Matthew Phipps SHIEL Titre original : The Purple Cloud, 1901 Première parution : Londres, Royaume-Uni : Chatto & Windus, 1901ISFDB Traduction de Jean GIBET Illustration de Greg VEZON
L'ARBRE VENGEUR
(Talence, France) Dépôt légal : 1er trimestre 2018, Achevé d'imprimer : mars 2018 Réédition Roman, 392 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 979-10-91504-70-6 Format : 12,4 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
La biographie de Roger Dobson, tirée du Visage Vert n° 6 (avril 1999), est utilisée ici comme préface.
Adam a conquis le Pôle Nord en solitaire, conscient cependant d’avoir déréglé l’ordre du monde. A son retour, il réalise que lui seul a été épargné par l’immense nuage pourpre qui est passé en détruisant l’humanité. La Terre est désormais silencieuse, comme figée. Les traces de l’homme y sont partout, vaines, innombrables. En découvrant ce monde qu’il arpente, l’ultime survivant va tenter de donner un sens à sa présence absurde, semant pendant des années, tel un démiurge fou, un feu dont il espère la lumière. Mais au cœur de cet Eden infernal l’attend la chance d’une rédemption…
Imaginé en 1901, ce roman post-apocalyptique hallucinant qui égale les chefs-d’œuvre de Wells, n’a aucun équivalent dans la littérature mondiale. M.P. Shiel y déploie un art baroque de la démesure qui laisse pantois son lecteur plus d’un siècle après sa sortie.
Un classique visionnaire du roman de science-fiction.
[texte du rabat de couverture]
Au cours d'une carrière littéraire qui s'étend de la fin des années 1880 aux années 40, Matthew Phipps Shiel (Shiell à l'origine) dit M.P. Shiel (1865-1947) écrivit vingt-cinq romans et plus de soixante nouvelles. Malgré l'ampleur de sa production, les amateurs de fantastique le connaissent surtout comme l'aiteur d'un seul livre, Le Nuage pourpre (The Purple Cloud, 1901) qui domine toutes ses autres œuvres. On lui doit également des contes dont Prince Zaleski et Xelucha.
Son père ayant acheté Redonda, une île dans les Petites Antilles, il accepta de la céder à la couronne britannique à condition que son fils en soit nommé souverain. Shiel « régnera » jusqu'à sa mort sous le nom de Felipe I.
Depuis 1997, Javier Marias, sous le nom de Xavier I, perpétue cette étrangeté dynastique et a accordé le titre de Duc à des personnalités du monde intellectuel (Bourdieu, Citati, Lobo Antunes, Sebald...). Dans le but de défendre le legs littéraire du royaume, Javier Marias a créé sa propre maison d'édition, Reino de Redonda (Royaume de Redonda), spécialisée dans la littérature fantastique.
«Un livre fou et dévastateur, un songe, un délire, une hallucination, un objet littéraire de forme et de dimension insolite. » Giorgio MANGANELLI
Cité par H. G. Wells, admiré par Lovecraft, ce roman de 1901 est réédité en français après plus de vingt ans dans les limbes (et une première incarnation en « Présence du Futur », puis une réédition chez 10/18). Pas de zombies ni de pandémie dans ce texte apocalyptique, mais les curieuses errances du dernier humain vivant ; un récit étrange et torturé, désuet à souhait, avec tout ce que ça implique de plaisirs et d’agacements pour un lecteur contemporain.
L’histoire, qui peut nous sembler simple aujourd’hui, tant son motif a été depuis exploité, apparaît comme novatrice lors de la parution : alors qu’il participe à un voyage pour rejoindre le pôle Nord (source de fantasmes au tournant du xx e siècle, le pôle géographique ne sera découvert que sept ans après la publication du texte), Adam Jeffson est l’unique survivant humain non seulement de l’expédition, mais, pire encore, comme il le comprend peu à peu, d’un cataclysme qui a parcouru la Terre (en évitant les pôles, donc) sous la forme d’un nuage pourpre tuant sur l’instant quiconque en a respiré la moindre parcelle. La source du désastre ? Divine ou créée par une présence étrangère, on effleurera la réponse sans jamais la dévoiler. La conséquence ? Les errances de ce personnage, objet d’un destin cruel, persuadé d’être mystiquement tiraillé entre deux forces, la Noire, destructrice, et la Blanche, créatrice. Les divagations de ce narrateur tantôt détestable à cause de sa mégalomanie paranoïaque, tantôt touchant de par sa solitude désespérée.
