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Le Huitième sceau

Joseph Marie LO DUCA


Illustration de Roland BOURIGEAUD

PAUVERT , coll. Les Indes noires n° 5
Dépôt légal : 2ème trimestre 1968
Première édition
Roman, 264 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : néant
Genre : Imaginaire


Autres éditions
   in Et le ciel se retira..., OPTA, 1980

Quatrième de couverture
     Depuis que l'homme a sa raison, il aime se raconter des fables. Il les place sur les lèvres de ses dieux, ses démons, ses phantasmes, ses ancêtres, voire ses descendants. C'est ainsi qu'il se retrouve tour à tour dans des bibles, des odyssées, des divines comédies, des mille nuits, des deux cents journées, des don Quichotte, des Chartreuse de Parme ou des meilleurs des mondes.
     Chaque fois, il s'y retrouve exactement comme il le voulait, se flatte et se fait peur, s'exalte et se fouette.
     L'aventure d'Emmanuel, qui porte la trace du Huitième Sceau, se rattache à cet amour immodéré des fables qui n'est pas près de se perdre. Malgré quelques apparences contraires, il s'agit toujours de la même histoire : la sienne, qu'elle s'exprime au passé, au présent ou au futur, qu'elle retrace la vie de Gengis Khan, de Napoléon ou d'Ekatherina.
     C'est ainsi qu'il règne sur le temps : en s'y regardant.
Critiques

                Lo Duca est un homme sympathique qui avait écrit jadis un curieux roman de science-fiction : La sphère de platine. Il vient de récidiver avec Le huitième sceau. Mais, plus que romancier, Lo Duca est un essayiste dont les deux sujets préférés et complémentaires sont la femme et l’amour. On sait notamment qu’il s’est attaché à donner un contenu précis au mot « érotisme » et à démontrer la dimension profondément humaine du concept. Lo Duca est de ceux qui se sont efforcés d’une part de détruire un certain nombre de tabous et d’autre part de persuader les hommes que les femmes sont bien des personnes, qu’elles ne méritent pas d’être traitées en objets et que leur commerce est bien préférable à leur usage. C’est là une croisade à la fois digne d’intérêt et paradoxale en un temps où l’image sexualisée de la femme, qui s’impose jusqu’à l’obsession dans les revues et dans la publicité, ne s’est débarrassée des voiles du puritanisme que pour mieux réduire Eve à l’état de poupée, que pour mieux escamoter ou masquer qu’elle est aussi un être. Il ne fait guère de doute, quoique Lo Duca soit demeuré discret – à ma connaissance – sur ce sujet, que cette aliénation est liée à la structure particulière du monde occidental : le corps seul de la femme y est susceptible d’échange ; sa personnalité, au contraire, n’a pas de valeur marchande. Et c’est bien un échange, une transaction qui s’effectue quand un corps féminin sert, par exemple, de médiateur entre le consommateur et la savonnette. Il n’est guère surprenant, dans ces conditions, que Le huitième sceau soit un essai à peine déguisé, mal déguisé même, et que son sujet principal soit la situation de la femme dans un monde à venir. Son héros, Emmanuel, plonge dans le futur à l’aide d’une machine à voyager dans le temps qui n’a guère ici de rôle que conventionnel. Il débarque au début du XXVe siècle dans un monde entièrement dominé par les femmes et d’où les hommes sont presque entièrement exclus, parqués dans des réserves et affectés à des métiers plus ou moins périlleux, ou encore entretenus à de strictes fins de reproduction ; ces fins s’accomplissent d’ailleurs par le truchement de l’insémination artificielle. L’apocalypse ici dépeinte est celle du mâle.

                Un autre écrivain masculin – et peut-être plus encore féminin – eût fait de cet univers un enfer. L’originalité de Lo Duca a été de lui donner l’allure d’une presque parfaite utopie. Le règne de la Justice a bien succédé à l’Apocalypse. Les femmes sont en cette époque toutes belles, intelligentes, cultivées. Le monde est devenu un jardin. Et les hommes eux-mêmes, dans cet univers, seront traités avec infiniment plus de douceur que les femmes ne le sont dans notre monde. Aussi le héros qui doit partager quelques-unes au moins des idées de son auteur, s’il commence par se révolter, d’ailleurs assez faiblement, contre ce renversement trop extrême, découvre vite et sans que sa vanité paraisse en souffrir trop que ce monde à l’envers est objectivement meilleur que le nôtre.

                La thèse de Lo Duca est assez simple. Plutôt que d’accuser les structures économiques et sociales de notre monde, il s’en prend à l’homme en tant que sexe. Au début, dit-il, la femme régnait. C’était l’ère de la déesse mère. Il arriva par la suite que l’homme se révolta, prit le pouvoir et réduisit la femme en esclavage. Toutes les mythologies ont conservé le souvenir de ce passage. Dans notre avenir enfin, à la faveur d’une épouvantable ¡guerre, les femmes ont repris la direction du monde. Et parce qu’elles forment la meilleure moitié de notre humanité, elles ont su créer un monde enfin harmonieux et pacifique, organisé et planifié avec mesure, tout en devant se prémunir contre un retour offensif du mâle qui, par nature, ne saurait tout à fait échapper à la brutalité. Il est tout de même permis de voir dans cette quasi-malédiction du mâle comme une sorte de réplique de l’impureté traditionnellement attribuée à la femme par des religions et des morales de conception typiquement masculine. Au reste, Lo Duca ne s’est pas privé lui-même de montrer comment les femmes au pouvoir ont récupéré les enseignements des plus misogynes des philosophes, comme l’apôtre Paul, pour les inscrire au fronton des établissements d’insémination. Mais il donne pour l’essentiel raison aux femmes et si son héros va faire une vague tentative pour prévenir son époque (notre futur) et essayer d’intervenir sur le cours des choses, il est bien clair qu’il va échouer.

                Il ne s’en plaindra d’ailleurs sans doute pas tellement car, seul homme libre dans cet univers féminin et sans doute heureusement formé par la philosophie de Lo Duca, il trouve d’agréables avantages à cette situation et n’est pas homme à se formaliser des mœurs charmantes de ses nouvelles amies.

                Parce qu’elle est deux fois anachronique en se réclamant tout à la fois de la place faite à la femme dans la civilisation cathare et de la science libertine du plaisir développée par l’aristocratie au XVIIIe siècle, la pensée de Lo Duca se prête évidemment bien au décalage temporel. Parce qu’elle manifeste aussitôt son originalité par rapport à ces deux sources, elle ne peut guère trouver à se situer que dans l’avenir. Mais, d’être nourri de réflexions et d’agréable ironie, le roman a grandi un peu dans le bavardage, et il lui manque une action qui le dote d’une épine dorsale. Il ressemble par là à une authentique utopie que l’on découvre plus ou moins méthodiquement selon les pérégrinations de son héros. Mais cette proposition mérite d’être examinée, même et peut-être surtout si l’on estime que l’homme complet, en tant qu’espèce, n’a pas de sexe ou plutôt en a deux.

Gérard KLEIN
Première parution : 1/1/1969 dans Fiction 181
Mise en ligne le : 10/5/2020

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