Robert E. HOWARD Titre original : Lord of Samarcand and Other Adventure Tales of the Old Orient, 2005 Première parution : États-Unis, Lincoln (Nebraska) : Bison Books (The Works of Robert E. Howard #4), avril 2005ISFDB Traduction de Patrice LOUINET Illustrations intérieures de Stéphane COLLIGNON
LIVRE DE POCHE
(Paris, France), coll. Fantasy n° 35826 Date de parution : 24 juin 2020 Dépôt légal : avril 2020, Achevé d'imprimer : avril 2020 Réédition Recueil de nouvelles, 768 pages, catégorie / prix : 10,20 € ISBN : 978-2-253-26218-3 Format : 11,0 x 17,8 cm✅ Genre : Fantastique
« Elle était grande, superbement bâtie, et pourtant élancée. De sous son casque d’acier s’échappaient de longs cheveux rebelles qui tombaient sur ses épaules charpentées en une cascade d’or roux qui étincelait au soleil.
— Hé, Sonya la Rousse ! s’écria un homme d’armes en agitant sa pique. Fais-leur en baver, ma fille !
— Fais-moi confiance, compagnon, répliqua-t-elle tout en approchant la mèche enflammée de la lumière du canon.
Une formidable détonation noya le reste de ses propos et un nuage de fumée aveugla tous ceux qui se trouvaient sur la tourelle. À cet instant, un grand cri retentit par-dessus les murs comme un coup de tonnerre : les janissaires passaient à l’attaque. Soliman n’avait pas l’intention de perdre de temps avec cette ville. »
Établie à partir des manuscrits originaux, cette édition propose une compilation des récits épiques et historiques de R. E. Howard où l’on fait connaissance de Sonya la Rousse, l’un de ses personnages emblématiques.
R. E. Howard nous livre à n’en pas douter certains de ses meilleurs textes.
Elbakin.
1 - Patrice LOUINET, Introduction, pages 9 à 17, introduction 2 - Les Faucons d'Outremer (Hawks of Outremer, 1931), pages 19 à 72, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 3 - Le Sang de Belshazzar (The Blood of Belshazzar, 1931), pages 75 à 129, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 4 - Les Épées rouges de Cathay la Noire (Red Blades of Black Cathay, 1931), pages 131 à 187, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 5 - Les Cavaliers de la tempête (The Sowers of the Thunder, 1932), pages 189 à 262, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 6 - Le Seigneur de Samarcande (Lord of Samarcand, 1932), pages 263 à 327, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 7 - La Route d'Azraël (The Road of Azrael, 1976), pages 329 à 399, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 8 - Le Lion de Tibériade (The Lion of Tiberias, 1933), pages 401 à 455, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 9 - L'Ombre du vautour (The Shadow of the Vulture, 1934), pages 457 à 531, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 10 - La Voie des aigles (The Road of the Eagles, 2005), pages 533 à 593, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 11 - Des Faucons sur l'Égypte (Hawks over Egypt, 1979), pages 595 à 664, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 12 - Les Portes de l'empire (Gates of Empire, 1939), pages 665 à 731, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 13 - Patrice LOUINET, De Jérusalem à Samarcande, les récits historiques de Robert Howard (From Jerusalem to Samarkand, the historical stories of Robert Howard), pages 733 à 758, postface 14 - Patrice LOUINET, Notes sur les textes, pages 759 à 760, notes
Patrice Louinet nous avait promis de poursuivre l'adaptation de l'œuvre howardienne en association avec les éditions Bragelonne, c'est chose faite. L'intégralité des aventures de Conan et Solomon Kane étant désormais parue dans des éditions luxueuses dignes de ce nom (nouvelles traductions, aucune censure, illustrations originales...), c'est un recueil uniquement composé des nouvelles « historiques » de Robert Howard que nous pouvons aujourd'hui apprécier grâce à lui. Comme la plupart des écrits de l'auteur, ces textes ont déjà été publiés aux éditions Néo et chez Fleuve Noir, dans des versions expurgées et tronquées 1 ; une fois de plus, Patrice Louinet a donc endossé son imper et sorti sa loupe pour mener une enquête approfondie afin de dénicher les manuscrits originaux en vue d'établir une nouvelle traduction.
