SEUIL
(Paris, France), coll. Fiction & Cie Date de parution : 19 août 2021 Achevé d'imprimer : août 2021 Première édition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 19,50 € ISBN : 978-2-02-147847-1 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Imaginaire
Quatrième de couverture
Il pleut presque sans cesse, dans la vaste cité psychiatrique isolée de tout. Le long des rues obscures, entre les vieux bâtiments, errent infirmiers, malades et policiers, ainsi que d’autres créatures au statut incertain. Le pouvoir médical et politique continue à s’exercer sur les hospitalisés de basse catégorie, et, bien que rusant et mentant en permanence, malades et morts obéissent.
Toutefois, cet ordre immuable est remis en cause par une menace : Monroe, un dissident exécuté des années plus tôt, envoie depuis l’au-delà des guerrières ayant pour mission de rétablir la logique du Parti et le cours naturel de l’Histoire. Breton et son acolyte qui pourrait tout aussi bien être son double ont la charge de débusquer les revenantes, au moyen d’une lunette spéciale. Mais rapportent-ils bien ce qu’ils voient ? Dans la pénombre, il n’est pas facile de distinguer un mort d’un vivant… Et les sentiments ont une logique qui n’est pas forcément celle de l’État.
Critiques
Ainsi qu’Antoine Volodine l’expliquait dans Libération (18/08/ 21) à propos des Filles de Monroe, ce roman, s’inscrivant comme Terminus radieux (Bifrost n°77) et Kree (Bifrost n°99), dans l’univers du « post-exotisme », en constitue l’une des ultimes manifestations. Les Filles de Monroe forme en effet le quarante-cinquième titre d’un extraordinaire cycle romanesque, liant (entre autres genres) SF et fantastique, et devant in fine en compter quarante-neuf, toujours selon l’auteur. Pour qui n’aurait pas encore parcouru les hallucinantes contrées post-exotiques, rappelons à très gros traits qu’elles se situent dans un futur à la proximité incertaine, quelque part entre notre très (très) basse Terre et le Bardo, un au-delà tout sauf paradisiaque. L’une et l’autre portent en effet les stigmates apocalyptiques de siècles de guerres (y compris nucléaires) et de violences idéologiques, allant jusqu’au génocide. La faute en incombe à des forces politiques sans cesse mutantes, à la manière de cellules cancéreuses, sur lesquelles plane l’ombre historique du communisme soviétique. Dans ce monde non pas de demain mais plutôt sans lendemain, on tente de survivre, à moins qu’on n’en finisse pas de mourir. En ces enfers terrestres comme dans les limbes du post-exotisme, il advient parfois que l’amour vienne fugitivement éclairer les ténébreux destins des derniers des femmes et des hommes…
Ainsi en va-t-il du protagoniste et narrateur (apparemment) anonyme des Filles de Monroe. Autrefois cosmonaute et à ce titre héros du « Parti », sans doute victime d’une énième purge ourdie par cette totalitaire entité, le narrateur desFilles de Monroe est désormais incarcéré dans un « camp psychiatrique […] vastissime ». Il entretient une curieuse relation avec Breton, qu’il décrit comme un autre prisonnier de ce complexe hospitalo-concentrationnaire destiné à engendrer la folie plutôt qu’à la soigner. Quant à la nature réelle du lien unissant les deux hommes, on laissera le soin aux lecteurs et lectrices de la découvrir et d’ainsi goûter le tour de force littéraire grâce auquel Antoine Volodine la restitue. Tout au plus indiquera-t-on que les deux hommes ont été recrutés (bien malgré eux) par les autorités du camp pour surveiller les intrusions qu’y font celles qu’on appelle les filles de Monroe. Bien qu’exécuté à l’occasion d’une autre épuration du Parti, ledit Monroe s’efforce d’en prendre le contrôle depuis le Bardo. Là, il y entraîne d’autres victimes du béhémoth despotique, les transformant ainsi en « dernièresguerrières égalitaristes » qui une fois échappées des « ténèbres d’après la mort » mènent la plus étrange des guérillas à travers le camp. Parmi ces mortes-vivantes rompues à l’art du combat clandestin et d’une pureté doctrinale à toute épreuve, se trouve Rebecca Rausch. Celle-là même que le narrateur aima autrefois avec passion. Mais le retour de Rebecca Rausch va s’avérer pour son ex-amant aussi prodigieusement calamiteux que l’entreprise de révolution d’outre-tombe de Monroe. Car c’est une manière d’apocalypse que dépeint Les Filles de Monroe…
