DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : septembre 2011, Achevé d'imprimer : 23 septembre 2011 Première édition Roman, 304 pages, catégorie / prix : 21 € ISBN : 978-2-207-10890-1 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Fantastique
Prisonnier (par la volonté de Dieu) du corps d'un écrivain fraîchement suicidé et chichement membré, Moi, Lucifer, Ange Déchu, Porteur de Lumière, Prince des Ténèbres, de l'Enfer et de ce Monde, Seigneur des Mouches, Père du Mensonge, Suprême Apostat, Tentateur, Antique Serpent, Séducteur, Accusateur, Tourmenteur, Blasphémateur et, sans contestation possible, Meilleur Coup de l'Univers Visible et Invisible (demandez donc à Ève, cette petite garce), j'ai décidé — ta-daaah ! — de tout dire.
Tout ? Presque. Le funk. Le swing. Le boogie. Le rock.
C'est moi qui ai inventé le rock. Si vous saviez tout ce que j'ai inventé : la sodomie, bien sûr, la fumette, l'astrologie, l'argent... Bon, on va gagner du temps : tout, absolument tout ce qui vous empêche de penser à Dieu. C'est-à-dire à peu près tout ce qui existe.
Hilarant portrait du diable (sous forme de confession pour le moins intime), Moi, Lucifer est le premier roman de Glen Duncan à être traduit en français.
Né en 1965, Glen Duncan est l'auteur de huit romans.Trois ont connu un succès considérable en Angleterre : Moi, Lucifer, Death of an Ordinary Man et The Last Werewolf.
Telle est l'impression laissée par la lecture de ce roman, premier livre traduit (mais troisième écrit, sur un total de huit à ce jour) par Glen Duncan, nouvelle trouvaille de la collection « Lunes d'encre » (trouvaille qui n'a rien à voir avec l'autre Duncan de ladite collection, prénommé Hal). Contrastée, donc. Car si cette autobiographie de Lucifer réserve quelques jolis morceaux de bravoure, affiche un humour politiquement incorrect salutaire (« Un des inconvénients de mon travail avec les nazis, c'était que leur cruauté risquait en permanencedecauserleurperte,du fait que ses sous-produits (excellents) mettaient en danger le processus dans son ensemble. ») et une poignée de répliques d'une perfidie proprement... satanique, oui, il ne s'en dégage pas moins un ennui patent et finalement, tout de même, un sentiment, diffus, mais bien réel, de « tout ça pour ça... ».
Dieu propose un marché à Lucifer : passer trente jours dans la peau d'un humain, faire un peu le point, tranquille, ne pas tout péter, puis envisager sereinement l'option d'un rachat, d'une rédemption, pour regagner fissa le Paradis. Notre « bon » Lucifer récupère donc le corps d'un suicidé, un loser tout ce qu'il y a de loser, Declan Gunn (on notera l'anagramme du nom de l'auteur...), mauvais écrivain, amant médiocre doté d'une petite bite et d'un physique au mieux quelconque, et dont la vie, tant professionnelle que personnelle, se résume en un mot : minable. Autant dire que pour remédier à tout ça, Lucifer a du pain sur la planche...
Outre les déboires de Lucifer dans sa toute nouvelle défroque humaine (on l'a dit, quelques passages vont s'avérer croustillants, pour le moins), dites déboires narrées à la première personne, notre diable de héros digresse sans cesse sur son passé et l'histoire de l'humanité, un procédé si systématique qu'il en devient vite assez lassant (en dépit de quelques passages remarquables, notamment celui sur l'épisode de Pilate et la crucifixion, ou encore de Heinrich), les digressions engendrant d'autres digressions, le tout parsemé de points de suspension, d'exclamation et de parenthèses... Mwouais. Et au final, on s'en doute, nulle rédemption en prévision, même si un instant, on croit que... et un constat assez convenu sur la filiation Satan/Humanité doublé de la notion de liberté excluant celle de dieu, d'où le mal. Bon.
Restent, on l'a dit, quelques jolis passages et vrais moments de bravoure, deux trois éclairs (« l'Enfer, c'est l'absence de Dieu et la présence du temps ») et franches rigolades. C'est déjà pas si mal mais, pour tout dire, on attendra la sortie (annoncée) de TheLastWerewolf chez le même éditeur pour se prononcer plus avant sur l'auteur...
