Stony n’est pas un enfant comme les autres. Recueilli bébé, alors que son cœur ne battait plus, il est mort et vivant à la fois. Il est une anomalie, un mystère dissimulé dans le secret de la ferme familiale.
Kwang, son seul ami, l’appelle l’Inexorable et s’amuse à lui planter des flèches dans le ventre. Alors ses sœurs le recousent et veillent sur lui.
Mais Stony, bien qu’unique, n’est pas le seul de son espèce. D’autres, comme lui, vivent cachés. Les morts s’apprêtent à clamer leur droit à la vie. Et la quête de réponses de Stony pourrait tout emporter sur son passage...
« Daryl Gregory, un nom à retenir, et L’Éducation de Stony Mayhall, un livre à ne pas manquer, un livre qui dépasse les simples apparences et s’affranchit des codes pour notre plus grand plaisir. » La Yozone
« Daryl Gregory écrit un roman grandiose où l’intelligence le dispute à la tendresse. Un pas hors des ténèbres. » Nicolas Winter – Just a Word
Affirmer que les œuvres (romans, films, bandes dessinées) sur les zombies pullulent depuis quelques années est un axiome admis par tous. Parmi ces innombrables tentatives, certaines – rassurez-vous, elles constituent une très large minorité – tentent d'innover et de renouveler une thématique qui commence à sérieusement moisir. Ça n'est pas toujours couronné de succès, mais parfois, le talent de l'auteur permet d'ajouter le panache à l'audace, et d'offrir aux lecteurs ou spectateurs un morceau de bravoure. On se souvient du World War Z, de Max Brooks, ou la tentative fort réussie d'envisager le phénomène zombie sous un angle global, et de le décrire par petites scènes éparpillées dans le monde plutôt qu'en suivant un groupe de personnes confrontées à un problème local. Il y avait donc World War Z, et il y aura désormais L'Éducation de Stony Mayhall.
Stony est découvert, bébé, dans les bras de sa mère morte. Wanda Mayhall le recueille, mais se rend vite compte qu'il y a un problème : il ne respire pas. Elle comprend qu'il s'agit d'un zombie, comme ceux qui se sont multipliés lors de l'épidémie de 1968 (à ce sujet, petite plaisanterie de l'auteur, le film de Romero était en fait un documentaire), et que l'humanité « bien-portante » a réussi à peu près à éradiquer. Pas complètement, donc, puisque de temps à autre, certains sont retrouvés, comme Stony. Trouvant une famille d'accueil émue par son sort, il va s'y épanouir, au contact de ses trois sœurs et de sa mère, puis de son ami Kwang. Mais il devra rester cacher, pour éviter qu'on ne le traque. Un beau jour, toutefois, il ne supportera plus d'être aussi esseulé, tentera d'aller en ville, mais sera démasqué, ce qui l'oblige à fuir. À sa grande surprise, il découvrira qu'il est loin d'être le seul zombie, que ceux-ci sont bien présents, bien que peu nombreux, mais se terrent pour survivre. En attendant l'éventuelle arrivée de celui qui pourra sauver leur peuple...
Daryl Gregory n'était pas inconnu en France jusqu'à présent, mais peu s'en fallait. Quatre nouvelles publiées dans Fiction entre 2008 et 2013, plus une dans la revue électronique Angle Mort, et enfin une dans un Bifrost récent, histoire pour le Bélial de préparer l'arrivée dans son catalogue de L'Éducation de Stony Mayhall. Ce roman est le troisième de l'auteur, paru aux États-Unis en 2011 ; Gregory en a désormais publié cinq, accompagné d'une quinzaine de nouvelles. Dans Stony Mayhall, il a donc tenté de renouveler la figure du zombie. Celui-ci n'est plus le monstre assoiffé de chair et de cerveau, mais plutôt une créature qui arrive à se contrôler : après tout, son statut de mort-vivant lui permet de pouvoir s'abstenir de manger vu qu'il ne grille pas de calories... Mais surtout, le zombie pense, raisonne, anticipe... bref se comporte comme vous et moi. Enfin, pas tout à fait : au sein de la communauté zombie, certains gardent une irrépressible envie de mordre les humains, contre qui ils gardent une dent depuis l'épuration dont les morts-vivants ont été victimes en 1968. Stony va ainsi se retrouver embarqué dans une lutte de pouvoir entre les différentes factions, qui se déchirent sur des questions d'altérité et de rapport à l'autre. De cet antagonisme vont naître des questionnements passionnants, sur le bien-fondé des pensées des uns et des autres ou la nécessité de la révolte pour des minorités opprimées.
Le jeune homme va vite occuper une position centrale parmi les siens : en effet, il est le seul à être né zombie, et à s'être développé. Les zombies attendant celui qui saura les sauver, il va vite être assimilé par certains à une sorte de messie, même si lui ne veut même pas l'imaginer, car il ne se sent absolument pas différent des autres. Pourtant, il va se questionner de plus en plus, à mesure qu'il développe des facultés étonnantes, qui confineront à l'irrationnel (ce qui risque de déstabiliser certains lecteurs) ; en outre, à l'issue de ses tentatives d'insérer les siens dans la société américaine, son chemin de croix sera particulièrement gratiné... Cette dimension christique, l'auteur ne la martèle pas, mais la construit patiemment, avec subtilité, jusqu'à ce qu'elle devienne évidente.