Celles et ceux qui sont coutumiers du post-exotisme objecteront qu’il n’y a là rien d’inédit en cette eschatologique matière. Aux unes et aux autres l’on répondra qu’ici, Volodine fait montre d’une capacité d’évocation, ou plutôt d’invocation, encore plus impressionnante que dans ses œuvres précédentes. Collant au plus près de la déliquescence des personnages et du monde les écrasant, l’écriture n’offre guère d’échappatoire, si ce n’est sous la forme de sombres éclairs d’humour d’un absurde grotesque. Inspiré par la phrase fameuse de Mao, l’on serain fine tenté d’écrire qu’avec Les Filles de Monroe Volodine fait la saisissante démonstration que la fin du monde n’est pas un dîner de gala…
C'est la fin du monde. De l'Humanité ne subsiste plus qu'un vaste hôpital psychiatrique dont la police et le Parti ont pris le contrôle. Apocalypse ou pas, la machine bureaucratique continue de fonctionner : efficace, froide, engoncée dans un jargon absurde jusqu'à en être comique. Le Parti est déchiré par les luttes intestines de ses 343 fractions. Purges et réhabilitations se succèdent à un rythme soutenu. Monroe a été victime d'une de ces purges. Depuis l'au-delà, il envoie ses filles, des combattantes formées aux techniques de commando, pour tenter de reprendre le contrôle de l'hôpital psychiatrique.
Breton, personnage-narrateur dont la schizophrénie contamine toute l'écriture du roman, est prisonnier dans l'un des pavillons pour aliénés. La police lui demande des rapports sur les filles de Monroe puisqu'il est capable de les repérer lorsqu'elles franchissent la frontière floue et poreuse entre les morts des vivants. Mais, amoureux du souvenir de l'une d'elles, il tente d'induire en erreur Kaytel, un officier du Parti qui a perdu la confiance du Comité central.
« Sans déflorer l’insoutenable suspense qui traverse l’ouvrage, je crois pouvoir annoncer que la victoire leur échappe. » (Antoine Volodine in Libération, le 18/08/2021)
Évasion qui tourne en rond, attaques des filles de Monroe qui échouent lamentablement dans les flaques d'une pluie ininterrompue, intrigues sans enjeu au sein de la bureaucratie du Parti, passages de vie à trépas sans conséquences : on est bien dans un roman de Volodine. L'univers est sombre. L'amour ou la poésie, qui sont bien présents, n'apportent aucun réconfort, juste des regrets. Les actions entreprises par les personnages sont vouées à l'échec. De cette noirceur absurde jaillit un comique doux-amer, ce que Volodine appelle « l'humour des camps ».
Le roman paraîtra familier (un peu trop, peut-être ?) aux inconditionnels du post-exotisme et de son auteur le plus connu. Volodine y déploie avec brio toute la panoplie de ses mondes, de son style, de ses techniques narratives. Dans cet univers réduit à quelques hectares, dans cette humanité réduite à quelques survivants et quelques morts, on retrouve la beauté de la langue, le foisonnement de l'onomastique, l'humour pince-sans-rire du désespéré, la subtilité de l'écriture qui joue à désorienter parfois le lecteur pour mieux le récupérer ensuite... À noter une rare concession à l'air du temps : les moyens d'éclairage ont été équipés de lampes à basse consommation. Même le Parti s'ouvre à l'écologie.
Les Filles de Monroe est un roman qui séduira les lecteurs habituels de Volodine. Parce qu'il est d'un abord plus facile que d'autres textes de cet auteur, on pourra aussi le conseiller à ceux qui veulent découvrir le post-exotisme.