« A douze ans, grogna FitzGeoffrey, j'étais livré à moi-même, accompagnant les kerns aux cheveux hirsutes dans les marécages désolés de mon pays. J'étais vêtu de peaux de loup, pesais non loin de quatre-vingt-dix kilos et j'avais déjà tué trois hommes. »
De vous à moi, c'est en partie pour ce genre de phrase assassine que Robert Howard demeure l'un de mes auteurs favoris. Comme le suggère cette citation, le contexte historique et a priori « sérieux » n'atténue en rien la rage d'un Howard complètement déchaîné, bien au contraire : attendez-vous donc à recevoir de plein fouet votre lot de guerriers farouches et indomptables, de méchants cruels et raffinés, d'esclaves dociles et dénudées, de bagarres furieuses et sanglantes, de tortures abjectes, de passages secrets et de sorcellerie maléfique dans une suite de joyeux massacre dont Howard avait le secret.
Dans ma critique des Clous Rouges, je vous annonçais un Robert Howard au sommet de son art mais ce nouvel ouvrage me contraint à réviser mon jugement, car le radicalisme affiché par l'auteur dépasse ici des limites que l'on pensait franchies, et s'exprime avec une rage incroyable au sein d'histoires peuplées de personnages qui, tels des forces de la Nature, avancent sans hésitation en laissant derrière eux un amoncellement de cadavres. Action effrénée, rebondissements à chaque page, personnages charismatiques, répliques percutantes, des phrases qui restent gravées dans les mémoires... Disons-le sans détour : certaines histoires de ce recueil dépassent en dynamisme et en intensité la plupart des aventures de Conan.
Étant donné le nombre conséquent de nouvelles présentées (quatre volumes furent nécessaires aux éditions Néo pour les publier), je n'aborderai ici que les plus marquantes. De mon point de vue, s'entend.
La première, Les Faucons d'Outremer, met en scène Cormac FitzGeoffrey, un chef de clan irlandais aux sang mi-celtique mi-normand qui ferait passer Conan pour un enfant de chœur. Pour situer le contexte, l'histoire se déroule au cours des Croisades, après la disparition de Richard Cœur de Lion. Suite à la menace née d'une alliance entre ses ennemis irlandais, FitzGeoffrey a fui son pays pour rejoindre la Terre Sainte. Sur place, la volonté de venger la mort d'un chevalier français qui comptait au nombre de ses rares amis va l'amener à se confronter à un seigneur musulman en s'infiltrant dans son château. A la différence d'un Solomon Kane, FitzGeoffrey ne connaît donc aucun idéal : seul le destin l'amène à participer aux croisades.
Les Épées Rouges de Cathay la Noire se révèle étonnamment romantique (ce qui n'est finalement pas très surprenant, quand on connaît la personnalité de l'auteur). Bien entendu, s'agissant d'un récit de Robert Howard, nous avons droit à un monstrueux affrontement où un héros inédit, le Normand Godric de Villehard, vient prêter main forte à un royaume assiégé par les troupes de Gengis Khan, motivé par les beaux yeux d'une princesse orientale. Cette nouvelle ne semble pas la préférée de l'auteur et de Patrice Louinet, en raison de ses approximations historiques, mais croyez-moi : vous aurez rarement lu pareille bataille (notons toutefois que l'ouvrage recèle de nombreuses autres batailles rangées tout aussi épiques).
La quatrième nouvelle, Les Cavaliers de la Tempête, est un véritable petit bijou sans temps mort. Cahal Ruadh, roi irlandais dépourvu de royaume, erre dans la région de Jérusalem sans but précis quand une suite d'événements l'amène à incarner le seul espoir de survie des chrétiens et des musulmans, qui devront sceller une union sacrée pour repousser des raids barbares. C'est une véritable course contre la montre aux enjeux historiques qui s'engage alors.
On retiendra également Le Lion de Tibériade, avec son schéma narratif surprenant (l'introduction n'entretient aucun rapport avec l'histoire, et ne trouve sa justification que dans la conclusion de la nouvelle), son extrême cruauté, et son final vengeur shakespearien dans l'âme.
