Poul ANDERSON Titre original : Satan's World, 1968 Première parution : Analog Science Fiction -> Science Fact, de mai à août 1968 (version censurée). En volume, États-Unis, New York : Doubleday, novembre 1969 (version restaurée)ISFDB Cycle : La Hanse galactique vol. 4
BÉLIAL' Date de parution : 27 juin 2019 Dépôt légal : juin 2019 Réédition Roman, catégorie / prix : 22 € ISBN : 978-2-84344-951-2 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
Existe aussi en numérique, aux formats ePub (ISBN : 978-2-84344-878-2) et PDF (ISBN : 978-2-84344-877-5), au prix de 10,99 €.
En ce XXIIIe siècle trépidant, l’humanité s’est implantée sur nombre de planètes, se frottant à un univers exotique grouillant de vie. Afin de protéger leurs intérêts, les négociants interstellaires ont formé une alliance : la Ligue polesotechnique. Nicholas van Rijn, fondateur de la Compagnie solaire des épices et liqueurs, est le plus flamboyant de ces princes-marchands. Le présent volume réunit les récits qui constituent le quatrième volet de ses aventures picaresques, à savoir le roman Le Monde de Satan, dans une traduction révisée, et la longue nouvelle « L’Étoile-Guide », à ce jour inédite…
Apparu en 1956 dans les pages d’Astounding Science Fiction, personnage falstaffien hâbleur et roublard, infatigable arpenteur de mondes et négociateur hors pair, Nicholas van Rijn incarne pour beaucoup la figure majeure du héros andersonien. Les cinq volumes de « La Hanse galactique » proposent, pour la première fois en français, l’intégrale des aventures du plus populaire des personnages de Poul Anderson, sans oublier celles de ses compagnons emblématiques : David Falkayn, Chee Lan et Adzel.
1 - Jean-Daniel BRÈQUE, Avant-propos, pages 11 à 12, introduction 2 - L'Étoile-Guide (Lodestar, 1973), pages 293 à 337, nouvelle, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 3 - Postface à la première édition de L'Étoile-Guide (1973), pages 339 à 340, postface, trad. Jean-Daniel BRÈQUE 4 - Sandra MIESEL, Chronologie de la « Civilisation technique » (Chronology of Technic Civilization, 1978), pages 343 à 347, article, trad. Jean-Daniel BRÈQUE
Critiques
[critique parue exclusivement dans la version numérique de la revue]
Avec la parution du roman Le Prince-Marchand en 2016 (critique in Bifrost 84), les éditions du Bélial’ ont entamé, sous la houlette de Jean-Daniel Brèque, traducteur et maître d’ouvrage pour l’occasion, la publication intégrale des textes ressortissant à « La Ligue polesotechnique », première époque de « La Civilisation Technique », l’un des cycles majeurs de Poul Anderson. Le temps passant très vite, le quatrième tome est désormais disponible. L’amateur y trouvera une traduction très révisée du roman Le Monde de Satan, et un inédit sous la forme d’une novelette intitulée « L’Étoile-Guide ». Pour qui serait passé au travers des trois précédents volumes, peut-être n’est-il pas inutile de procéder à un bref rappel. Dans le futur, le Commonwealth englobe une multitude de planètes et de colonies habitées par des humains et des extraterrestres, rebaptisés sophontes. Mais la véritable puissance reste l’association des libres marchands, la fameuse Hanse galactique, dont les affaires s’autorégulent dans le respect des principes de l’intérêt bien compris, de la concurrence libre et non faussée, contribuant ainsi à la stabilité de la civilisation technique. Si Le Prince-Marchand avait été l’occasion de découvrir Nicholas van Rijn, le fondateur de la Compagnie Solaire des Épices & Liqueurs, personnage fantasque, jouisseur et roublard au langage fleuri, les tomes suivants nous ont permis, au fil d’aventures périlleuses et un tantinet répétitives, de lier connaissance avec d’autres collaborateurs de la compagnie, en particulier le trio de pionniers marchands formés par David Falkayn, Chee Lan et Adzel. Un aristocrate beau gosse et intelligent, parfait cliché pour belle-mère, une Cynthienne menue et d’apparence faussement adorable, à la langue bien affûtée et au caractère caustique, et enfin un Wodenite, sophonte à l’impressionnante envergure de centaure mâtiné de saurien ne laissant pas deviner sa nature débonnaire et non-violente. Bref, trois mousquetaires au service d’un quatrième tenant plus de Falstaff que de d’Artagnan. Si Le Monde de Satan permet de renouer avec cette complicité, voire cette amitié indéfectible, forgée au fil des missions accomplies pour le compte de van Rijn, le présent roman relève surtout d’un changement dans la continuité. Aucune allusion politique malvenue dans cette assertion, même si le regard de Poul Anderson sur la Ligue polesotechnique se fait progressivement plus désabusé, surtout dans le texte « L’Étoile-Guide ». Certes, les péripéties vécues par van Rijn et consorts ne brillent toujours pas par leur originalité. On reste dans une veine populaire, où l’humour, le rythme soutenu et les stéréotypes confèrent au récit un caractère divertissant indéniable, sans pour autant renoncer complètement à la science, notamment dans des passages flirtant avec une hard SF au didactisme un tantinet agaçant. Quant au changement mentionné plus haut, d’abord sous-jacent, il perce de plus en plus au travers d’Adzel, sans doute le plus sensible à l’égoïsme bien compris de la Ligue polesotechnique, puis de Coya, la petite-fille de van Rijn, au point de briser la belle entente qui prévalait entre les associés dans Le Monde de Satan. Si le roman s’achève en effet sur une note joyeuse, celle-ci est sévèrement tempérée à la lecture de « L’Étoile-Guide ». Le cabotinage du prince-marchand et l’esprit d’entreprise cèdent alors la place à l’amertume et au dégoût.
