Jeff VANDERMEER Titre original : Borne, 2017 Première parution : New York, USA : MCD / Farrar, Straus and Giroux, 25 avril 2017ISFDB Traduction de Gilles GOULLET
« J’ignorais quelle importance Borne aurait pour nous. Je ne pouvais pas savoir qu’il changerait tout. Y compris moi. »
Dans une ville en ruine, détruite par la sécheresse et les conflits, et où les hommes survivent comme des charognards, Rachel trouve Borne lors d’une mission de récupération. Elle le ramène chez elle. Borne est une masse verte vivante, plante ou animal, et dégage un étrange charisme. Mère refoulée, Rachel garde Borne et s’y attache comme à un enfant. Doué d'empathie, il montre à Rachel la beauté dans la désolation qui l'entoure. Et alors que la créature grandit et commence à menacer l'équilibre du pouvoir dans la ville, elle modifie profondément les perceptions et les émotions de ceux qu'elle côtoie.
Une dystopie qui fait la part belle à l’humain et aux sentiments renaissants, portée par une écriture mystérieuse et qui se refuse à tout expliquer. Télérama.
Une plume admirablement maîtrisée, un voyage vraiment étonnant. ActuSF.
Rachel vit à l’ombre des Falaises à Balcons, non loin d’une rivière chargée en effluents toxiques. Longtemps, elle a fui les dangers d’un monde irrémédiablement souillé, retombé en jachère après son effondrement, trouvant refuge auprès de Wick, un transfuge de la Compagnie. Sur le qui-vive, à l’affût de Mord, l’ours titanesque lévitant comme une épée de Damoclès au-dessus des ruines de la ville, mais aussi des séides hargneux et armés de la Sorcière, le couple s’est aménagé un cocon pour survivre, comptant sur les pièges de Rachel et sur la biotech venimeuse de son amant pour écarter les menaces. De cette cohabitation est née une relation quasi-incestueuse, Rachel nourrissant pour Wick une passion presque maternelle. L’arrivée de Borne, retrouvé dans les poils de la fourrure de Mord, vient fragiliser l’équilibre délicat de leur relation. De sexe et de nature indéterminés, la créature polymorphe ne tarde pas à grandir et à faire l’apprentissage de la vie, occupant une place de plus en plus importante dans l’existence de Rachel. Mais pour autant, Borne peut-il être considéré comme une personne ? Ne représente-t-il pas lui-même un péril encore plus grand ?
Borne relève à la fois du conte post-apocalyptique et du roman d’apprentissage. Un conte profondément chaleureux et optimiste, mais surtout guidé par l’esprit weird cher à Jeff VanderMeer. L’univers de Rachel est en effet hanté par les horreurs du monde d’avant où prévalait la guerre de tous contre tous. Sillonnée par des récupérateurs à la recherche de nourriture, d’un toit ou de biotech, la cité n’est plus que l’ombre de sa grandeur passée, offrant le spectacle mortifère de l’affrontement entre Mord et la Sorcière. Au cœur de ce conflit, Rachel vit dans un no man’s land affectif, oscillant entre les exigences de l’instinct de survie, la culpabilité de Wick et les remords issus de son passé. En dépit de la méfiance et de la jalousie de son compagnon, elle trouve en Borne des raisons d’aimer et de se projeter dans l’avenir, se réjouissant des progrès de la créature et s’inquiétant de sa naïveté face à la dureté du monde. Borne réenchante littéralement sa vie, lui faisant appréhender la décrépitude de son univers avec un autre regard. À son contact, la carcasse pourrissante de la ville se transforme en royaume enchanté et l’atmosphère délétère des lieux se mue en vision poétique. Elle ne parvient pourtant pas à se départir d’un sentiment de frayeur qui éclate au grand jour lorsque la créature finit par s’affranchir de sa tutelle. En adoptant son point de vue, Jeff VanderMeer nous immerge dans ses doutes, dans son quotidien périlleux, nous faisant toucher du doigt les instants de bonheur et de malheur qui constituent son ordinaire. Il nous fait percevoir également la difficulté d’être parent, de guider une autre existence sur le chemin de la conscience de soi et des autres. En apprenant à devenir une personne auprès de Rachel, Borne semble contrebalancer son être profond, bricolage génétique malveillant. Il tente d’infléchir sa condition par la force de sa volonté et avec le secret espoir de plaire à sa mère. Mais est-ce suffisant ? Libre à chacun de tirer ses propres conclusions, cependant Jeff VanderMeer a très clairement l’art et la manière de susciter le dilemme, parvenant à rendre attachant une créature résolument étrangère.
Conte absurde, bizarre et troublant, mais profondément humain, Borne se révèle une grande réussite dont il serait dommage d’ignorer le charme weird et sans complexe.
Laurent LELEU Première parution : 1/1/2021 Bifrost 101 Mise en ligne le : 29/6/2024