L'Ombre du Vautour fait un peu cas à part, puisque l'auteur délaisse un temps les Croisades et « délocalise » son action en 1529, à Vienne, qui doit subir les assauts du Grand Vizir Soliman. Connu pour ses remarquables personnages au charisme indéniable, Howard réussit à donner vie à un acteur d'exception dans son univers (et bien connu des amateurs de comics) dont la principale originalité tient à son... sexe. On ne sera guère surpris de retrouver Red Sonya, « Sonya la Rousse », représentée sur la couverture de l'ouvrage, mais on sera en revanche beaucoup plus étonnés de découvrir l'aventurière tel qu'elle a été créée par Howard, bien loin de l'amazone en slip métallique dessinée par John Buscema (et tout aussi éloignée de la réputation machiste des récits de l'auteur). Personnage de caractère, un brin garçon manqué mais pourtant féminine et séduisante, Sonya s'impose dès sa première apparition comme l'égal du « mâle howardien » et parvient même à voler la vedette au taciturne (et moitié alcoolique) Gottfried Von Kalmbach, guerrier invulnérable impressionné par ses exploits lors du siège de Vienne.
Enfin, Les Portes de L'Empire , que l'on pourrait qualifier de nouvelle humoristique, tranche un peu avec l'univers howardien de par son ton décalé. On peut d'ailleurs noter que dans le registre comique, l'auteur ne s'en sort pas trop mal, et on suit avec amusement le destin de ce serviteur porté sur la boisson dont les bévues et les mensonges finissent par influencer le cours de l'Histoire !
Vous l'aurez compris : malgré leur aspect hétéroclite, ces nouvelles entretiennent quelques points communs. Tout d'abord, leurs personnages inédits (généralement d'origine celtique ou nordique) présentent la particularité d'être des parias rejetés par leur propre clan, isolés, loin de leur patrie, échoués dans les alentours de Jérusalem. Ce qui nous amène à une seconde similitude : la plupart des histoires ont pour cadre les Croisades, qui fascinent Howard. On pourra noter, à cette occasion, son ouverture d'esprit. On a beaucoup accusé l'auteur texan de racisme (surtout envers les Africains) mais ici, l'affrontement entre chrétienté et Islam, entre Occidentaux et Arabes ne semble pas l'intéresser, du moins sur un plan idéologique ; il s'agit avant tout de combats d'hommes, et aucun des camps en présence n'est présenté comme intellectuellement ou culturellement supérieur à l'autre (le héros chrétien s'alliant même parfois avec son adversaire musulman face à une menace commune). A dire vrai, ses chrétiens font montre d'une violence barbare qui contraste parfois avec la noblesse et la sagesse de leurs adversaires arabes ou mongols (sans trop en dire, on remarquera d'ailleurs une tendance à faire intervenir des personnages historiques en conclusion des récits, dans un rôle bien pratique de deus ex machina).
Je pense qu'il est inutile de vous le préciser : j'ai dévoré Le Seigneur de Samarcande. Grand fan de l'auteur, j'avoue avoir été un peu réticent à l'idée d'un cadre historique, mais cet aspect rebutant est trompeur car Robert Howard adapte les faits historiques selon ses envies et sa passion, à la manière d'un Alexandre Dumas, pour se les accaparer et mettre en valeur d'incroyables personnages qui, même s'ils se ressemblent, sont pourtant différents et immédiatement charismatiques, dès leur première apparition (là où des écrivains peinent à faire exister un personnage sur la longueur d'un roman). Pour finir, on notera d'excellents dessins de Stéphane Collignon, parfaitement raccord avec le ton de l'ouvrage.
Notes :
1. Voici une parfaite occasion pour vous amuser avec notre base de données, en cherchant les différentes éditions des nouvelles à partir des titres originaux. D'après moi, seul La Voie des Aigles est inédit. Notons toutefois que Des Vautours sur l'Égypte a déjà été publié dans Conan le Flibustier, sous le titre Des Éperviers sur Shem, curieuse traduction de Hawks over Egypt. L. Sprague de Camp, toujours aussi respectueux de l'œuvre de l'auteur, avait jugé bon de changer les personnages de cette nouvelle historique pour en faire une aventure de Conan.
Quand Farnworth Wright, alors rédacteur en chef de Weird Tales, décida en juin 1930 de lancer Oriental Stories, Howard était tenté par l’écriture de récits historiques depuis plusieurs années. Ses essais pour placer ses tentatives auprès de la revue Adventures, découverte dès 1921, à l’âge de quinze ans, et qui publiait nombre d’auteurs qui allaient l’influencer, dont Harold Lamb au premier chef, s’étaient révélées vaines, aussi saisit-il au bond la balle lancée par Farnworth Wright, avec qui il avait l’habitude de travailler.