Mésestimé lors de sa première parution en France, comme en témoigne la critique assassine de Jean-Pierre Andrevon dans Fiction, Le Monde de Satan apparaît pourtant comme l’apogée des aventures de van Rijn, Falkayn, Chee Lan et Adzel. Mais, l’apogée comme l’orgueil précèdent toujours la chute, déjà annoncée par la novelette «L’Étoile-Guide ». En cela, le quatrième tome de « La Hanse galactique» apparaît comme un ouvrage de transition, entre optimisme et fatalisme, bouffonnerie et drame, John W. Campbell et Paul Valéry. Le laissez-affairisme et la ploutocratie étant désormais au cœur du Commonwealth, les temps sont dorénavant ouverts pour Le Crépuscule de la Hanse, ultime tome du cycle. Ne cachons pas notre impatience.
Le monde de Satan de Poul Anderson illustre un conflit stellaire avorté entre des humains et une race extra-terrestre, les Shenna. Plus exactement s'y trouvent confrontés quatre membres de la « Compagnie Solaire Epices et Spiritueux » (elle-même faisant partie de la Ligue Polesotechnique, sorte de confédération marchande qui est la puissance véritable de la galaxie colonisée par les Hommes) et une planète entière d'êtres qui, après avoir subi une mutation brutale due aux excentricités de leur soleil, sont passés du stade de pacifiques herbivores à celui de monstres assoiffés de conquêtes.
Nous avons donc droit à une variation du schéma archétypal : les astucieux Terriens seuls contre tous, et à qui la victoire est accordée en bout de course sur leurs adversaires bestiaux et brutaux. (Les Shenna s'apparentent physiquement au Minotaure de la légende, et tout l'ouvrage d'Anderson est le reflet du mythe de Thésée : attirés dans le labyrinthe, les Terriens défont sans mal leurs terribles ennemis.)
Le bon Terrien combattant victorieusement le méchant extra-terrestre, voilà qui fit la gloire de la SF naïve des années trente et quarante (...et cinquante, pour la française, historiquement retardataire). Que Poul Anderson, avec un entêtement farouche, s'attache envers et contre tout à ce thème de prédilection, cela nous importerait finalement peu si le résultat était convaincant. Je dois pourtant avouer que cet ouvrage est terne, poussiéreux et ennuyeux. Les 340 pages que compte Le monde de Satan dans sa traduction à « Présence du Futur » ne sont qu'un remplissage laborieux destiné à colmater les creux d'un scénario squelettique : David Falkayn (de la Compagnie Solaire Epices et Spiritueux) découvre lors d'une permission sur la Lune qu'un office de renseignements, la Serendipity, est en réalité un nid d'espionnage que les Shenna ont installé en plein cœur du système solaire, grâce à la complicité de quelques humains réduits psychiquement en esclavage. Falkayn est un moment séquestré par les agents des Shenna, puis il s'évade grâce à l'Intervention de Nicholas Van Rijn, son patron, aidé par ses deux coéquipiers extra-terrestres, une sorte de centaure reptilien et une chatte cynthienne, et il part à la découverte de Satan, planète errante captée par une étoile lointaine, et que la Ligue et les Shenna vont se disputer pour ses richesses géologiques. Tout rentre dans l'ordre terrien, après quelques batailles spatiales et planétaires.
Certains prétendront que la valeur d'un ouvrage est souvent fonction de la facilité qu'on a de le résumer. Pour ma part je n'en crois rien, et je pense au contraire que la richesse primordiale de la SF tient justement à la richesse des thèmes abordés et de l'intrigue qui les lie. On voit ici leur usure et leur pauvreté. Certes, Poul Anderson a réussi à créer trois types d'extra-terrestres intéressants, mais Adzel le centaure, Chee Lan la « chatte » et les Shenna minotauriens ne sont rien d'autres que des enveloppes dotées de quelques caractéristiques grossières qui les typent fortement (il y a les bons et les méchants, les vassaux de l'Homme et ses ennemis), sans qu'ils soient vraiment enracinés dans une « inhumanité » foncière. Il y a aussi quelques réflexions justes sur l'évolution divergente des herbivores et des carnivores, et une étude assez fine du comportement de certains humains élevés par les Shenna comme des animaux de salon, mais l'originalité d'Anderson s'arrête là. La majeure partie de son livre s'encroûte dans des scènes de batailles sans intérêt, dans de longues descriptions de cieux étoiles et de planètes bouillonnantes, dans l'énumération maniaque de manœuvres de pilotage interstellaire. L'homme, dans ce magma, n'apparaît pas beaucoup, et cette froideur désincarnée contribue à donner à l'ensemble un aspect sec, mécaniste.
