GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 422 Dépôt légal : avril 2012, Achevé d'imprimer : 19 mars 2012 Roman, 352 pages, catégorie / prix : F7b ISBN : 978-2-07-044633-9 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Comment concilier la paix mondiale, le chauvinisme des peuples, le contrôle de la démographie, la lutte contre la délinquance et l'amour du sport ? C’est simple... Tous les deux ans sera déclarée, entre le camp blanc et le camp rouge, la guerre olympique. Des champions dopés, surentraînés, s'affronteront au cours d'épreuves mortelles où tous les coups sont permis. Pénalité des vaincus ? Dix millions de morts dans leur camp, choisis parmi les délinquants, les subversifs, les déviants dont le cerveau est piégé à l’aide d’une mini-bombe réglée pour exploser dès la proclamation du résultat. Quelle belle invention ! Pourquoi n'y a-t-on pas pensé plus tôt ?
La guerre olympique est un roman d’anticipation glaçant, où la violence ne fait que souligner la justesse du propos. Un futur que l’on aimerait ne jamais connaître !
Né le 13 novembre 1945 dans les Vosges, Pierre Pelot est l'auteur de rès de deux cents livres (lui-même avoue ne pas savoir exactement combien !) et s'est imposé comme un écrivain inclassable dont l'univers séduit toujours plus de lecteurs.
Critiques
Comme dans le monde romain, les jeux, désormais strictement sportifs, concourent à l’équilibre de nos sociétés pacifiées. Sous toutes ses déclinaisons, footballistique, rugbystique, athlétique, vélocipédique et j’en passe, le sport alimente le quotidien en exploits qui servent d’exutoire aux passions, de tribune aux discours politiques et de tremplin commercial aux transnationales. Plus vite, plus haut, plus fort ! La formule du baron de Coubertin paraît être le leitmotiv de médias prompts à s’enflammer au moindre sautillement, au plus infime centième de seconde grappillé sur le record précédent. En 1980, dans le contexte tendu des J.O. de Moscou, Pierre Pelot met sur la sellette le sport-spectacle via l’angle de la prospective. Il en résulte une dystopie joliment troussée et toujours d’actualité.
Lorsqu’il écrit La Guerre olympique, la guerre froide connaît son ultime manifestation de tension, quelque part du côté de l’Afghanistan. Organisé pour la première fois sur le sol soviétique, l’événement donne surtout lieu à un boycott mené par les États-Unis. Que ce contexte soit désormais dépassé (mais pas tant que cela au final) n’a que peu d’importance au regard du jeu de massacre auquel se livre l’auteur français, jeu qui n’est pas sans rappeler Rollerball de Norman Jewison. Adaptant à sa manière la formule de von Clausewitz, Pierre Pelot martèle tout au long de son roman le message suivant : le sport n’est qu’un prolongement de la guerre par d’autres moyens.
Le futur esquissé par l’écrivain des Vosges naît en effet des œuvres perverses de la logique bloc contre bloc et de la surpopulation. Pour préserver le fragile équilibre démographique et idéologique, les puissances ont établi une sorte de décimation tous les deux ans. Les Jeux olympiques deviennent ainsi le paroxysme d’un affrontement régulé, permettant aux Rouges et aux Blancs de défendre l’honneur de leur Cause et de se débarrasser de leurs surplus démographiques : criminels, opposants politiques et assimilés, otages au cerveau piégé, voués à périr en cas de défaite aux Jeux. Les dieux du stade deviennent des machines à tuer condamnées à vaincre. Sélectionnés génétiquement et bourrés d’anabolisants, ils sont affûtés comme des armes, prêts à porter la mort dans le camp adverse de manière directe et indirecte. Pietro Coggio, l’espoir du camp des Blancs, Slim, la jeune journaliste en quête du scoop susceptible de doper sa carrière, les condamnés Yanni Bog du côté Blanc, et Mager Cszorblovski du côté Rouge, se retrouvent aux premières loges de ces Olympiades sanglantes. Tous ne sont que des rouages, des pions dans un système qui les déplace sur l’échiquier géopolitique afin de pérenniser l’équilibre de la terreur.