En 1930, la carrière de Howard bat déjà son plein et il a publié certains de ses meilleurs textes. Ceux rassemblés ici par Patrice Louinet répondent à deux critères bien spécifiques : ils sont situés dans le monde réel et ne recourent pas au fantastique.
Oriental Stories a vocation à publier des aventures situées en Orient ou en Extrême-Orient. En 1930, peu de gens, peu d’Américains sont allés en Égypte, en Syrie, au Yémen ou en Afghanistan, a fortiori dans les républiques musulmanes d’Union Soviétique (Turkménistan, Ouzbékistan, Azerbaïdjan…). Pour le lecteur de pulps d’alors, ce sont des contrées lointaines et mystérieuses fort mal connues. La télévision n’a pas été inventée, l’internet encore moins (donc pas de Google Earth pour visiter le monde à domicile). L’époque offre toujours une large place à l’imagination et la fantaisie des auteurs. De Samarcande (alors en URSS), le lecteur américain de pulps n’a pu voir au mieux que quelques photos et peut-être un court film aux actualités cinématographiques. Néanmoins, Patrice Louinet rapporte que des lecteurs réagirent au « Seigneur de Samarcande » jusqu’à nécessiter l’intervention de Farnworth Wright lui-même pour calmer la polémique, mais pas là où Howard s’attendait à la contradiction : le suicide fictif de Byazid (Bajazet) ou la mort de Timour (Tamerlan) par arme à feu ; là où il avait pris des libertés avec l’histoire. La contradiction porta sur les distances qu’il avait prises avec la culture musulmane en faisant boire de l’alcool à Tamerlan. Avec le recul, ce n’est guère surprenant. Si les faits historiques pouvaient échapper aux lecteurs, certains devaient connaître un tant soit peu l’Islam, voire être musulmans eux-mêmes.
Howard a choisi le Proche et Moyen-Orient au bas Moyen-Âge comme théâtre de ses récits historiques. « Des faucons sur l’Égypte » semble être le récit situé à l’époque la plus ancienne, en 1021 ; la plus récente étant le siège de Vienne par les armées de Soliman le Magnifique en 1529, auquel on assiste dans « L’Ombre du vautour ». « La Voie des aigles » mentionne la date de 1595 mais ça n’a guère d’importance…
Au fil de ces récits, on croisera les principales figures historiques de l’époque. Saladin dans « Les Faucons d’outremer », qu’on reverra par la suite. Gengis Khan dans « Les épées rouges de Cathay la Noire », le premier texte historique du Texan. Baïbars dans « Les Cavaliers de la tempête ». Bayazid et Tamerlan dans « Le Seigneur de Samarcande » ou encore Zenghi dans « Le Lion de Tibériade ». Seul le dernier fragment inachevé livré en appendice est situé dans l’Antiquité…
Les textes sont bons, voire très bons, parce qu’Howard est l’un des tout meilleurs conteurs des littératures de l’Imaginaire. Et l’édition Louinet est absolument remarquable par son érudition.
Cela dit, rappelons que Howard écrivait pour les pulps des histoires de cinquante pages environ, pas pour constituer les forts volumes de plus de cinq cents pages à la mode d’aujourd’hui. Du coup, on ressent alors la même chose qu’à la lecture de Lee Winters, shérif de l’étrange (les Moutons électriques). Malgré des textes globalement d’un très bon niveau quand ils ne frisent pas l’excellence, une certaine lassitude s’installe, due à la répétition de motifs assez semblables. Cet effet est amplifié par des personnages principaux qui, même lorsqu’ils ne sont pas Cormac FitzGeoffrey, ne cessent jamais de lui ressembler comme autant de jumeaux. Bien que s’étendant sur plus de cinq siècles, les combats, pour épiques qu’ils soient, sont également trop semblables, le siège de Vienne seul offrant un rendu différent.
Il en faudrait toutefois bien davantage pour venir à bout de l’incroyable talent de raconteur d’histoires du Texan, qui, même quand il ne donne pas son meilleur, vous emporte dans le fracas et la furie des batailles.
Jean-Pierre LION Première parution : 1/10/2016 Bifrost 84 Mise en ligne le : 26/10/2022