Nous sommes loin, en vérité, de La Patrouille du Temps ou du beau cycle des Peuples de la Mer et du Ciel qui donnèrent il y a une dizaine d'années (via Fiction) un certain éclat à la prose d'Anderson. Il semble bien maintenant que cet auteur n'ait plus rien à dire, qu'il se contente de broder sans grande imagination sur des décors connus. Et l'on peut se demander si cette stagnation n'est pas causée par l'idéologie où s'est enfermé Anderson.
Allons bon, rugiront de concert certains lecteurs, voilà qu'ils remettent ça ! Pas de politique en SF, s'il vous plaît ! Je les prierai donc de bien vouloir considérer que la « critique littéraire » du Monde de Satan s'arrête trois phrases plus haut, et que les quelques réflexions qui suivent sont une sorte de post-scriptum ajouté à l'intention des vicieux qui veulent tout politiser. D'ailleurs un lecteur, dans un récent Courrier publié par Galaxie (no 82). écrivait que Poul Anderson était mauvais à droite, mais qu'il le serait tout autant à gauche. Je surenchérirai en disant que j'accepterais volontiers un Anderson « bon à droite ». Mais peut-on être à droite et être « bon » ? Le simple choix des thèmes privilégiés par Anderson (ainsi que leur traitement) permet d'en douter. Ce que nous décrivent les péripéties du Monde de Satan, ce n'est rien d'autre qu'une lutte économique pour la possession d'une planète. Mettons le capitalisme aux postes de combat : voilà quel est le mot d'ordre d'Anderson. Or, avouons-le, les motivations et luttes des grands trusts (et les Shenna sont eux-mêmes présentés comme un « trust ») n'ont rien de passionnant, quand on nous les présente avec une conviction absolue, sans la moindre trace d'humour critique...
Autre caractéristique d'une pensée de droite : l'occultation pure et simple de l'être « pensant » au profit de l'être « physique ». Que sait-on du « héros » David Falkayn ?Quels sont ses désirs, ses joies, ses angoisses, ses doutes ? On n'en sait rien. Entre les combats, Falkayn se contente de faire jouer ses muscles las, de bourrer sa pipe et de la serrer entre ses mâchoires robustes. C'est le parfait combattant-pour-une-juste-cause, un peu bringueur (virilité oblige), mais parfaitement décervelé. Et, plus caractéristique encore, la seule fois où il se met véritablement à penser pour nous, c'est à l'occasion du magnifique message suivant :
« Tu n'es pas un héros. Tu aimerais mille fois mieux être loin d'ici, un verre à la main et une belle tille sur les genoux, racontant tes prétendus exploits. Mais II se pourrait qu'une guerre se trame ici. Des planètes entières pourraient être attaquées. Une petite fille, peut-être ta propre nièce, pourrait se retrouver gisant dans une maison dévastée par une bombe atomique, le visage en cendre et les yeux fondus, réclamant son papa tué dans un vaisseau spatial et sa mère écrasée sur le trottoir. Peut-être que les choses ne vont pas si mal. Mais peut-être que si. Comment peux-tu laisser passer une occasion de faire quelque chose ? Il te faut faire, face » (p. 202).
On reste pantois devant ce bel exemple de démagogie galopante. Nous ne voulons pas la guerre, oh ! non... Ce sont les autres, les méchants, les « étrangers », qui la veulent peut-être, et qui seraient bien capables de venir jusque dans nos campagnes répandre le sang de nos familles dans nos sillons. Mettons-y vite le holà ! Tapons-leur dessus ! Dans le doute, agissons ! Allez, nos boys ! Encore un effort pour l'extermination complète de ces sales Vietnamiens... Pardon : de ces sales Shenna.
Je m'arrête là : déjà les pointes Bic grincent sur le papier pour demander à la rédaction mon renvoi immédiat. Seulement il faudrait bien comprendre une chose... Toute expression artistique, et donc toute littérature, reflète, fût-ce par-delà le conscient de son créateur, une idéologie. Il y a donc une SF de droite et une SF de gauche.
D'autre part tout individu conscient, tout citoyen responsable, se range consciemment ou non dans le champ d'une idéologie. Il y a des gens de droite et des gens de gauche. Corollaire : II y a des critiques de droite et des critiques de gauche.
Vouloir délibérément Ignorer ces deux postulats est faire preuve d'hypocrisie.
Vous venez donc, chers lecteurs, d'assister à l'expérience suivante : un critique « de gauche » a jugé un bouquin « de droite ».
J'attends avec Impatience l'inverse, et les réactions que cela provoquera.