Un roman centré sur un personnage principal est réussi si ce dernier est crédible. Mention spéciale à Stony Mayhall : avec son humour grinçant, sa faculté à garder la tête froide en toute circonstance et à prendre du recul pour mieux analyser la situation, même si parfois il se met à frissonner en se demandant s'il n'est pas en train d'éprouver un sentiment, il prend rapidement sa place dans les rangs des personnages inoubliables. Daryl Gregory dresse ici un splendide portrait d'un homme qui tente, contre vents et marées, de réconcilier deux camps antagonistes, tout en essayant de comprendre ce qu'il est réellement.
Au final, ce premier roman traduit de Daryl Gregory est une vraie révélation, l'un des tout meilleurs bouquins publiés cette année. Même si vous en avez marre de la déferlante zombie, tentez L'Éducation de Stony Mayhall : jamais le zombie ne vous paraîtra aussi humain.
1968, Easterly, Iowa. De retour chez elle par une nuit glaciale, Wanda Mayhall découvre sur le bas-côté de la route la dépouille d’une jeune fille. Le cadavre enserre dans ses bras le corps d’un nourrisson qui paraît mort lui aussi. Très vite, l’enfant va pourtant donner des signes d’animation. Il bouge mais ne vit pas, ce que comprend Wanda l’infirmière. Avec la complicité de ses filles, elle décide de garder le bébé. Ce qui relève du crime d’État depuis l’épidémie qui a failli éradiquer l’humanité. Les morts-vivants sont impitoyablement traqués et détruits par les Fossoyeurs, surnom des forces officielles. Quant aux « nécrosympathisants » (aussi surnommés Fausse Barbe car ils confèrent aux MV une façade de normalité), ils disparaissent dans des camps d’internement. John Mayhall, dit « Stony » parce qu’il est gris comme la pierre et que rien ne paraît le détruire, va ainsi passer d’une vie privée clandestine à la clandestinité publique, car il paraît bien avoir un rôle à jouer. De son comportement dépend le devenir de l’humanité, quelle qu’en soit au final la définition.
Le roman, premier de l’auteur traduit en France, est un double récit d’initiation, puisqu’aussi bien le héros principal que l’humanité doivent appréhender leur avenir. Stony est un enfant puis un ado pas comme les autres, et pourtant si prévisible quand il se dispute avec sa mère (p. 66) ou glande avec Kwang, le fils des voisins coréens avec lequel il développe une certaine empathie. Ainsi de la page 96 : « tout ce que Kwang voulait, il le voulait. Tout ce que Kwang aimait, il l’aimait », mais aussi de la formidable scène de masturbation où l’un répand la vie quand l’autre en est incapable, pouvant à tout instant répandre la mort.
La suite, qui vire progressivement au noir, conserve tout au long du récit une formidable maîtrise narrative dans sa description de l’anodin au sein de l’anormal. Le roman renoue brillamment avec la banalité du Mal telle qu’elle apparaissait dans Le Bébé de Rosemary, aussi bien le roman d’Ira Levin que son adaptation cinéma par Polanski. Daryl Gregory dépeint admirablement la routine du camp adverse, les petits riens de l’existence ordinaire, nous rappelant au-delà de son approche personnelle qu’il y a une vie quotidienne dans le Mordor, et que l’Étoile de la Mort a forcément un réseau de sanitaires.
Ce réalisme conféré à un récit résolument d’imaginaire est probablement ce qui fait de L’Éducation de Stony Mayhall un roman littéralement remarquable, justifiant à lui seul sa lecture. Mais ce n’est pas tout. À mesure de son déploiement, le récit gagne de nouvelles couches de sens, en premier lieu social et politique. L’épisode du Congrès de 1988 à Los Angeles est un authentique tour de force, avec ses différentes factions Morts-Vivants (Abstinents, Perpétualistes, Gros Mordeurs) et, surtout, le Commandant Calhoun, qui a fait fortune dans les bâtonnets de poisson avant de devenir un leader MV (imaginez Captain Iglo tout entier dévoué à la cause zombie, l’équivalent de Magnéto pour les mutants). On pense bien sûr aux différentes tendances afro-américaines de libération (pour faire simple : Martin Luther King et Malcolm X). Toutefois, sachant que Daryl Gregory peut compter sur une solide culture religieuse, on pourrait sans mal retrouver dans la communauté MV toutes les tendances de la résistance juive à l’oppression romaine en Palestine, jusqu’à ses courants messianiques, ici incarnés par deux mentors (le formidable M. Blunt ; le Bout) et bien sûr Stony.
En mode plus pop, l’auteur joue sur la notion même de références, avec la série des romans « Jack Gore », gimmick qui permet une continuelle mise en abyme, ou le savoureux clin d’œil qu’est « le documentaire Romero sur l’épidémie ». À ces différentes couches de sens s’ajoute enfin la dimension physique et métaphysique, avec une très originale application du principe de continuité voulant que la Nature n’admette pas le vide, qui déterminera la fin du roman.
Tout cela ferait déjà de L’Éducation de Stony Mayhall un must total si ne s’y plaquait, du début à la fin, la dimension absolument jouissive du genre zombie qui exige son lot de charclage, mitrailleuses lourdes contre tsunami de prédateurs. Et l’on ne peut parler de roublardise, car le texte témoigne à tout instant d’une authentique sincérité.
Lisez ce roman et réfléchissez à ce que vous devez conserver dans votre bibliothèque. Un jour viendra où vous mourrez sans être amené à renaître. Alors débarrassez-vous de tous les bouquins inutiles afin de faciliter la tâche à vos héritiers. Mais gardez L’Éducation de Stony Mayhall. Cela adoucira leur peine.
Xavier MAUMÉJEAN Première parution : 1/10/2014 Bifrost 76 Mise en ligne le : 20/4/2020