Œuvre politique par excellence, La Guerre olympique apparaît désormais décalé du fait de son contexte daté. On n’y parle pas encore de développement durable ou de guerre contre le terrorisme, mais de surpopulation et de Guerre froide. Pourtant, ceci ne doit pas éluder la lucidité des perspectives ouvertes par le roman. Le Marché et la société du spectacle laminent toujours l’intelligence et, plus que jamais, le dopage entache de doute les compétitions sportives. Quant aux manipulations génétiques et au clonage, il ne s’agit que d’une question de temps…
Pietro Coggio est un champion, la figure de proue du sport français. Il participe à la douzième guerre olympique, dans laquelle s'affrontent les blocs blancs et rouges, libéraux et socialo-communistes. Il fait partie de ces athlètes du XXIIIème siècle adulés par un public que leurs exploits, à la fois sportifs et guerriers, fascinent. Car Coggio et ses acolytes sont les derniers soldats de deux camps qui ont abandonné la confrontation armée. Ces combattants excellent à l'athlétisme, le tir à l'arc ou à la carabine, mais aussi le lancer de haches, le pilotage de moto-glace ou de char... La Guerre olympique de Pierre Pelot s'ouvre sur un combat décisif du sportif français puisque son issue déterminera sa place parmi les champions pour le Grand Parcours, l'épreuve ultime de l'édition de 2222. Dans ce premier chapitre, l'auteur nous dévoile crûment l'atrocité de ces jeux du cirque d'une ère future. Coggio y massacre littéralement son adversaire chinois, se qualifiant par la même, lui et l'intégralité de son staff, entraîneur, soigneur-dopeman et médicopsy, pour la finale des olympiades. Un destin tracé d'avance pour le Français, véritable machine à gagner programmée dès son plus jeune âge pour la victoire. Acheté par la Recherche médicale pour le sport et enlevé à ses parents, il aura suivi un entraînement intensif ainsi qu'un développement physique à base de produits dopants qui se sera montré concluant. Mais en triomphant, Pietro Coggio ne réussit pas seulement l'exploit de replacer la France parmi les grandes nations après des années de vaches maigres. Il sauve également la vie de milliers de citoyens du camp blanc.
Yanni « Bog » Bonnefaye fait partie de ces victimes potentielles du conflit. On lui a implanté un ange gardien qui le tuera quand l'ordinateur central l'aura décidé, suite à la défaite d'un athlète de la Confédération libérale. On compte des millions de gens comme lui, condamnés-coupables ou condamnés-innocents, réunis pendant les épreuves sur les Champs d'Honneur où sont retransmises les confrontations entre champions. Ils attendent le verdict : défaite et c'est la mort possible, victoire et c'est le sursis. Voilà l'autre facette de ce conflit sportif : il n'y a plus d'affrontements militaires à grande échelle déstabilisateurs de l'économie, mais des compétitions qui permettent tout de même de contrôler la démographie, de supprimer du circuit les « brebis galeuses ». Des gens comme Yanni qui sont opposés au système, comme on le découvre au fur et à mesure que Pierre Pelot nous fait faire connaissance avec son personnage. L'auteur l'utilisera comme voix d'un discours alternatif sur le mécanisme de la guerre olympique. Il dévoilera la face cachée d'une utopie politico-économique, dissimulant évidemment une dystopie et ses éléments : coercition, manipulation des opinions, élimination systématique des partisans d'une vision différente du monde.
Pietro Coggio et Yanni Bog ne sont pas les seules figures de la galerie de personnages présentée par Pierre Pelot. Ce dernier met également en scène Virginia, la fiancée de l'athlète, qui va attirer les soupçons des services secrets français à l’affût de tout ce qui peut menacer le champion. Sans oublier Mager Cszorblovski, le pendant hongrois (bloc socialo-communiste) de Yanni. Ce condamné-coupable cherche à tout prix un moyen de se faire retirer son ange gardien avant une prochaine épreuve qui pourrait se révéler fatale.
Ces personnages participent à la vision d'un futur qui se dépeint dans des couleurs moroses. Des lendemains que Pelot ne réussit pas tout à fait à rendre convaincants, tant ils paraissent extrêmes dans la lourdeur de leurs concepts. La Guerre Froide ne battant plus son plein comme en l'année 1980 où l'auteur signait son livre, cet affrontement entre un bloc capitaliste et un autre communiste ne s'avère plus d'actualité. Toutefois, au-delà de la simple exploration intellectuelle d'un avenir virtuel, Pelot décrit le désir des masses de figures emblématiques, héroïques. La fascination, aussi, pour les jeux du cirque où on fait couler le sang. L'acceptation, enfin, d'un contrôle politique rassurant et sécurisant qui s'occupe d'éliminer ceux qui le méritent et se charge de maintenir la prospérité économique.
La Guerre olympique possède donc de nombreuses qualités, dont l'écriture efficace de Pelot fait partie. Mais le roman souffre également de quelques défauts, comme des personnages peu attachants, dont les statuts semblent bien éloignés de celui du Français moyen de 2222. Le lecteur s'identifie et se lie donc difficilement à eux. Mais cela n'empêchera pas quiconque se plonge dans cette histoire d'être entraîné par le flot des événements. Notamment pendant un Grand Parcours haletant, où la tension et le suspense arrivent à leur comble.
