« Selon la légende, les Insulaires demeuraient jadis sur leur île natale, assurant la descendance et maîtrisant les arts et les techniques ancestrales, tandis que les Vagabonds arpentaient le pays et leur rapportaient de loin en loin le fruit de leurs explorations. Et ceci depuis les temps immémoriaux. Mais il se produisit, un jour, un grand schisme qui rompit l'harmonie et signa la fin de tout un peuple. »
C'est avec cette accroche effroyablement banale, un titre pas vraiment excitant et une couverture terne que sort en France le premier tome d'une trilogie d'un anglais encore inconnu ici, Steve Cockayne. Et le tout début n'est pas plus rassurant : les personnages principaux (un militaire à la retraite, un jeune garçon vivant seul avec sa mère et le magicien du roi) ne semblent guère intéressants. On craint que ces trois-là se retrouvent dans une taverne pour nous infliger une quête initiatique de plus.
Heureusement, le récit quitte rapidement les lieux communs de la fantasy : le vieux roi meurt, le trône revient à un fils semblant sorti d'une école de management, des consultants en cravate poussent rapidement à la retraite forcée les vieux conseillers, le magicien se retrouve à la rue, le jeune garçon veut aller à l'université pour devenir cartographe et le soldat, chargé de remettre en état une vieille maison pour un propriétaire inconnu, la transforme en musée avec visite guidée.
On découvre alors un monde plus inspiré de l'Angleterre du début du XIXème siècle que du médiéval-fantastique, un univers sans héros ni magie où, plutôt que de s'intéresser au décor (à l'exception de la mystérieuse maison présente en plusieurs lieux), l'auteur se concentre sur les personnages. Il nous fait vivre leurs joies, leurs malheurs et leurs aventures plus psychologiques que physiques avec une grande efficacité et un style très fluide, auquel la traduction de Michelle Charrier ne doit pas être étrangère.
Tout cela conduit bien vite au bout de ces 290 pages qui, malgré une fin un peu brouillonne et pas toujours claire, délivrent un récit d'une grande originalité, plus proche de la finesse de Sylvie Denis dans Haute-Ecole ou du Terremer d'Ursula Le Guin que d'un récit héroïque à la Conan. On sent chez Steve Cockayne un véritable talent pour sortir des sentiers battus qui pourrait le mener vers un New Weird à la Jeff VanDerMeer dans ses prochains ouvrages.
René-Marc DOLHEN
Première parution : 5/11/2008 nooSFere