Cet intrus, dorénavant, au sein de son propre monde, parcourt pendant deux décennies la Terre, « Éden infernal ». Décidant parfois d’incendier les villes qu’il visite, par plaisir pyromane, certes, mais aussi pour exprimer l’enfer qui l’habite, lui, le dernier représentant d’une race décimée. Ou se réfugiant dans la construction du plus beau palais jamais bâti, parce qu’après tout, comment donner un but à son existence quand plus rien n’a de sens ? Mais s’interrogeant toujours sur les raisons du chaos. Jusqu’à ce qu’une rencontre lui fasse tout remettre en cause. La rédemption serait-elle malgré tout possible ? Préservons le mystère…
Si l’on fait abstraction des aspects scientifiques et de survie, traités comme des détails vite écartés par l’auteur, reste un roman curieux qui pousse à la réflexion. Reste aussi un ouvrage qui fait sens remis en contexte, car appartenant aux premiers récits s’emparant du désormais topos de l’empoisonnement de l’atmosphère, et inspirant par la suite de nombreux romans tels que La Ceinture empoisonnée de Conan Doyle (1913), ou Le Nuage vert de A. S. Neill (1938, et l’éditeur français de ce dernier ne s’y sera pas trompé, en traduisant ainsi le titre anglais de The Last Man Alive…).
Un livre pour le moins étonnant, donc, qui mérite un petit détour par curiosité historique littéraire.
Maëlle ALAN Première parution : 1/7/2018 dans Bifrost 91 Mise en ligne le : 10/5/2023
Fin 59, le Rayon Fantastique publiait, sous la signature de M. et F. Tavéra, un bien mauvais roman de fin du monde intitulé L'ogive du monde. Gérard Klein, qui critiquait l'ouvrage, souligna sa ressemblance avec un autre roman de ce type, S'il n'en reste qu'un de Christophe Paulin, publié une douzaine d'années auparavant. D'après Klein, cette ressemblance touchait de près au plagiat. Les preuves sur texte vinrent quelques mois plus tard, mais l'affaire ne s'arrête pas là. Dès le Fiction suivant, Jacques Bergier apportait à son tour de l'eau à ce moulin, avec la révélation suivante : « ... la triste vérité, c'est que ces deux livres sont tous deux copiés pratiquement mot à mot sur un troisième : Le nuage pourpre de M. P. Shiel, paru chez Pierre Lafitte vers 1910. » (Fiction n° 71, 74 et 75)
Cette histoire doit être bien oubliée de nos anciens lecteurs et ne saurait passionner les nouveaux. Si j'en ai fait état, c'est que ce fameux livre, Le nuage pourpre, a été porté au catalogue de « Présence du Futur ». Les quelques rares lecteurs possédant les deux précédents pourront donc se livrer à une utile étude — mais ce n'est pas pour eux que je l'écris ici ! Je ne connais pas le second des ouvrages mentionnés ; quant au premier (ou dernier selon la chronologie), il ne mérite que la miséricorde de l'oubli...
Le nuage pourpre est à l'image fidèle de tous ces récits de cataclysmes mystérieux qui ne laissent sur la Terre qu'un ou quelques survivants. Contemporain des récits de même veine de Maurice Renard ou Rosny aîné, il a certainement dû influencer tous les écrivains britanniques (Shiel est anglais) qui, ultérieurement, usèrent de cette trame, à commencer par John Wyndham : parce qu'il se trouvait au pôle nord au moment d'une éruption volcanique qui couvre la Terre d'un mortel nuage pourpre de cyanogène, lequel tue instantanément qui en respire une particule, Adam Jeffson est épargné et se retrouve le seul être vivant sur une planète où flotte encore le douceâtre parfum de pêche du poison qui s'est dilué, au milieu de millions de cadavres préservés de la putréfaction (toujours le cyanogène !). Nous avons donc droit aux sempiternelles pérégrinations sur un monde désert, jusqu'à la rencontre, vingt ans plus tard, avec la Femme, une jeune fille née au moment même de la catastrophe, dans une prison souterraine grâce à laquelle elle a été épargnée et où elle a vécu jusque-là, avant qu'un tremblement de terre la délivre. Si l'on passe sur l'éludation des points cruciaux de la survivance (Adam trouve toujours de quoi manger, et de plus il sait naturellement conduire trains et navires, ce qui est commode pour les déplacements), le livre prend une résonance singulière du fait que le narrateur est une sorte de mystique qui, influencé avant le cataclysme par les sermons d'un prédicateur illuminé, croit que le monde est sous l'influence contradictoire de deux Puissances, la Blanche et la Noire, qui continuent de discourir à l'intérieur de son crâne. L'anéantissement de l'humanité est bien entendu une victoire de la Puissance Noire mais Adam, apparemment soumis tantôt à l'une, tantôt à l'autre, a une conduite qui varie en conséquence : dans un premier temps, il parcourt le monde sur un navire bourré de charges incendiaires et, tel un Néron poursuivi par son idée fixe, il incendie la plupart des villes qu'il rencontre ; ensuite, devenant par là même une sorte de facteur Cheval à la puissance dix, il se réfugie pendant dix-sept ans sur une île où il bâtit de ses mains un fantastique palais à sa propre gloire et à celle de Dieu. De même, une fois son Eve rencontrée, il passera son temps à la fuir et à la rudoyer, tant il craint de succomber à l'amour qu'il éprouve pour elle : car il a décidé que la race humaine est maudite et qu'il ne faut en aucun cas quelle se perpétue.
