Jo WALTON Titre original : Tooth and Claw, 2003 Première parution : États-Unis, New York : Tor Books, novembre 2003ISFDB Traduction de Florence DOLISI Illustration de Alexandre TUIS
GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 643 Date de parution : 3 octobre 2019 Dépôt légal : septembre 2019, Achevé d'imprimer : 9 septembre 2019 Réédition Roman, 496 pages, catégorie / prix : F8 ISBN : 978-2-07-285669-3 Format : 10,8 x 17,8 cm✅ Genre : Fantasy
Bon Agornin a eu une longue et belle vie, mais sa fin est proche, il le sent. Étendu près de son trésor, il attend la mort. Toute sa famille est réunie pour vivre avec lui ses derniers instants : ses deux fils et ses trois filles, ainsi que son gendre, l’Illustre Daverak, qui héritera de son domaine.
Bon Agornin tient absolument à se confesser à son fils aîné, il veut partir absous de ses péchés, d’autant que ces derniers sont immenses : afin de pouvoir devenir un dragon de soixante-dix pieds de long, capable de voler et de cracher du feu, il a dévoré son frère et sa sœur – les carcasses de bœuf ne suffisent pas pour mener à bien une telle entreprise…
« Je n’ai pas eu le choix », se justifie-t-il, dans son dernier souffle. Avant d’être dévoré à son tour par ses héritiers, comme le veut la tradition chez les dragons.
Hommage aux romans victoriens d’Anthony Trollope, délicieuse chronique d’une société de cannibales à écailles, Les Griffes et les Crocs a reçu le World Fantasy Award. Vous n’avez jamais lu un « roman de dragons » comme celui-ci.
Née au pays de Galles, Jo Walton vit depuis 2002 au Canada. Elle est l’auteur de nombreux romans, dont Morwenna, Mes vrais enfants, Les griffes et les crocs et Pierre-de-vie.
Quel étrange roman que Les Griffes et les crocs ! Quelle étrange idée de l’avoir écrit ! Et quelle merveille encore qu’il ait obtenu le World Fantasy Award en 2004. Qu’on en juge.
Le Digne Bon Agornin se meurt, le Digne BonAgorninestmort.Ce petitself-made aristocrate rural laisse derrière lui deux fils – Penn, un pasteur, etAvan, uncitadinavide d’ascension sociale – et trois filles —SelendraetHaner, encore célibataires, etBerend, mariée « verslehaut » à l’Illustre Daverak. J’ai oublié le principal : tous ces gens sont des dragons.
En postface, Walton dit avoir grandienlisantdesromans victoriens. Elle dit s’être demandé s’il était possible de « biologiser » les comportements incongrus que ces romans attribuent à leurs personnages, notamment féminins, ets’estdonclancéedans cette adaptationlibredeLaCuredeFramley d’Anthony Trollope. Dans Les Griffes et les crocs, donc, lesdragonnesvirentaurose quandunmembredelagentemasculine les toucheoulesapprochedetropprès.La nouvelle nuance qu’elles arborent à compter decemomentlessignaleau monde comme potentiellement sexualisées.Acceptable pour les fiancées et les femmes mariées, le rose marque d’un signe d’infamie les dragonnes sans dragon et en fait des « dragonnes perdues ». Cette contrainte de pureté virginale qui ne pèse que sur les femelles est la preuve de leur infériorité sociale, justifiée ici par leur absence de serre. À l’inégalité des sexess’ajouteuneinégalitésocialeforte, avec des serviteurs aux ailes entravées et le droit pour les dragons puissants de dévorer les plus faibles afin d’en tirer force et pouvoir. Notons qu’on dévore aussi, pour la même raison, sesenfantsdébilesou sesancêtres morts, et c’est sur un coup pendable à ce proposques’ouvrira l’intrigueduroman. Car si le vieux Bon avait laissé par testament le plus gros de sa fortune à ses trois enfants non installés, ses instructions concernant son cadavre étaient moins claires, ce qui permit àDaveraketàsafemmedes’attribuer, à l’esbroufe, la part du lion.
A partir de cette spoliation, le roman est victorien, ou, pourceuxqui nesontpas familiers avec le genre, balzacien. Inégalités sociales et sexuelles, stratification du prestige, religieux omniprésent, testaments, héritages, morts en couche, projets de mariage, recherche d’homogamie, importance de la dot, développement urbain, aventuriersetprévaricateurs, premiers cheminsde fer, procès et avocats, jusqu’à une conclusion où tout finit par s’arrangeraumieux, avec même l’une de ces épiphanies généalogiquesautermedesquelles onréalisequele dernierétait en fait un premier caché. Si on aime, onpourraaimer…Mais, outrelecaractèreunpeusurréaliste—jusqu’auxavocats dragonsportantperruque ; le pompon ! – d’une société victorienne draconique que Walton décrit toujours un peu à distance sur le plan technique tant elle est, de ce point de vue, difficile à justifier, je me suis demandé durant toute la lecture à quoi servait cette transposition. Et je n’ai pas trouvé de réponse. Les deux ou troismétaphoresfaciles(changementde couleur, draconophagie, entravedesailes) n’apportentrienàunrécit quieststrictement classique. Pour ces thèmes et ces histoires, on peut lire Austen ou Balzac. Pourquoi lire Walton ? Je l’ignore.
Éric JENTILE Première parution : 1/10/2017 Bifrost 88 Mise en ligne le : 12/3/2023