Suite à un suicide massif d’une génération adolescente devant l’inaction climatique des gouvernements, un Grand Pacte National a été promulgué, non pour lutter contre le dérèglement du climat, mais pour relancer la natalité en forçant les femmes à enfanter avant vingt-cinq ans et pour annihiler toutes les sources de subversions. Le pouvoir est devenu dictatorial, les livres et autres sources d’informations sont interdits ou contrôlés, la contestation a été dissoute dans le sang. Seuls quelques personnes résistent, majoritairement des femmes, vivant clandestinement dans la ville ou refugiées dans une région éloignée.
C’est par de multiples voix (quatre femmes, un homme, un enfant) situées à deux époques différentes, la première juste après l’instauration de la dictature du pacte national, la seconde (et plus importante) un peu plus d’une trentaine d’années après, que l’on découvre ce pays dystopique. Ces voix, ce sont celles des personnes ayant résisté à ce pacte : d’abord un groupe de femmes qui ont fui la ville pour se réfugier dans des grottes qu’elles ont creusées en partie, établies en une communauté autonome mais fragile. Mais aussi celles qui sont nées après le pacte, qui n’ont connu que le pouvoir autoritaire, comme le couple Louise et Raphaël. Louise, mascotte de supermarché le jour, danseuse nue la nuit dans un club/librairie clandestin, mais aussi lieu de rencontre homosexuel fréquenté par Raphaël.
Viendra le temps du feu est bien évidemment, le quatrième de couverture ne s’en cache pas, un roman féministe militant. On y parle d’oppressions des femmes et des homosexuels, résistance à un pouvoir patriarcal extrême, sororité et auto-organisation. Ce n’est pas pour autant un essai politique déguisé en roman : l’autrice y déploie un vrai talent de conteuse, donne vie à ses personnages qui ne sont pas là pour déclamer de longs monologues ressemblant à des tracts, mais qui nous rappellent juste que les premières victimes des pouvoirs autoritaires sont souvent les femmes et les minorités sexuelles. L’utilisation de ces six voix, couplée à des chapitres courts, donne au roman un rythme rapide, sans temps morts, rendant ce monde et ses résistances aussi vivants que possible.
Certes, pour le lecteur ou la lectrice de dystopies, les références paraitront nombreuses et un peu trop évidentes : certains passages évoquent 1984 (la découverte des quartiers les plus populaires de la ville par exemple, ou la fuite dans la nature), Fahrenheit 451 (pour l’interdiction et la sauvegarde clandestine de la littérature) ou, forcément, la Servante écarlate de Margaret Atwood. On pourra aussi regretter l’utilisation un peu maladroite d’allusions à notre époque, notamment avec le personnage de Geïa Walden (encore un clin d’œil, cette fois à l’œuvre de Thoreau), mais cela n’enlève rien aux qualités du récit.
Viendra le temps du feu est une dystopie aussi réaliste que glaçante racontée avec talent par Wendy Delorme. C’est aussi un roman où perce l’espoir, où malgré un univers sombre et autoritaire, les personnages bougent, vivent et ne se laissent pas écraser, où les jours heureux peuvent encore revenir.
René-Marc DOLHEN
Première parution : 16/5/2021 nooSFere