La revue Ténèbres, qui dura de 1998 à 2001, a retrouvé une seconde jeunesse depuis 2007, au sein des éditions Dreampress. Elle s'est entre-temps transformée en anthologie annuelle, dirigée désormais par le seul Benoît Domis (Daniel Conrad s'en occupait avec lui auparavant).
À la vue de cet opus 2011, tout d'abord, une chose surprend : aucun éditorial, aucune préface, rien que les textes présentés tels quels (avec un très court chapeau pour nous présenter les auteurs, pour la plupart des inconnus). C'est particulièrement regrettable, on aurait aimé un peu de paratexte, comme par exemple un point sur l'état de la nouvelle fantastique aujourd'hui. Il faut dire que le fantastique anglo-saxon moderne, dans sa forme courte, est un peu devenu le parent pauvre de l'imaginaire : aucune revue ne lui donne sa chance, les anthologies se font rares, bref, il a connu des jours meilleurs. Alors, une anthologie comme Ténèbres qui perdure, c'est très bien, mais il est dommage que Domis n'utilise pas ce créneau pour nous gratifier du texte informatif qui serait nécessaire.
Les nouvelles présentées ici sont au nombre de quatorze, quatre d'entre elles étant signées d'auteurs francophones. La débutante Fanny Herquel s'en sort très bien, avec une nouvelle d'inspiration lovecraftienne au joli titre, « Sous les ombrelles des méduses » ; le thème du petit garçon confrontée à un Grand Ancien renouvelle admirablement le genre, et l'auteur tire de cette opposition une émotion indéniable, simple mais intacte. Dans un autre style, Guillaume Suzanne nous raconte avec un humour communicatif dans « Ni début ni fin » une histoire de voiture qui roule éternellement car elle régénère du carburant sans discontinuer. On passera plus rapidement sur les textes d'Yves-Daniel Crouzet, qui confronte fantastique classique (la présence d'une ombre inquiétante) à un lieu emblématique de nos sociétés modernes : la cage d'escalier d'un immeuble, et Claude Bolduc, qui s'attaque à l'une des figures les plus répandues du fantastique actuel, en la décrivant de l'intérieur.
Toute bonne anthologie de fantastique se doit d'avoir un texte inaugural qui frappe fort : celui de Tom Piccirilli, « Alchimie » contentera les amateurs de glauquitude, avec son mélange de jeunesse désœuvrée et de nécrophilie. À déconseiller aux âmes sensibles, tout comme la nouvelle de Glynn Barrass, « La larve », où une femme doit s'occuper de son mari, revenu atrocement mutilé de la guerre en Afdhanistan ; la relation d'amour-haine et de domination qui se noue entre les deux est quasiment insoutenable. Dans « Le chasseur de trésors », de Ray Cluley, un jeune garçon doué du pouvoir de retracer l'histoire d'un objet en le touchant est confronté à une disparition ; il ne comprend pas ce qu'il se passe, contrairement au lecteur. L'auteur tire de cette dichotomie une bien belle efficacité narrative, d'autant plus que l'inéluctabilité des faits suggérés ici fait très mal. Dans « Monsieur Bobo », un homme se rend compte que son ami imaginaire d'enfance l'avait déjà été pour son père ; malheureusement, cette très bonne idée est gâchée par le traitement qu'en tire Steve Lockley, trop prévisible.« La position fœtale », de Daniel Pearlman, ne vaut pas tant pour son motif fantastique, une possession somme toute assez classique, que pour la description de ses relations mère-fils monstrueuses de haine. Dans « Un mauvais moment à passer », Brenta Blevins choisit également le point de vue de l'enfant pour décrire les relations de sa mère avec ses amants successifs ; l'intérêt vient ici du dévoilement progressif de la nature nocive de ces relations. Au rayon des textes plus anecdotiques, le récit d'une autopsie qui tourne mal par Shane Jiraiya Cummings, une histoire de conversion par Michael Penncavage, un camp de formation d'adolescents d'un genre, comment dire, un peu particulier pour Jeremy C. Shipp, et le retour du vétéran John Shirley qui vaut essentiellement par son début, où un homme est cloué sur un lit d'hôpital.
Au final, on notera que Ténèbres 2011 est une livraison plutôt convaincante, composée pour l'essentiel de textes solides, avec quelques vraies bonnes surprises (Herquel, Cluley, Barrass). Pour une anthologie dont la très grosse majorité des auteurs sont totalement inconnus en France, c'est une excellente nouvelle qui prouve la vitalité du fantastique contemporain. On regrettera donc que Ténèbres soit le seul support qui nous le présente, qui plus est sur un rythme seulement annuel.