sur la science-fiction en passe de redevenir une littérature facile déclinant le space op' sont aussi à méditer.
Ce qui frappe à la lecture du recueil, c'est la dimension onirique dans laquelle baignent tous les textes. Daniel Walther écrit sur le principe du rêve éveillé, se lançant sans plan préétabli, et cela se voit : quand la fusion entre le rêve et le récit n'est pas totale ou immédiate, on voit le texte hésiter entre plusieurs directions, chercher un équilibre. Mais c'est aussi l'intérêt de ce type d'écriture que de donner à lire l'histoire à l'état brut, des impressions qui, visiblement, bataillent pour émerger jusqu'à ce que la nouvelle finisse par se centrer sur son propos et trouve sa cohérence.
Celle, en tout cas, de ce Lunatique est limpide : elle célèbre un auteur qui ne cède à aucune mode, et qu'on a trop souvent tendance à oublier — à preuve : il n'a pas d'entrée à son nom dans Wikipedia. Ce qui rend d'autant plus essentielle la lecture de cette anthologie.