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Quinzinzinzili

Régis MESSAC


Illustration de Édith CARRON

LA TABLE RONDE , coll. La Petite vermillon n° 438
Dépôt légal : mai 2017
Réédition
Roman, 208 pages, catégorie / prix : 7,10 €
ISBN : 978-2-7103-8157-0
Format : 10,8 x 17,8 cm
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
     Cela fait des décennies que la littérature nous annonce l'anéantissement de la race humaine, notre capacité à nous détruire ne se discutant plus. Beaucoup de livres pour un sujet aussi crucial, mais peu de chefs-d'œuvre... Quinzinzinzili, ce roman au titre improbable, est pourtant de ceux-là, ses rares lecteurs n'en démordent pas, qui s'étonnent toujours de son ironie visionnaire, de son pessimisme halluciné et de ses trouvailles géniales. Publié en 1935, il a été imaginé par Régis Messac, considéré comme l'un des précurseurs du genre, et nous entraîne après le cataclysme, à la suite du dernier des adultes sous ses yeux désabusés, un groupe d'enfants réinvente une humanité dont l'Histoire a disparu. Et Messac, qui sait que la civilisation est mortelle, nous offre le spectacle d'une poignée de gosses en train de lui régler son compte...
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition L'ARBRE VENGEUR, L'Alambic (2008)

     La seconde guerre mondiale commence vers 1935. D’abord entre le Japon et la Russie, puis entre le Japon et les Etats-Unis, elle contamine ensuite l’Europe : Hitler envahit l’Ukraine, la France et l’Allemagne s’attaquent mutuellement avant que l’Angleterre n’entre dans le conflit en bombardant Calais. Mais la guerre tourne court : un gaz meurtrier tue rapidement toute la population mondiale. Presque toute, puisque Gérard Dumaurier, à l’abri dans une caverne avec un groupe d’enfants, échappe à l’extermination. Lorsqu’ils ressortent au bout de quelques jours, ils sont les seuls rescapés de l’humanité.

     Ce récit d’une apocalypse rapide ouvre Quinzinzinzili, récit d’anticipation écrit en 1935, premier ouvrage de la collection « Les hypermondes », qui, créée par Régis Messac, passe pour la première collection française de science-fiction. L’écrivain, agrégé de lettres, spécialiste du roman policier et de la SF, militant pacifiste et laïque, porté disparu entre deux camps de concentration en 1945, jouit aujourd’hui d’une aura sans équivalent parmi les auteurs français d’avant-guerre, et la réédition en cours de son œuvre, indisponible depuis les années 70, devrait ravir beaucoup d’érudits.

     Si l’aventure débute comme beaucoup de romans post-apocalyptiques (un groupe de gens ordinaires échappe miraculeusement à une catastrophe), le ton devient rapidement déroutant : un pessimisme extrême se dégage de l’œuvre. Le narrateur, seul adulte et précepteur de deux des enfants survivants, rejette totalement ses responsabilités sans même y réfléchir : à aucun moment il ne se sent concerné par la survie des enfants, bien au contraire. Il prend ses distances et les observe comme un anthropologue devant une tribu étrangère qu’il ne comprend pas. Cette bande, justement, retourne vite à un état proche de la sauvagerie. Leur langage se détériore, ils oublient rapidement leur éducation et se réfugient dans la croyance (« quinzinzinzili », leur nouveau dieu, est la déformation de « qui es in coelis », qui êtes aux cieux) et la violence : luttes pour le pouvoir et pour la possession de la seule femelle.

     Si Messac exprime ses convictions au cours du récit, c’est uniquement en négatif : les pacifistes sont éliminés physiquement en une page et la religion apparaît comme une composante de l’abêtissement du groupe. Aucun espoir ne sera accordé jusqu’au bout de ce court roman et le lecteur en sort abattu — ainsi qu’un peu déçu par la terrible linéarité de l’intrigue. Plus qu’une fiction, Quinzinzinzili fait avant tout figure de témoignage sur l’état d’esprit d’un homme, Régis Messac, et sur son époque.


René-Marc DOLHEN
Première parution : 11/11/2008
nooSFere


Edition L'ARBRE VENGEUR, L'Alambic (2008)

     On a longtemps tenu la science-fiction pour un champ littéraire exclusivement anglo-saxon. Mais depuis la parution de l'anthologie Chasseurs de chimères (éditions Omnibus, cf. critique in Bifrost n°45), il semble bien que les frontières bougent. Parmi les auteurs cités par Serge Lehman, un nom attirait particulièrement l'attention : celui de Régis Messac. Bonne nouvelle : l'œuvre de l'auteur, qui était devenue quasi-introuvable, est désormais en voie d'exhumation grâce à une association créée en 2006 : Les amis de Régis Messac (amis@regis-messac.fr). Trois ouvrages — un roman, un recueil d'articles et les dernières lettres de l'auteur (rédigées avant sa déportation Nacht und Nebel franzosen) — viennent d'être réédités en cet automne 2007.

