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L'Obscur

Philippe TESTA

Première parution : Vevey, Suisse : Hélice Hélas, collection Cavorite et Calabi-Yau, 25 mars 2020

Illustration de KRUM

HÉLICE HÉLAS (Vevey, Suisse), coll. Cavorite et Calabi-Yau précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : 6 mars 2020
Dépôt légal : 2020, Achevé d'imprimer : janvier 2020
Première édition
Roman, 208 pages, catégorie / prix : 22 CHF 18 €
ISBN : 978-2-940522-87-3
Format : 13,3 x 18,5 cm
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture

« Des années durant, j’ai connu une sorte d’absence éveillée, les aubes disparaissant sans laisser de traces, au milieu de personnes qui semblaient n’être que des copies conformes d’un modèle disparu. A présent que nous avons presque cessé d’exister, je me rends compte à quel point j’ai eu de la peine à me sentir en vie. »

Un monde en ébullition. Partout en Europe, des pannes d’électricité de plus en plus fréquentes alarment les populations. Privés pendant quelques heures de la lumière et des commodîtés technologiques, les humains s’enfoncent dans une lente détresse. Alors que les derniers fusibles de l’ordre social vacillent, l’obscurité gagne du terrain et révèle par contraste ce qu’une société de la compétition cannibale produit de plus saillant.
Dans L’Obscur, l’histoire locale et l’histoire globale s’entrelacent dans le regard impuissant du narrateur, manifestement atteint d’un trouble du spectre autistique.

Critiques

    Futur presque proche. Le monde de L’Obscur est le nôtre en pire. Des inégalités encore plus grandes, une part des actifs occupés de plus en plus faible, un changement climatique toujours plus intense.

    Dans le monde de L’Obscur on appartient à l’une des quatre classes qui structurent l’humanité. La classe salariée routinière dont le narrateur est l’un des membres et où on vit dans l’angoisse de la requalification (un licenciement présenté comme une opportunité), la classe des cadres sup’ chiens de garde du capitalisme pour Marx, la « classe » des sans-emploi (l’armée industrielle de réserve), ou enfin l’Überclass des super riches, détenteurs du capital et extracteurs de l’essentiel de la plus-value globale.

    Individualisme humain et consumérisme ultra-libéral infantilisant ont œuvré ensemble à créer un monde dans lequel les jobs semblent si bullshit qu’on ne comprend jamais vraiment quel est celui du narrateur, dans lequel les humains, dans un globish improbable de termes anglais et corporate, n’expriment que des sentiments superficiels, dans lequel on vit gavé d’info globale insignifiante, de divertissement et de réseaux, dans lequel on est assisté par un job-coach pour tenter de devenir salarié et un coach médical qui lutte à grands coups de médocs anti-trauma contre les dépressions et psychopathologies diverses qu’une telle société ne peut que générer. Ah, j’oubliais, c’est aussi un monde dans lequel il n’y a quasiment plus de nature sauvage, restent les « Aires Récréatives Protégées ». Tout est sous contrôle. Sauf que non.

    Dans ce monde en tension permanente, les inégalités sont telles que le pain et les jeux ne suffisent pas à assurer la stabilité sociale. Des forces « anti » protègent ce qui peut payer pour l’être, entreprises ou gated communities. Nonobstant, les émeutes sont fréquentes, de plus en plus, les morts qui en découlent aussi. C’est Journal de nuit (Jack Womack) version premium.

    Dans ce monde vit le narrateur. Introverti, solitaire, peu liant, il est une aberration dans une société qui prône le contact et l’extraversion exhibitionniste comme des vertus cardinales. Il a frère, sœur, parents, mais n’est vraiment proche d’aucun. Lunaire, inadapté, il rêve d’autre chose, de s’envoler dans un ciel immobile – tel le héros de Brazil. Il a eu une amie, Pia, qu’il retrouve alors que la Suisse dans laquelle il vit (et plus largement le monde) est touchée par de massives coupures de courant inexpliquées et que la première colonie martienne, si loin, semble affectée par un mal inexplicable qui pourrait l’anéantir. Mais quand les coupures se prolongent de plus en plus, même si on peut sortir de chez soi, contrairement aux colons, on ne peut pas aller se réfugier ailleurs. Jared Diamond l’a montré dans Effondrement, la Terre, à son échelle, est aussi une île dont on ne peut s’échapper ; et quand le courant vient à manquer vraiment, une civilisation qui tirait sa possibilité même de l’énergie électrique s’effondre. L’homme, déjà décivilisé par la société du divertissement, revient par nécessité de survie à des comportements de chasseurs cueilleurs en micro-groupes hostiles ou méfiants les uns envers les autres. Le narrateur va tenter de survivre à la nouvelle donne, en compagnie de Pia, au milieu de risques que n’avaient plus connus les Occidentaux depuis des siècles ; le retour à la Nature est celui de Hobbes, pas celui de Rousseau.

    Testa, dans une langue travaillée, raconte le monde fou à venir, l’effondrement inexpliqué (qui peut venir de n’importe quel grain de sable, cf. Le Paradoxe de Fermi de Boudine), la fin de la société et le retour aux communautés. Si le roman peut rappeler ceux de Jean Baret, il est moins rigolard ; on se trouve ici plus près du désespoir existentiel de Houellebecq, par exemple, celui d’une humanité arrivée au bout d’un modèle intenable, et alors que les super-riches ont fait sécession comme l’expliquait Bruno Latour récemment dans Où atterrir ?, la réponse de Testa est simple : chez les nomades de Marshall Sahlins.

Éric JENTILE
Première parution : 1/10/2020 dans Bifrost 100
Mise en ligne le : 12/4/2024

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