Christopher PRIEST Titre original : The Islanders, 2011 Première parution : Londres, Royaume-Uni : Gollancz, 22 septembre 2011 Cycle : L'Archipel du rêve vol. 4
GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 522 Dépôt légal : septembre 2015 Roman, 464 pages, catégorie / prix : F8 ISBN : 978-2-07-046564-4 Format : 10,8 x 17,8 cm Genre : Science-Fiction
Des centaines d'îles éparpillées entre le continent septentrional et Sudmaieure. Des milliers. Des centaines de milliers. À cause du phénomène des gradients temporels, personne ne sait, aucune carte ne peut être tracée.
Sur les Aubracs sévit un insecte mortel, redouté. Sur Collago, le secret de l'immortalité a été découvert, mais le traitement n'est pas à la portée de toutes les bourses. Sur Tremm, interdite aux civils, des explosions retentissent chaque nuit...
Même dans la zone de neutralité que représente l'Archipel, certains conflits demeurent...
Avec Les insulaires, Christopher Priest nous invite à explorer certaines îles de l'Archipel du Rêve, nous faisant découvrir leurs mystères, leurs principales attractions touristiques et leurs artistes. Cependant, il se pourrait bien qu'un meurtre énigmatique, voire plusieurs, se cachent dans les pages de cet atypique guide touristique.
Considéré comme l'un des écrivains les plus originaux de la littérature anglo-saxonne, Christopher Priest a écrit quelques-uns des textes majeurs de l'imaginaire contemporain : Le monde inverti, La séparation ou encore La fontaine pétrifiante. Son chef-d'œuvre, Le prestige, a été adapté au cinéma par Christopher Nolan.
Christopher Priest revient dans l'Archipel du Rêve ! Après un roman (La fontaine pétrifiante), un recueil (L'Archipel du Rêve, tout simplement), le troisième opus prend la forme... d'un guide touristique ! L'Archipel étant fort d'un nombre d'îles que personne n'a jamais réussi à déterminer avec précision, quoi de mieux qu'un guide touristique pour nous les présenter ? Mais attention, nous sommes dans un monde aux frontières mouvantes, aussi ce guide va en épouser la forme. Les nombreux courts chapitres qui le composent adoptent principalement l'apparence habituelle de notices géographiques, historiques, avec caractéristiques principales du lieu. Mais, soudain arrive une nouvelle sur une bestiole particulièrement redoutable, le thryme ; puis le procès-verbal d'un homme accusé de meurtre... Bref, Priest brouille les pistes pour mieux nous égarer, et aligne la forme sur le fond.
Car l'Archipel du Rêve, c'est une espace de création libre, où il n'y a pas de barrières, pas de codes, et certainement aucune unité à respecter : chaque endroit vit indépendamment des autres, au point que parfois plusieurs îles portent le même nom tout en étant résolument différentes voire inconnues les unes des autres. Un peu comme si les pièces d'un puzzle refusaient de s'assembler. Pourtant, ces descriptions de lieux fort variés entrent en résonance, car il y a un certain nombre de fils rouges qui sous-tendent l'ensemble : la présence de personnages récurrents, essentiellement des artistes et des scientifiques d'ailleurs. Des phénomènes géologiques ensuite, les nombreux vents qui soufflent sur l'Archipel, ou encore la déformation temporelle que ce dernier subit (le Vortex). Et enfin, une trame récurrente sur un meurtre dans un théâtre. Cette dernière partie abandonne la structure du guide touristiques pour adopter celle plus classique d'un récit de fiction, tantôt écrit à la première personne, tantôt à la troisième. J'ai eu un peu de mal avec cette trame ; elle se lit sans aucun problème, est tout aussi réjouissante que le reste, là n'est pas la question. Mais, en changeant de forme, en passant de la recherche formelle à quelque chose de plus conventionnel, j'ai trouvé que Priest se coupait l'herbe sous les pieds. Un peu comme s'il avait soudain eu peur de perdre ses lecteurs les moins expérimentaux et qu'il leur avait fait une concession pour les ramener en terrain connu. On pourra bien évidemment me rétorquer que, au contraire, Priest fait fi de tous les codes, y compris ceux qu'il s'était lui-même imposés au début de son ouvrage, et retrouve ainsi une totale liberté – ce qu'incarne après tout cet écrin qu'est l'Archipel du Rêve – mais il n'empêche que pour moi, cette enquête policière m'a parue trop artificiellement plaquée sur le guide touristique. Toutefois, cette petite déception ne m'a pas empêché d'apprécier cette troisième incursion dans l'Archipel, car on retrouve ici nombre des caractéristiques de Priest, au premier rang desquels un discours sur la création artistique toujours passionnant, et un style très précis et fluide à la fois, rendu à merveille par Michelle Charrier. Et une patte reconnaissable entre toutes, faite d'une volonté de rester au plus près de l'humain tout en adoptant un point de vue un peu distant. Et un sens de l'humour discret : on a parfois reproché à Priest sa froideur, eh bien il nous écrit... un guide touristique !
En guise de conclusion, on signalera qu'entamer la découverte de l'Archipel du Rêve par ces Insulaires n'est sans doute pas une bonne idée. Une connaissance préalable des deux précédents tomes semble en effet préférable. Priest, ici, s'aventure en terrain plus expérimental encore que dans le roman éponyme et La fontaine pétrifiante, tout en tissant de nombreux fils reliant à ces deux livres. De nouveaux lecteurs seraient ainsi sans doute complètement perdus (disons plutôt, perdus au-delà du raisonnable, car le plaisir de l'errance est primordial dans l'Archipel). Mais, si l'on a déjà fait la connaissance de cet univers incertain, fascinant et fécond, Les Insulaires vient idéalement enrichir l'Archipel du Rêve.
