Quoiqu'un peu plus faible, sans doute, que le précédent, probablement parce que l'enthousiasme de la découverte est passé et que les ficelles deviennent plus visibles, ce deuxième volet de la Saga Traquemort présente encore bien des qualités et se révèle d'une lecture toujours très agréable.
Commençons par les points faibles, histoire de se débarrasser rapidement des choses qui fâchent. Tout d'abord, les personnages, transformés par le Labyrinthe de la Folie (ou par la folie du labyrinthe qu'est devenu l'Empire), ont tendance à voir leur caractère se radicaliser, au point qu'ils en paraissent parfois quelque peu caricaturaux. Nos héros se sont transformés en super-héros, invincibles au combat, capables de prouesses que mêmes les espsis leur envieraient. Les nouveaux venus, du reporter bedonnant mais intègre au cameraman homosexuel qui porte des dessous en dentelles, en passant par les époux éconduits qui deviennent amants, un double rajeuni (et trop parfait) du vieux rebelle Jack Hasard et la promise rétive qui se fait nonne et accède à la sainteté, apportent certes une touche amusante à l'ensemble, mais on se dit parfois que Simon R. Green confond profondeur psychologique et esprit tordu. De plus, la séparation de l'intrigue en histoires quasi indépendantes, racontant chacune les tribulations d'un groupe au sein de la rébellion, nuit grandement à la narration. Enfin, certains tics référentiels, comme le « tout plus grand que la somme des parties » ou les vannes récurrentes des héros pourraient finir par agacer, un peu comme on se lasse de l'humour de David Eddings au bout de 300 pages.
Pourtant, malgré ces faiblesses, La Rébellion se lit d'une traite et sans faillir. Pourquoi ? D'abord parce que c'est brouillon, fantasque, échevelé, tel un film hollywoodien réalisé sous amphétamines par une bande de virtuoses en plein trip. Ensuite parce qu'au-delà des étripages, des pouvoirs surhumains et de la barbarie de la Garce de Fer ou de ses instruments, Simon R. Green prend toujours grand soin de laisser subsister des préoccupations très humaines, pragmatiques, presque triviales. Distance permanente de la dérision, du désarroi, qui permet d'échapper à l'imagerie classique du héros infaillible. Owen Traquemort et ses problèmes de vessie à l'imminence des combats, les râleries de Rubis Voyage sur l'absence de butin, le choix de la première cible de la Rébellion, les Impôts (nul ne peut battre un Empire sans subsides conséquents — et tant qu'à faire, autant les piquer à l'ennemi)... autant de tracas bassement terre-à-terre qui, étrangement, donnent un caractère presque crédible à ces actes impossibles. Enfin, le questionnement permanent des héros sur leur identité (celles de Jack Hasard lorsque surgit le double qui se prétend lui, celles des clones, d'Evangéline à Dram, qui doivent choisir entre le statut de copie clandestine et celui de non-être assumé, celles des Transformés du Labyrinthe, qui voient leur humanité se transformer... en surhumanité ? en inhumanité ?) permet d'écorner leur superbe et de subodorer quelques rebondissements intéressants dans les tomes à venir.
Pour résumer, Simon R. Green réussit à mêler avec talent l'extravagance d'un space opera aux dimensions épiques avec le pragmatisme et le cynisme d'un spectateur de l'âme humaine, qui regarde ses personnages se débattre avec des responsabilités et des pouvoirs qui les rongent autant qu'ils ne les forgent, modifiant la perception qu'ils ont d'eux-mêmes et du monde autour d'eux. Vivement la suite !