POCKET
(Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy n° 5921 Dépôt légal : avril 2009 Recueil de nouvelles, 414 pages, catégorie / prix : 10 ISBN : 978-2-266-16346-0 Genre : Science-Fiction
Ce livre porte par erreur le numéro 8921 au dos de la couverture. En conséquence, Pocket a réimprimé la couverture, en corrigeant le numéro et changeant très légèrement le titre (introduction d'une virgule).
1 - Roland C. WAGNER, Avant-propos, pages 7 à 12, Introduction (lire ce texte en ligne) 2 - Le Monde, tous droits réservés, pages 13 à 64, nouvelle 3 - Membres à part entière, pages 65 à 84, nouvelle 4 - Edgar Lomb, une rétrospective, pages 85 à 108, nouvelle 5 - L'Unique, pages 109 à 168, nouvelle 6 - Les Déracinés, pages 169 à 178, nouvelle 7 - Esprit d'équipe, pages 179 à 188, nouvelle 8 - Fantômes d'univers défunts, pages 189 à 232, nouvelle 9 - La Bête du recommencement, pages 233 à 244, nouvelle 10 - Éclats lumineux du disque d'accrétion, pages 245 à 312, nouvelle 11 - La Dernière mort d'Alexis Wiejack, pages 313 à 326, nouvelle 12 - En sa tour, Annabelle, pages 327 à 334, nouvelle 13 - La Fin du Big Bang, pages 335 à 402, nouvelle 14 - Coda, Futurs scénarios, pages 403 à 412, nouvelle
Claude Ecken est un écrivain discret. Il appartient à cette génération d'auteurs ayant fait leurs premières armes au Fleuve Noir, au début des années 80. Vingt-cinq ans de création, critiques, romans et donc nouvelles, dont le Bélial' propose un pot-pourri. A deux ou trois exceptions près, la plupart des textes présentés sont issus de plaquettes à tirages confidentiels. D'où l'intérêt d'une telle initiative.
Ecken défend une certaine idée de la science-fiction. Deux exigences mènent son travail : inventer des histoires qui se nourrissent d'une documentation scientifique précise, sans négliger la dimension humaine. Le texte d'ouverture du recueil, qui lui donne aussi son titre (une réflexion sur le devenir du réel, au cœur d'une civilisation qui a érigé l'information en spectacle, en marchandise soumise aux règles d'une économie cannibale), est à cet égard surprenant, puisque l'argument scientifique, la science, y est réduit à sa portion congrue. C'est que, comme le signale le préfacier Roland C. Wagner : « traitant d'un sujet qui ne nécessite pas d'approfondissements, ni d'extrapolations scientifiques, sauf de légères anticipations technologiques, il a eu cette fois recours aux techniques du roman noir, un genre [...] qui possède une dimension sociologique assez forte pour que cette extrapolation passe par lui. » La démarche de l'auteur consiste donc en un savant procédé de va-et-vient entre perspectives multiples, l'approche scientifique ou « sociologique » venant nourrir, compléter l'approche purement narrative, l'une éclairant l'autre et inversement. L'effet, saisissant, se répète dans la plupart des textes suivants. Quelques leitmotivs remplissent les mondes décrits par l'auteur : l'évolution du concept de progrès, la vitesse, l'angoisse née d'un environnement où la science et la technologie dominent.
« L'Unique » dépeint une société strictement utilitariste, où le génie génétique tient lieu de système reproductif ; les hommes sont programmés d'avance, selon leur ADN, et les individus considérés comme simples rouages de la Machine sociale. De fait, les possibilités d'altération de la génétique, et la déshumanisation subséquente, sont d'évidence des thèmes chers à l'auteur, puisque ayant fait l'objet de deux préquelles, « Esprit d'équipe » et « Les Déracinés ». Le futur rend fou ou aliène. La pression presque insupportable exercée sur les protagonistes ne leur laisse guère de choix : s'adapter ou mourir. Certains s'adaptent au prix fort (« Membres à part entière ») ; d'autres préfèrent embrasser la camarde plutôt que s'intégrer et perdre leur âme. Mais que faire quand même la mort vous est refusée ? (« La Dernière mort d'Alexis Wiejack »). Reste la fuite : par translation de conscience pour Edgar Lomb (« Edgar Lomb, une rétrospective ») ; aux marges de la société pour les paumés de « Eclats lumineux du disque d'accrétion » ; ou bien encore dans les univers divergents de la physique quantique (« Fantômes d'univers défunts », « La Fin du Big Bang »). Ce dernier récit figurant sans doute parmi les plus beaux qu'a produit le domaine dans notre langue. Si la tonalité d'ensemble est plutôt inquiétante, et si dangereuses sont les visions du futur annoncé, Ecken n'oublie pas qu'il a de l'humour (« Futurs scénarios » en fin de volume) et qu'il est capable de superbes respirations poétiques (« En sa tour Annabelle »). Un nouvelliste inspiré, donc, s'inscrivant dans la lignée des Huxley, Sturgeon, Ballard et, pour les contemporains, d'un Greg Egan (en moins froid). Leur point commun ? Etre représentatifs de l'idée du futur fantasmé par leurs époques respectives, en équilibre entre l'avenir présent et le présent à venir. Comme le dit l'auteur en préface : « la S-F, c'est regarder le monde contemporain. On ne peut bien parler du présent qu'au futur ». Du très bon, en somme.