Cette conduite paranoïaque provoque à la lecture une irritation qui va de pair avec une certaine fascination. Car, si on se lasse vite des exclamations du genre de : « Seigneur Dieu, tu as détruit l'œuvre de Tes mains ! » ou encore : « Mon Dieu, que vais-je devenir, moi, pauvre créature perdue dans les tourbillons de l'Etre ? », d'autres fois, les malédictions de caractère schizoïde du pauvre Adam ont un ton qui ne laisse pas insensible :
« Qu'il n'y ait plus aucun être humain après moi, ô Puissances ! (...) Mais pour les pauvres mendiants qui subissaient la loi du gagne-pain, du loyer, de la maladie, de la tristesse morale, de la peur, Dieu ! que la vie était dure à supporter ! O souffrance profonde, insondable... La vulgarité, la bêtise de cette fourmilière grotesque heureusement balayée de la Terre. ( ... ) Non, ce n'est pas une bonne race, cette petite infanterie qui s'appelle elle-même la race des Hommes. Ici même, je tombe à genoux devant Dieu et le Diable et je fais ce serment : jamais le ne donnerai la vie à un rejeton qui, à son tour, pourrait devenir un dépravé. » (p. 240)
A cette fureur sacrée qui prend parfois, par quelques détours, un ton assez social dans ses motivations, s'ajoutent de vastes descriptions de villes incendiées et des accumulations de cadavres rencontrés au début du périple. Tout cela, il faut bien le dire, ne manque pas de souffle, et les tourments intérieurs d'Adam, inextricablement mêlés aux dévastations extérieures, sont tracés d'une plume vigoureuse ; M. P. Shiel écrit bien, ce qui veut dire aussi que son livre est bien traduit.
Voilà donc certes un ouvrage très daté et, suivant les pages ou l'humeur du moment, le lecteur pourrait être tenté de crier : que c'est bon ! et aussitôt après : que c'est mauvais ! Sa lecture ne peut être conseillée au premier abord qu'à titre de curiosité, mais cette curiosité vous procure bon nombre de satisfactions.
Il reste à signaler que les éditions Denoël, en publiant Le nuage pourpre, auraient pu en signaler les sources. Rien au dos du volume ne vient indiquer qu'il s'agit d'un ouvrage d'un âge respectable. Et si on va jusqu'à chercher le copyright de l'édition originale, on trouve comme date 1963... ce qui paraît un peu jeune (mais c'est là sans doute celui de sa dernière réédition outre-Manche). Les lecteurs qui n'ont jamais entendu parler de M. P. Shiel et de ce titre (ils doivent être fort nombreux) pourraient donc être tentés de croire qu'ils vont lire un roman récent (car, dans le texte, ni dates ni rappels d'événements politiques ne peuvent éclairer sur l'époque de sa rédaction) et éprouver à la lecture une impression fort déroutante qui se retournera contre l'ouvrage : car on n'aborde pas un roman ancien de SF dans le même état d'esprit qu'un roman récent.
Y a-t-il là oubli, paresse, escroquerie mineure ? Force nous est en tout cas de constater une fois de plus que les responsables de « Présence du Futur » font leur travail avec beaucoup de désinvolture.
Denis PHILIPPE Première parution : 1/2/1973 Fiction 230 Mise en ligne le : 5/4/2018