À la veille des Jeux olympiques de Londres, les éditions Gallimard signent une jolie opération éditoriale en republiant La Guerre olympique. Trente ans après sa première parution, ce roman méritait sans nul doute de retrouver les rayons des librairies, au sein de l'excellente collection Folio SF. Une bien bonne chose puisque l'ouvrage explore avec efficacité le thème du contrôle des populations et de la démographie. Il dévoile également, comme l'avait réalisé la même année Joëlle Wintrebert avec ses Olympiades truquées, la signification politique et sociale des Jeux Olympiques. Ils se révèlent les derniers exutoires à la violence de peuples qui ne s'affrontent plus que parcimonieusement dans des conflits armés, qui ne se disputent plus honneur et prestige que sur les nouveaux champs de bataille que représentent les stades olympiques.
Pierre Pelot semble véritablement fasciné par la violence, tout en en ressentant un profond dégoût — terrifié également par certaines formes de violence, notamment celles que l'on est amené à exercer, tout d'abord sous la contrainte, puis en finissant par s'y habituer, en oubliant scrupules ou morale. Bon nombre d'êtres humains sont ainsi manipulés, comme ces Virgules téléguidées (Fleuve Noir), pour la plupart paisibles campagnards transformés en machines à assassiner par une science détournée au profit des forces de la répression, ou comme ces sujets des expériences menées dans La rage dans le troupeau (Presses Pocket)...
Ici, l'alibi est le sport, les jeux olympiques plus exactement, mais des Olympiades truquées où le sportif est remplacé par un gladiateur manipulé par un ordinateur, engagé dans un combat dont les seules issues sont la mort pour lui, et ceux de son camp, ou la destruction totale de « l'adversaire ».
Plus de guerres dans ce proche futur, seulement des règlements « pacifiques » et « propres », le pays devant uniquement appliquer à sa population un certain quota de « pertes ». Mais que l'on se rassure, les éléments antisociaux partiront les premiers. Dangereuse vision que celle qui consisterait à encourager Michel Debré, en espérant que les femmes enceintes compteraient pour deux !
Rendez-vous à Munich donc, pardon, à Moscou, et nous en reparlerons plus longuement.
Pelot écrit énormément, publie tout autant, et reste cependant toujours un écrivain bourré d'idées, avec un cœur gros comme ça, qui ne demande qu'à vider son sac. Pelot a beaucoup de choses à dire, ce roman le confirme une fois de plus.
L'action se passe en 1980... Non, 2200, excusez-moi... J'ai confondu car elle se situe dans un monde qui ressemble à s'y méprendre à celui que nous connaissions il y a vingt ans, à l'époque où la guerre froide, après s'être poudrée au blocus de Berlin et fardée à la guerre du Viêt-nam, ne savait plus très bien comment se travestir. La chute du Mur n'était alors qu'œuvre des plus loufoques anticipations... Mais Pierre Pelot ne verse pas ici dans cet exercice de style, ou si peu ; la grande différence (et peut-être la seule véritable) entre son monde et le nôtre est que la guerre, en 2200, n'existe plus. À sa place, des Olympiades façon Rollerball organisées tous les deux ans (tiens ? voilà qui s'est actualisé) décident de la vie de millions de personnes. Car chaque jeu se solde par un quota de morts désignés par ordinateur dans les « prisons » du camp vaincu. Une pierre, deux coups : on limite la délinquance en même temps qu'on règle les problèmes de surpopulation. Et, sublime ricochet qui rend le principe génial, l'énormité de l'enjeu excite la fibre patriotique des peuples jusqu'à des sommets insoupçonnés.
Deux camps s'affrontent : le bloc socialo-communiste (les Rouges) et le bloc libéral (les Blancs). On reconnaît ici l'auteur qui ne laisse aucune échappatoire à son lecteur : c'est bien du monde actuel dont il nous parle. Et la réalité à présent obsolète du clivage Est/Ouest ne doit pas nous leurrer : en toute compétition sportive internationale, Jeux olympiques en tête, c'est toujours nous contre les autres. Sans qu'il soit nécessaire (ni souhaitable) de le dire, le sport a un impact considérable sur les foules qui s'identifient à leurs champions et respectent les meilleurs, la nation qui remporte le plus de médailles. Est-il illogique, dès lors, que tous les moyens deviennent bons pour s'imposer dans l'Arène ? Les stimulants légalisés, les combats à mort ne sont que les conséquences normales de cet enjeu politique. Vous doutez ? En notre époque de réveil meurtrier des nationalismes, voyez la flambée du cours des produits dopants dans tous les sports...
En lisant ce brillant exposé de Pierre Pelot, on se prend à penser que, au-delà des combats de façade des idéologues, être shooté et prêt à tout pour vaincre est la seule façon de « participer aux Jeux dans le respect des règles de ceux qui nous gouvernent »...
Xavier NOY Première parution : 1/6/2000 dans Galaxies 17 Mise en ligne le : 1/11/2001