     Comme beaucoup d'écrivains populaires de son époque, Régis Messac était un polygraphe curieux de tout. Grand lecteur de romans policiers — les Detective Novels comme on disait à l'époque — , on lui doit notamment un essai fondamental sur le sujet. On lui doit également la création de la collection « Les Hypermondes » dédiée à l'esprit prospectif, à l'imagination hypothétique, bref tout ce que l'on appelait pas encore couramment science-fiction. Messac ne nourrissait pas une grande admiration pour la Grande Littérature, cette littérature qui pose. Son pamphlet « A bas le latin ! » contribua à le marginaliser davantage dans son milieu. Avec une douloureuse clairvoyance, il ne nourrissait pas non plus une haute estime pour le genre humain. Quinzinzinzili témoigne bien de cet état d'esprit. On est à mille parsecs de l'esprit américain, ouvert sur les grands espaces intersidéraux et l'aventure ; n'oublions pas que les premiers grands cycles de space opera sont contemporains de ce roman. Celui-ci s'ouvre de la même manière que Malevil de Robert Merle. La deuxième guerre mondiale a fini par embraser le monde. L'extermination, ici causée par un gaz modifiant la composition de l'atmosphère, est totale. Seul un groupe d'enfants et un adulte ont survécu car ils visitaient un réseau de grottes au moment du cataclysme. Commence alors le récit de « l'après » apocalypse, un récit désespéré, celui d'une régression puis d'une réorganisation sur des bases beaucoup plus pessimistes que le roman de Merle et qui n'est pas sans rappeler Sa majesté des mouches de William Golding. Une histoire noire, rehaussée d'un humour grinçant voire caustique, des plus réjouissant. Un récit entaché de doute dès le début car le narrateur, le seul adulte du groupe, n'est plus très sûr ni de sa raison, ni de la réalité des événements.

     « Moi, Gérard Dumaurier... Ayant écrit ses mots, je doute de leur réalité. Je doute de la réalité de l'être qu'ils désignent : moi-même. Est-ce que j'existe ? Suis-je autre chose qu'un rêve, ou plutôt un cauchemar ? L'explication la plus raisonnable que je puisse trouver à mes pensées, c'est que je suis fou. »

     Dumaurier est un individu ordinaire. Dans sa vie antérieure, il a su trouver le filon : être désigné percepteur des deux fils d'un riche Lord anglais. Désormais, il témoigne du devenir de cet embryon d'humanité sans Histoire, ou si peu, qui doit redémarrer à zéro. La régression est totale et ce ne sont pas les maigres connaissances de Dumaurier qui constituent une base viable à la renaissance de la civilisation. « Maintenant, toute la machinerie a sauté en l'air. Anéanties, les machines. Et l'homme de l'âge des machines est tout ce qu'il y a de plus ignorant des machines. Est-ce moi qui pourrais reconstituer la plus simple des mécaniques qui faisaient jadis marcher ma civilisation ? Non, quoique j'aie pu scander des vers de Virgile et traduit Shakespeare en vers français... »

     De toute manière, il s'avère très vite que le bougre ne manifeste aucune velléité pour s'ériger en tuteur. Il s'en contrefiche littéralement, du devenir de cette communauté. Il s'en désintéresse et se cantonne à observer et à écrire. Pour qui ? La question le taraude mais ne l'empêche pourtant pas de continuer. Le groupe d'enfants va donc naturellement grandir et évoluer en vase clos, avec leurs propres moyens, c'est-à-dire pas grand-chose, et grâce aux bribes de connaissances en géométrie et en Histoire qu'ils se remémorent ; connaissances rapidement perverties par leurs pulsions animales. Sur une durée assez floue — peu d'informations sont dispensées sur ce point — , ces quelques spécimens de l'espèce humaine, à peine entrés dans l'adolescence, vont s'organiser, redécouvrir le pouvoir, la coercition, les armes rudimentaires, la superstition, la guerre et s'inventer un langage abâtardi. A leur insu, ils vont régler leur compte à la fois au mythe du bon sauvage, cher à Rousseau, et à l'idée de civilisation. Même l'amour qui bourgeonne dans ces corps emplis de sève et autres fluides vite répandus, n'échappe pas au règlement de compte. L'unique élément féminin, elle-même décrite comme un véritable remède contre l'amour, use et abuse de son attrait sexuel pour ordonner, faire et défaire autour d'elle ce petit monde pathétique. Tout n'est que farce cruelle aux yeux désabusé de Dumaurier qui s'esclaffe devant le spectacle de cette déconfiture de l'humanité. Evidemment, devant tant de pessimisme, on peut être mortifié surtout si on se trouve dans un état d'esprit optimiste. Pourtant, le roman ne franchit pas le cap du nihilisme absolu. Il offre un miroir dans lequel l'humanité peut se reconnaître dans toute sa stupide bassesse et étroitesse d'esprit et évite de s'achever sur un sursaut d'humanisme malvenu. A la décharge de Messac, rappelons quand même que le roman date de 1935, époque pendant laquelle les utopies affichaient leurs sinistres figures et où s'amoncelaient sur le monde les nuages du conflit mondial à venir. Voilà de quoi tempérer les élans d'exubérance du plus sincère optimiste. Pour cette raison, pour le lecteur qui lit ce roman près de 72 années plus tard, Quinzinzinzili demeure le cri d'alarme d'une étonnante modernité d'un pacifiste convaincu, d'un homme « juste » qui, finalement, n'a pas été entendu.

     « Oh, et puis...
     Qu'est-ce que ça peut me faire ?
     M'en fous. Quinzinzinzili !
     Quinzinzinzili ! »

Laurent LELEU
Première parution : 1/1/2008
dans Bifrost 49
Mise en ligne le : 27/1/2009

Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Lorris Murail : Les Maîtres de la science-fiction (liste parue en 1993)
Stan Barets : Le Science-Fictionnaire - 2 (liste parue en 1994)
Association Infini : Infini (1 - liste primaire) (liste parue en 1998)

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