« J'ai vu des centaines d'incendies dans ma vie et je ne suis toujours pas capable de les mettre en mots. J'ai du mal à ordonner l'enchaînement de désastres occasionnés par les flammes, à traduire l'ampleur de la chaleur et de la peur, à réussir à rendre justice à la beauté du feu. Mais il y a quelque chose que je peux dire et qui m'émeut bien davantage que n'importe quel incendie, aussi fastueux soit-il : la résonance qui flotte dans l'air après l'hécatombe, le sentiment aigu d'une perte déposé dans quelque chose d'aussi fragile que des cendres. »
Des raisons qui ont conduit à la fin du monde, nous en saurons peu. Dans ce qui semble être une évolution naturelle de notre siècle déjà si angoissant, les forêts se sont vidées de leurs animaux et les terres sont de moins en moins fertiles. Hormis les Prieurs, ces pauvres hères qui arpentent les routes, prostrés, le regard vide, les hommes et femmes restants vivent reclus en petites communautés, en couples ou seuls, sur les cendres de leurs possessions passées qu'ils ont eux-mêmes brûlées durant des jours. Ne les préoccupe plus que leur quête quotidienne de nourriture, ou l'attente de la mort.
Contrairement au jeu de rôle qui exploite souvent la période d'après, celle où tout est à inventer ou à reconstruire, la littérature et le cinéma ont énormément mis en image et en mots le moment exact de la destruction de notre monde, avec force superlatifs et effets pyrotechniques. Ariadna Castellarnau nous propose au contraire de ressentir une fin de tout presque sans remous, dans de grands feux de joie perpétrés par tous ; une fin rapide mais pas cataclysmique, un tournant comme la fin d'un cycle, pratiquement sans violence mais accompagné d'une apathie généralisée, d'un renoncement de l'humanité à la vie.
Ces textes très courts, qui se croisent au gré d'une référence, d'un personnage, suivent au plus près les pensées de femmes qui participent à la déchéance ou au contraire font preuve de résilience. La prose est sèche, elle épouse les décors arides d'un paysage universel mais en ruine, quelque part entre une forêt et la côte, à la campagne mais pas très loin d'une ville. Apparemment sans affect, elle transmet pourtant admirablement les souffrances des unes, la ferme volonté des autres.
Brûlées est un livre court dont la lecture peut débuter à l'occasion d'un moment libre, par curiosité, mais qu'il est difficile de lâcher avant la fin tant un récit en appelle un autre. Pour tenter de comprendre les raisons d'une telle catastrophe tout d'abord, et puis par désir de reconnaître pleinement ces lieux et ceux qui les habitent, si familiers et si étranges à la fois.