« Globalement inoffensif » : le titre du roman pourrait se transformer en jugement sur le livre lui-même, du moins sous la plume d'un critique aussi avide de méchanceté que de concision. Ce dernier risque vous est dans mon cas épargné (hélas, vous entends-je soupirer).
Sans avoir retrouvé la pêche fabuleuse des trois premiers volumes, Douglas Adams rectifie ici nettement le tir par rapport à
Salut, et encore merci pour le poisson (cf. ma critique in YS#111). Envolée, la petite amie d'Arthur Accroc — la Terre est une zone visiblement instable dans le multivers des probabilités : tantôt détruite par les Vogons pour laisser place à une autoroute hyperspatiale, tantôt pas, il faudrait savoir, à la fin, et tous les gens qui en sont originaires sont sujets à des phénomènes difficilement contrôlables de disparition, voire de dédoublement.
Arthur, donc, cherche désespérément sa planète natale, ou du moins un havre de tranquillité pour ses talents limités à la confection des sandwiches, tandis que Ford Escort fait face à une menace inédite qui plane sur le Guide du Routard Galactique : le rachat par un quarteron de gestionnaires en costard-cravate, qui présentent de frappantes ressemblances avec des limaces cuirassées grises. Comme ses collègues du Monty Python (cf. le début du film The Meaning of Life), Douglas Adams ne porte pas dans son cœur le thatchérisme.
Mais s'ajoute à ces deux personnages-phares Tricia McMillan, journaliste de télévision terrienne, qui est contactée par les Groboulons — leurs cerveaux effacés par un accident de l'hyper-espace font de cet équipage de vaisseau de guerre les extra-terrestres peut-être les plus bêtes de l'univers. Tricia MacMillan qui est aussi, dans une autre ligne de probabilités, la fascinante Trillian. Ne me demandez pas d'explications, je ne comprends pas non plus, nous autres humains ne sommes pas faits pour comprendre les subtilités du Mic-Mac généralisé.
Les aventures de Tricia sont l'occasion pour Adams de se moquer de la presse populaire à sensations — la cible est trop facile, mais quand on retrouve effectivement Elvis enlevé par les extra-terrestres, ça marche ma foi fort bien ! Attendez-vous sinon à trouver au détour des pages moult piques sur les cartes de crédit, les climatiseurs et les compagnies aériennes : on sent que le succès a modifié le mode de vie de M. Adams. Comme je le faisais déjà remarquer à propos du volume précédent, il n'a plus rien du routard !
Mais il a retrouvé sa verve depuis ce bien faible
Salut, et merci pour le poisson, et c'est cette fois-ci un plaisir de suivre Ford Escort quand il fait tourner en bourrique les systèmes de sécurité de ses propres employeurs, ou le personnel de service d'un grand hôtel londonien. La scène du service de chambre est un morceau d'anthologie tout à fait à la hauteur des débuts du
Routard Galactique.
Si l'amour-passion a disparu de la vie (toujours pitoyable) d'Arthur Accroc, il a été remplacé par une progéniture démoniaque. Là encore, il est tentant de subodorer des circonstances de la vie de l'auteur. Peu importe. Le résultat est roboratif, avec la bonne dose de fiel dans l'humour.
Comme à l'accoutumée, il faut accepter de lire ce livre comme une version française plus que comme une traduction — humour et jeux de mots se prêtant mal à l'exercice d'une exacte transposition ! — et si Jean Bonnefoy affiche sa présence aux détours des pages, c'est avec une bonne humeur communicative, et je serais le dernier à me plaindre, même si je préférerai toujours de loin le texte original (le moyen de faire autrement ?).
On dit que Denoël n'a publié le quatrième « Routard » (pardon, j'oubliais que le terme ne doit plus être employé en titre) que pour avoir l'occasion de sortir celui-ci, cinquième de la série, et je suis bien prêt à le croire : même si une idée n'est neuve qu'une fois, ne boudez pas votre plaisir et précipitez-vous sur ce roman, en oubliant charitablement le précédent.