Alexis LEGAYET Première parution : Lyon, France : Æthalidès, 17 septembre 2020
ÆTHALIDÈS
, coll. Freaks n° 7 Date de parution : 17 septembre 2020 Dépôt légal : septembre 2020 Première édition Roman, 192 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 978-2-491517-05-2 Format : 11,8 x 19,1 cm❌ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
2145 : La libération animale a eu lieu un siècle plus tôt, et l’humanité s’évertue désormais à transformer le génome afin d’éliminer la prédation et le conflit. À la suite de la résistance animaliste du siècle précédent, un nouveau mouvement éthique et frugivore, le Flower Power, accuse les véganes d’être les infâmes prédateurs des plantes innocentes. Le paradis sur Terre est, pour celles-ci, un enfer. Malgré son indifférence à la cause végétale, un jeune étudiant, Dan, intègre le mouvement pour se rapprocher de l’envoûtante Alice.
Critiques
[Critique parue exclusivement dans la version numérique de la revue]
On pourra penser que 18 euros pour un livre aux dimensions et à la pagination d’un ancien Fleuve Noir, période « Fusées », est un prix élevé mais il y a bien longtemps que je n’ai pas trouvé mon argent aussi bien placé.
Publié par les soins du petit éditeur lyonnais Æthelidès, Bienvenue Au Paradis semble être passé sous la plupart des radars et Alexis Legayet, philosophe de profession – un vrai, un bon, pas une caricature à la BHL – gagnerait à être bien mieux connu. J’ai découvert l’ouvrage par un pur hasard, en cherchant ce qui pouvait bien s’écrire sur la mode végane.
En 2145, le monde a bien changé. Le véganisme a partout triomphé. Non seulement plus aucun animal n’est mangé, ni tué, ni maltraité, mais encore sont-ils considérés comme des individus à part entière. Il n’y a plus aucune différence de jure entre animaux et humains. Mieux, les animaux carnassiers ont été génétiquement modifiés afin qu’ils n’en dévorent plus d’autres. Ainsi, le lion et l’agneau dorment-ils ensembles comme il en aurait été au Jardin d’Eden avant la chute. Dans ce monde pacifié, sans plus ni guerre ni crime, la jeunesse s’ennuie et s’est donc découvert une nouvelle cause à défendre : les végétaux. Ils seraient des créatures tout aussi sensibles et vivantes que les animaux et devraient donc avoir les mêmes droits… L’humanité, fidèle à elle-même, en serait toujours à se livrer à sa passion pour le génocide. Et le cri d’agonie des carottes assassinées retentirait à la face du monde dans un silence assourdissant…
Dans ce monde, Dan Basquet est tombé amoureux fou du fessier d’Alice Roux, activiste du Flower Power auquel il adhère à dessein de la séduire, ce qui le conduira bien au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer. Car, à extrémiste, extrémiste et demi. En dépit de la photosynthèse, le struggle for life n’est nullement étranger au règne végétal. Certains ont donc une vision plus radicale encore pour en finir avec l’hétérotrophie et s’ouvrir enfin à une vie affranchie de toute mort. Le Flower Power, lui, n’autorise plus pour se nourrir que les fruits tombés – vus comme morts, ce qui serait vrai des feuilles ne l’est pas des fruits qui sont en quelque sorte les « fœtus » des plantes, des processus métaboliques en cours. Les consommer serait donc une forme d’avortement. Legayet fait l’impasse sur cette idée mais ça ne nuit en rien à son propos.
