C'est la fin du monde. De l'Humanité ne subsiste plus qu'un vaste hôpital psychiatrique dont la police et le Parti ont pris le contrôle. Apocalypse ou pas, la machine bureaucratique continue de fonctionner : efficace, froide, engoncée dans un jargon absurde jusqu'à en être comique. Le Parti est déchiré par les luttes intestines de ses 343 fractions. Purges et réhabilitations se succèdent à un rythme soutenu. Monroe a été victime d'une de ces purges. Depuis l'au-delà, il envoie ses filles, des combattantes formées aux techniques de commando, pour tenter de reprendre le contrôle de l'hôpital psychiatrique.
Breton, personnage-narrateur dont la schizophrénie contamine toute l'écriture du roman, est prisonnier dans l'un des pavillons pour aliénés. La police lui demande des rapports sur les filles de Monroe puisqu'il est capable de les repérer lorsqu'elles franchissent la frontière floue et poreuse entre les morts des vivants. Mais, amoureux du souvenir de l'une d'elles, il tente d'induire en erreur Kaytel, un officier du Parti qui a perdu la confiance du Comité central.
« Sans déflorer l’insoutenable suspense qui traverse l’ouvrage, je crois pouvoir annoncer que la victoire leur échappe. » (Antoine Volodine in Libération, le 18/08/2021)
Évasion qui tourne en rond, attaques des filles de Monroe qui échouent lamentablement dans les flaques d'une pluie ininterrompue, intrigues sans enjeu au sein de la bureaucratie du Parti, passages de vie à trépas sans conséquences : on est bien dans un roman de Volodine. L'univers est sombre. L'amour ou la poésie, qui sont bien présents, n'apportent aucun réconfort, juste des regrets. Les actions entreprises par les personnages sont vouées à l'échec. De cette noirceur absurde jaillit un comique doux-amer, ce que Volodine appelle « l'humour des camps ».
Le roman paraîtra familier (un peu trop, peut-être ?) aux inconditionnels du post-exotisme et de son auteur le plus connu. Volodine y déploie avec brio toute la panoplie de ses mondes, de son style, de ses techniques narratives. Dans cet univers réduit à quelques hectares, dans cette humanité réduite à quelques survivants et quelques morts, on retrouve la beauté de la langue, le foisonnement de l'onomastique, l'humour pince-sans-rire du désespéré, la subtilité de l'écriture qui joue à désorienter parfois le lecteur pour mieux le récupérer ensuite... À noter une rare concession à l'air du temps : les moyens d'éclairage ont été équipés de lampes à basse consommation. Même le Parti s'ouvre à l'écologie.
Les Filles de Monroe est un roman qui séduira les lecteurs habituels de Volodine. Parce qu'il est d'un abord plus facile que d'autres textes de cet auteur, on pourra aussi le conseiller à ceux qui veulent découvrir le post-exotisme.
Jean-François SEIGNOL
Première parution : 9/9/2021 nooSFere