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1 Trente-huit ans après la publication américaine d'
Abattoir 5, Sherman Alexie (auteur de deux fort bons romans rattachés aux mauvais genres :
Indian Killer pour le polar,
Indian Blues pour le fantastique) publiait
Flight aux USA, livre dont le titre aurait pu être traduit par
Vols indiens vers hier et qui s'ouvre sur une citation d'
Abattoir 5 : « Po-tee-weet ? ».
Dans
Flight, on suit Spots (boutons), un adolescent orphelin (mère irlandaise, père amérindien) souffrant d'acné sévère. Spots a connu vingt familles d'accueil, fréquenté vingt-deux écoles et peut entasser toutes ses possessions dans un sac en plastique de supermarché. Un jour, il rencontre Justice, se laisse convaincre qu'il faut frapper un grand coup la ploutocratie américaine, prend une arme et fait un carnage dans un hall de bank, avant de prendre une balle dans la tête (page 48). C'est la vie. Mais c'est aussi là que le voyage peut commencer, voyage dans le temps et les corps, d'une cervelle brisée vers une cervelle de nouveau irriguée. Agent du FBI engagé pour effectuer une bien sale besogne, enfant indien mutilé et assistant écœuré à la bataille de la Little Big Horn, Spots va voler de corps en corps, à des époques différentes, toutes cruciales pour lui ou plus largement les Indiens d'Amérique.
Sherman Alexie n'a rien perdu de son sens de la formule :
« Si je devais faire le portrait-robot de ce type, je dirais qu'il ressemble à la page des sports avec une horrible coupe de cheveux » (page 23) ; il n'a pas, non plus, perdu de sa verve dès qu'il s'agit d'appuyer là où ça fait mal. Simple exemple : les Indiens et l'alcool. N'importe quel Blanc écrivant la moitié de ce qu'il écrit sur l'imbibition des Indiens d'Amérique provoquerait une émeute raciale, mais comme Sherman Alexie est indien, Cœur D'Alene du côté de son père, Spokane du côté de sa mère, alors respect. Ce n'est pas par lui que prolifèrera le
politically correct.
Traumatismes et voyages dans le temps, ainsi se construit
Flight (avec d'inévitables pages sur le 11 septembre, d'autres tout aussi inévitables sur les attouchements pédophiles subis par Spots, pages dont, personnellement, je me serais bien passé). L'hommage est sincère, et le livre, court, vaut vraiment le coup d'œil... même si
Indian Blues et
Indian Killer étaient un bon cran au-dessus.
[Si alors que cette double notule se clôt, vous vous demandez ce que veut dire cet énigmatique « Po-tee-weet ? », sachez que je ne vous le dirai pas et qu'il vous faudra lire
Abattoir 5 pour trouver une des différentes réponses possibles. Vous pouvez de nouveau dessiner un majeur tendu aux cieux... Trois fois hélas : Vonnegut n'est plus, Dieu va prendre mon pied au cul].