Près de dix ans après son dernier livre (La séparation, paru en anglais en 2002 et en français en 2005 dans la même collection), Christopher Priest nous revient, cette fois dans le cadre de l’Archipel du Rêve, déjà utilisé dans un roman (La Fontaine Pétrifiante, 1981) et dans un recueil (L’Archipel du Rève, regroupant des nouvelles parues entre 1978 et 1980).
Pour ce troisième passage dans l'archipel (qui peut se lire independamment des deux premiers), la forme est plus originale : présenté comme un guide de voyage, Les Insulaires nous emmène sur plus d’une cinquantaine d’iles, se contentant pour la plupart d’une description des phénomènes physiques (les vents remarquables), de sa faune (un insecte particulièrement dangereux en face duquel un scorpion survit quelques secondes), des personnes y ayant habité ou des événements importants s’y étant déroulés. Seule une minorité de textes prennent une forme romancée, brisant le rythme du guide, rappelant au lecteur qu’il est dans un roman de Christopher Priest, que ça ne peut pas être aussi simple.
Dès l’introduction signée Chaster Kammeston (dont on découvre plus tard qu’il est certainement mort de nombreuses années avant la rédaction du guide), nous sommes prévenus : on ne sait pas combien d’îles composent l’archipel, on n’est pas capable d’établir de carte, des îles situées dans des lieux opposés ont des noms étrangement similaires, bref, le guide ne peut être qu’un amalgame de faux-semblants. Et ce trouble s’étend aux parties romancées : plusieurs personnages ont des doubles, des sosies ou des ressemblances dont ils jouent. Des récits, relayés d’une façon qui semble objective, se tordent ensuite sans s’expliciter. Des liens ténus ou forts apparaissent entre les textes, sans que l’on puisse déterminer s’ils sont utiles à la compréhension du roman, voire même si leur présence est voulue ou accidentelle. L’auteur profite du cadre strict qu’il s’est imposé pour jouer avec le lecteur, le baladant d’une île à l’autre, d’une histoire à l’autre, d’une réalité à d’autres.
Alors certes, les lecteurs ayant une conception rigide du récit risquent d’être déroutés par Les Insulaires, voire de passer à côté. Mais pour ceux qui acceptent de se faire chahuter, et évidemment pour les amateurs des autres romans de Christopher Priest, la croisière dans cet archipel se révélera passionnante.
Voilà une trentaine d’années que Christopher Priest se rend plus ou moins régulièrement dans l’Archipel du Rêve, et chacune de ses visites parvient encore à nous étonner et à nous émerveiller. LaFontainepétrifiante jouait avec brio à brouiller les frontières entre réalité et fiction ; les différents textes au sommaire de L’Archipel du Rêve constituaient autant de plongées sensuelles et charnelles (et même parfois mortelles) au cœur de cet univers. Son nouveau livre, Les Insulaires, n’est pas vraiment un roman ni tout à fait un recueil de nouvelles, plutôt un assemblage hétéroclite de récits, extraits de guide touristique, articles de presse, compte-rendu d’interrogatoire, testament, etc. D’un point de vue littéraire, c’est un objet aussi difficile à cerner que l’univers qu’il met en scène, cette nuée d’îles de toutes tailles qu’aucune technologie, aussi avancée soit-elle, n’est jamais parvenue à cartographier dans son ensemble.
LesInsulaires nous guide à travers une cinquantaine d’îles et nous fait découvrir leurs particularités, qu’elles soient écologiques, topologiques, économiques ou sociales. Certaines sont prospères et accueillantes, d’autres austères et désertées, les mégapoles les plus cosmopolites y côtoient les jungles les plus impénétrables. La plupart ont cependant en commun un certain art de vivre, fait de nonchalance et d’une sorte de fatalisme indulgent, ainsi qu’une organisation politique, de type féodal, considérée par la population comme une nuisance bénigne nécessaire au bon fonctionnement de la société — les rares cas de révoltes populaires ont justement lieu lorsque ce pouvoir met en péril cet équilibre.
Un autre trait commun à l’ensemble de ces communautés, c’est la place prépondérante qu’y occupent les arts, sous des formes variées et parfois même étonnantes. On retrouve d’ailleurs plusieurs figures majeures du monde culturel au fil de ces récits, que leur présence en pointillés contribue à unifier. Citons Dryd Bathurst, peintre dont le génie pictural a autant marqué les foules que les scandales que ses mœurs dissolues ont causés, Chaster Kammeston, romancier vivant reclus sur son île natale, Jordenn Yo, la tunneleuse dont les œuvres ont sapé les fondations de nombre d’îles, ou encore le comédien Commis, dont le meurtre constitue un autre des fils rouges de ce livre. De ces personnages comme du monde où ils évoluent, Christopher Priest ne nous donne qu’une vision parcellaire, incomplète. On découvre certains évènements de leur vie, on en devine certains autres, mais l’auteur ne nous révèle jamais tous les tenants et les aboutissants de leurs histoires. Ce pourrait être frustrant ; à la lecture, le résultat est au contraire fascinant, stimulant. Et cette volonté permanente de conserver à chaque personnage rencontré comme à chaque lieu visité son aura de mystère ne fait que renforcer le projet littéraire. La légende prend constamment le pas sur l’histoire, et l’Archipel du Rêve demeure un lieu où la réalité se plie aux désirs de la fiction. Pour le lecteur, le dépaysement est garanti, et le plaisir tout autant.
Philippe BOULIER Première parution : 1/10/2013 Bifrost 72 Mise en ligne le : 3/2/2019