Le roman d’Alexis Legayet propose deux niveaux de lecture. Au premier, c’est un roman de science-fiction, sous-tendu d’un humour jamais gratuit, assez simple tant dans son intrigue que ses péripéties qui le rendent accessible à tous. Au second, c’est un conte philosophique voltairien qui, là aussi, est à la portée de tous. Il pousse, à travers un raisonnement par l’absurde dont Swift s’était fait une spécialité, la morale dans ses plus ultimes retranchements. Legayet éclaire d’une façon différente la collusion qui s’établit entre le transhumanisme et la branche végane de la nébuleuse politiquement correcte tout comme Jocelyne Porcher l’a fait à propos de la viande cellulaire. Tous les êtres vivants sont des structures dissipatives chères au Nobel de chimie Ilya Prigogine, c’est-à-dire des structures qui se maintiennent loin de l’équilibre en consommant une énergie extrinsèque dont l’hétérotrophie est une forme, la photosynthèse une autre et Nature 2.0 une troisième. Bienvenue au Paradis, sans avoir l’âpreté technique de Greg Egan ou Ted Chiang s’apparente à ces auteurs et ouvre sur une thématique qu’ils ont abordé. Il s’agit de pousser jusqu’au bout le posthumanisme, comme dans Diaspora. Les xénobiologistes envisagent que soit possible des formes de vie basées sur le silicium mais, et c’est ici le cas, n’est-il pas envisageable que la vie silicée soit issue, produite, par la vie carbonée, comme une saltation vers un niveau de moindre accroissement de l’entropie. Enfin, dans l’épilogue, Alexis Legayet résout d’une façon fort élégante le paradoxe de Fermi formulé à partir de l’équation de Drake.
Bienvenue au Paradis est le livre le plus intéressant qu’il m’ait été donné à lire depuis Corpus Delicti : Un Procès de l’Allemande Juli Zeh (Actes Sud). S’il est d’une rare profondeur, il offre en outre l’avantage d’une très grande facilité d’accès et ne manque pas d’une certaine drôlerie. Il est à la portée de tout un chacun et permet à tous de nourrir ses réflexions. Éminemment spéculatif, il place, sans élitisme aucun, la littérature à son maximum. A moins que vous ne recherchiez qu’un pur divertissement, si vous ne deviez lire qu’un seul livre contemporain, celui-ci est au tout premier rang des choix possibles.
Alexis Legayet est un auteur aujourd'hui confidentiel qui mérite une plus large audience, parce qu'il délivre, volume après volume, des petites choses bonnes et parfaites. Il interroge le futur qui se dessine aujourd'hui sous forme de contes philosophiques qui finissent en apothéoses science-fictives. C'est vif et réjouissant, et ça creuse profond, dans celui-ci en particulier.
Nous sommes ici en une époque d'après un grand désastre, où ce qui reste d'humanité semble être ressortie grandie de l'épreuve du feu : les instincts sanguinaires ont été expurgés, chacun est pacifique et végétarien, les animaux carnassiers et agressifs ont été génétiquement modifiés pour devenir doux, l'humain et le lion s'endorment tranquillement côte à côte au pied de l'arbre, c'est le paradis réalisé, ici et maintenant.
De nombreux détails cocasses rendent vivant ce paradis : les véhicules encore autorisés doivent prendre garde aux sangliers qui déambulent dans les rues (et qui réclament volontiers des caresses aux passants en se couchant sur le dos), il convient de se méfier des poules qu'on n'a pas pris la peine de modifier mais qui peuvent s'avérer vindicatives. Mais enfin, on s'accommode volontiers des poules et des sangliers dans une société où la police ne sert plus à grand chose et où le travail occupe 15 heures dans la semaine d'un individu.
Reste qu'une nouvelle passion s'est emparée d'une frange de la jeunesse : et si les végétaux avaient des droits, eux aussi ? Une sensibilité ? L'humanité ne serait-elle pas en train de bafouer encore le vivant ? Le Flower Power milite désormais pour limiter aux fruits tombés, et donc morts, la consommation humaine de végétaux. Tout autre pratique sera désormais combattue.
C'est sur cette prémisse que démarre le conte, qui sera développée à travers les tribulations d'un jeune étudiant en génétique qui tombe raide dingue de l'une de ses condisciples, militante du Flower Power. Il fait mine de vouloir militer, et il se trouvera embarquée dans un périple qui atteindra des extrémités folles, car d'autres ont tiré des conclusions encore plus radicales encore sur l'avenir de l'humanité...
Alors, Alexis Legayet tire peut-être plus son inspiration de Pierre Boulle que de Robert Heinlein, c'est-à-dire qu'il manque ce qu'on pourrait appeler le décor : manquent la visite guidée de l'univers, son histoire, sa sociologie, ces détails techniques si piquants, tout ce qui a fait la fortune de Dune, en somme. Reste qu'il y a plus de philosophie dans un volume d'Alexis Legayet que dans la plupart des romans de science-fiction (et pour cause, c'est le métier du bonhomme).Si donc les amateurs de romanesque pourraient être déçus, les amateurs de spéculation seront ravis.