Sam LERMITE Première parution : 1/10/2005 dans Bifrost 40 Mise en ligne le : 19/5/2008
Claude Ecken est un écrivain qui aime les défis, les paris littéraires risqués. Il l'avait déjà prouvé avec Enfer clos, son précédent roman. Il le démontre à nouveau avec Le Monde, tous droits réservés, une sélection de ses meilleurs récits de science-fiction, des années 80 à aujourd'hui. Ce qui frappe d'emblée, c'est la multiplicité des thèmes abordés et la totale cohérence de l'ensemble. Car la première des qualités de cet auteur, c'est de savoir faire des choix tranchés et de s'y tenir. Ce qui s'illustre ici avec force, c'est d'abord une certaine idée de la science-fiction : des fictions particulièrement inventives, de la prospective sociale, et l'exigence d'être toujours scientifiquement crédible. Ajoutez à cela une écriture soutenue, d'une précision infaillible. Et vous obtenez une œuvre magistrale, où le lecteur va de surprise en surprise, s'immerge dans des récits complexes, aux concepts osés et novateurs.
Le meilleur exemple, c'est sans conteste la nouvelle intitulée Éclats lumineux du disque d'accrétion. L'action se situe dans une société future en plein chaos social. On suit le parcours croisé de plusieurs personnages, dont quelques exclus du système. La tension est palpable et augmente jusqu'à l'apothéose finale, une manifestation qui tourne mal. Le récit est entrecoupé d'interrogations scientifiques sur l'origine des trous noirs. Un tel procédé narratif, alternant discours scientifique pointu et pure fiction pourrait s'avérer un peu pesant. Et c'est tout le contraire qui se produit. Il crée à la lecture un véritable effet de loupe, l'impression d'assister à ces événements par l'intermédiaire d'un verre grossissant. Discours scientifique et fiction se complètent, s'éclairent mutuellement. La narration est en parfaite adéquation avec le sujet traité. Il y a multiplication des perspectives. C'est le choc de l'infiniment grand (l'univers) et de l'infiniment petit (l'humain). L'effet est saisissant, imparable. Ecken parvient à faire preuve d'une modernité absolue, tout en restant fidèle aux préoccupations politiques et sociales héritées de la SF française des années 80. Il se permet même d'aborder certains thèmes chers aux auteurs cyberpunk, mais en le faisant d'une toute autre manière (voir la préface très éclairante de Roland C.Wagner). Bref, c'est du grand art.
On retrouve les mêmes qualités dans La Fin du Big Bang ; L'Unique ; Fantômes d'univers défunts. Des réflexions profondes et innovantes sur l'évolution de la génétique, les univers parallèles, la mécanique quantique... De la hard science ? Pas seulement. Et surtout sans le côté un peu « sec » qu'elle a souvent. Car Ecken n'oublie ni l'humain ni sa psychologie. Et si on pense parfois à Greg Egan, on pense également à certaines nouvelles de J.G. Ballard.
D'autres récits, plus courts, montrent d'autres facettes du talent d'Ecken. Esprit d'équipe, où un homme est poursuivi par ses cinq clones, tous bien décidés à se débarrasser de lui : un texte au rythme trépidant et à l'humour burlesque ; Edgar Lomb, une rétrospective, à l'imaginaire très « lovecraftien » ; Membres à part entière, d'une ironie mordante sur l'arrivisme et la capacité d'adaptation de l'être humain...
Douze nouvelles d'une rare qualité littéraire, douze chroniques intenses, inspirées, souvent vertigineuses, jamais répétitives. Aucun doute : une fois de plus, Claude Ecken a réussi son pari. Voilà de la science-fiction courageuse, qui va de l'avant, qui explore le genre dans toutes les directions possibles, le creuse, le réactive en profondeur et s'interroge sur ses enjeux futurs. Le Monde, tous droits réservés est une somme qui fera date : Claude Ecken est décidément un écrivain au parcours fascinant. On attend la suite avec une vraie impatience.