ORG Première parution : 1/1/2012 dans Bifrost 65 Mise en ligne le : 5/3/2013
Dans la famille Duncan, je voudrais : Glen. Oubliez l'Écossais Hal (enfin, ne l'oubliez pas vraiment, son dyptique Encre/Vélum reste une lecture hautement recommandée) et accueillez Glen, l'Anglais – qui n'a donc de lien avec Hal que le patronyme. Glen Duncan, donc, né en 1965, a écrit jusqu'à présent huit romans, dont trois ont connu un gros succès en librairie, Moi, Lucifer (2002, son troisième livre), Death of an Ordinary Man (2004) et The Last Werewolf (2011) qui devrait paraître dans la collection Lunes d'Encre. Moi, Lucifer et The Last Werewolf font du reste actuellement l'objet de projets d'adaptations cinématographiques.
Sous une splendide couverture d'un rouge infernal, le roman est en fait l'autobiographie du diable. Rien que ça ! Mais un Lucifer qui se trouve bien embêté : depuis sa déchéance du Paradis, il a mené sa vie de diable... jusqu'au jour où l'Archange Gabriel lui propose, au nom de Dieu, un marché : s'il réussit à passer trente jours dans la peau d'un être humain sans faire trop de vagues, il sera réintégré au Paradis. Lucifer, qui ne sait pas vraiment ce qu'il veut au final, décide néanmoins de profiter de l'expérience et de s'amuser avec le corps de l'homme qu'on lui donne. Le problème, c'est que ce personnage est Declan Gunn, un écrivain minable, qui vient d'ailleurs de se suicider (Lucifer récupère le corps au moment même du suicide) et est en outre doté d'une petite bite. Rien qui puisse plaire au Diable. Alors ce dernier, qui s'emmerde sévère, décide de raconter sa vie, sa vision du monde, et entreprend de déciller nos yeux en nous racontant le vrai déroulement de certains événements qui nous sont narrés depuis plusieurs millénaires...
Peu à peu, néanmoins, le Diable va un peu mieux comprendre l'essence humaine, à mesure qu'il vit les tracas de Declan Gunn (sa laideur, sa solitude, son absence de talent et d'ambition, et sa petite bite, donc). Sans réellement amorcer sa rédemption, Lucifer semble néanmoins peu à peu évoluer vers quelque chose d'un peu plus proche de nous. Mais le Diable restera le Diable...
Avec un tel sujet, Glen Duncan se devait d'avoir un Lucifer à la hauteur de ses ambitions. Pas une créature édulcorée, mais un être qui assume entièrement ses actes, y compris les plus répréhensibles. Aucun sujet tabou pour Lucifer, qui va nous confier son plaisir de commander à la pédophilie (notamment de la part des prêtres, cela va sans dire), au nazisme... bref, à la plupart des perversions humaines. Et aussi aux désespoirs : le suicide d'un être est pour lui une bénédiction. Tout cela est envisagé avec une vraie jouissance de la part du narrateur, qui y trouve des preuves de sa puissance. Cet aspect provocateur, iconoclaste, risque fort de perturber les lecteurs qui n'aiment pas que l'on traite des sujets aussi sérieux avec une telle ironie et un tel sarcasme. C'est le but recherché par l'auteur, qui sera aussi content que Lucifer devant la mort violente d'un enfant s'il arrive à choquer son lectorat. Toutefois, l'humour – noir, donc, très noir – omniprésent est là pour contrebalancer les effets, et l'horreur de la situation en ressortira légèrement édulcorée pour des lecteurs moins sensibles, qui prendront ce roman comme une bonne grosse blague de sale gosse.
Critique évidente de la religion chrétienne, que Duncan se fait un plaisir de concasser en nous en livrant une autre version, sa face cachée en quelque sorte, Moi, Lucifer se distingue aussi par son écriture. Car, plus qu'une autobiographie, ce roman est une logorrhée sans fin : Lucifer ne s'arrête jamais de parler, fait des digressions dans tous les sens, s'en rend compte mais s'en fiche comme de sa première femme battue... Gouailleur, ayant l'anecdote facile, il ne peut néanmoins éviter que le lecteur, au bout d'un certain nombre de pages, commence à se lasser. Certes, le propos est rentre-dedans, on est mis à mal, mais on a un peu l'impression de tourner en rond ; tenir la distance sur un tel postulat relevait de la gageure. Glen Duncan n'a pas réussi à la gagner, et peut-être que la forme du roman n'était pas la plus adaptée à son propos, une novella aurait suffi, qui lui aurait permis d'intégrer nombre des arguments de ce livre, tout en préservant la force d'impact sur le lecteur.
Moi, Lucifer se révèle au final un roman très rock 'n' roll,comme avait pu l'être au cinéma Dogma (en largement plus malsain, néanmoins, que le film de Kevin Smith), un livre provocateur qui aurait néanmoins gagné en force s'il avait été plus ramassé, et sans doute aussi un peu plus frontal, débarrassé d'une partie de son ironie mordante.