Le fantastique est de tous les temps puisqu'il naît de notre inquiétude, de nos désirs et nos superstitions et qu'il est fait de la substance de nos rêves, de nos craintes. Il n'évoque pas seulement le surnaturel, la terreur, les états morbides, les fantômes et les démons, il a partie liée avec ce qui nous dépasse, avec ce qui nous blesse délicieusement ou bien nous pétrifie. Il exprime l'autre versant du monde, l'envers des choses, le côté ténèbreux du soleil. Comme la poésie, dont il ne se sépare pas, il est à la fois action magique, révélation et moyen de salut.
Dans une époque aussi brimée que la nôtre par la technique, le matérialisme athée, et le socialisme d'Etat, le recours au fantastique s'impose plus que jamais pour nous aider à rejoindre l'inconscient et les sources obscures de la vie. Les écrivains français d'aujourd'hui comme ceux d'autrefois apportent une réponse à cette angoisse, à ce besoin.
1 - Marcel SCHNEIDER, Préface, pages 9 à 13, préface 2 - Jules SUPERVIELLE, L'Enfant de la haute mer, pages 15 à 24, nouvelle 3 - Marcel BRION, Sibilla van Loon, pages 25 à 52, nouvelle 4 - Jean Louis BOUQUET, La Fontaine de Joyeuse, pages 53 à 86, nouvelle 5 - André DHÔTEL, Le Village invisible, pages 87 à 108, nouvelle 6 - André BAY, La Dame de pique, pages 109 à 112, nouvelle 7 - Lise DEHARME, Derrière la porte, pages 113 à 117, nouvelle 8 - MARIE-LAURE, La Mandragore, pages 119 à 131, nouvelle 9 - Georges LIMBOUR, Le Cheval de Venise, pages 133 à 151, nouvelle 10 - Noël DEVAULX, La Dame de Murcie, pages 153 à 159, nouvelle 11 - Marcel SCHNEIDER, Le Tombeau d'Arminius, pages 161 à 177, nouvelle 12 - André PIEYRE DE MANDIARGUES, Le Diamant, pages 179 à 200, nouvelle 13 - Alain ROBBE-GRILLET, La Chambre secrète, pages 201 à 208, nouvelle 14 - Henri MICHAUX, Une vie de chien, pages 209 à 234, nouvelle 15 - Marcel BÉALU, L'Anneau, pages 235 à 237, nouvelle 16 - Marcel BÉALU, Le Voyageur endormi, pages 237 à 239, nouvelle 17 - Jean FERRY, Le Tigre mondain, pages 241 à 246, nouvelle 18 - Jacques STERNBERG, Le Tricot, pages 247 à 249, nouvelle 19 - Jacques STERNBERG, Le Brochet, pages 250 à 251, nouvelle 20 - Gérard KLEIN, Le Monstre, pages 253 à 270, nouvelle 21 - Julien GREEN, Le Voyageur sur la Terre, pages 271 à 326, nouvelle
Ces deux volumes ont entre eux divers points communs, en plus du fait qu'ils appartiennent à la même collection. Ils comprennent l'un et l'autre une introduction dont l'auteur ne cherche pas une nouvelle définition du fantastique ou de l'étrange, mais se contente d'évoquer l'appel que ces éléments exercent sur notre subjectivité. Marcel Schneider insiste sur le besoin d'évasion de notre époque, alors que Jean Palou parle simplement du fantastique qui « est pour l'écrivain un moyen d'évasion, une technique de création de rêves à usage personnel, pour son propre plaisir, et pour celui des adeptes de ce genre ». Et, précisément, les adeptes de ce genre trouveront des choses intéressantes dans les pages de ces deux recueils.
Pour les lecteurs de la présente revue, ces deux volumes offrent l'intérêt de réunir des textes « insolites » d'auteurs qui ne sont pas tous des spécialistes du genre, et qui appartiennent même parfois à des écoles bien éloignées du merveilleux, scientifique ou non. La science-fiction n'est d'ailleurs que très exceptionnellement représentée. Dans le premier volume, on trouvera Le monstre, cette mémorable nouvelle de Gérard Klein dont la traduction eut les honneurs de la couverture du Magazine of Fantasy and Science Fiction.Dans le second recueil, elle ne joue un rôle important que dans la petite esquisse d'Octave Béliard, Le Bouddha.
Dans l'anthologie réunie par Marcel Schneider, on trouvera les noms de Marcel Brion, d'Alain Robbe-Grillet (qui prennent l'un et l'autre une peinture comme point de départ de leur promenade fantastique), de Henri Michaux, dont Une vie de chien est un remarquable exemple de fantastique surréaliste, d'André Pieyre de Mandiargues, dont l'héroïne vit une aventure nouvelle pour elle à l'intérieur d'un diamant, de Jean-Louis Bouquet, dont la superbe Fontaine de Joyeuse constitue une parfaite utilisation du thème de la possession, de Georges Limbour, avec Le cheval de Venise, de Julien Green, dont Le voyageur sur la terre est le plus long, sans doute le plus connu, mais non le moins intéressant, des récits rassemblés dans ce volume. Le critère qui paraît avoir guidé le choix de Marcel Schneider est donc celui de l'évasion par l'insolite, que celui-ci soit expliqué ou non. Cela confère à ces pages une agréable diversité de ton et d'ambiance.
Dans le volume présenté par Jean Palou, les récits sont moins nombreux, donc en moyenne plus longs, que dans le précédent. Le lecteur trouvera ici, en particulier, deux longues nouvelles d'Algernon Blackwood, qui sont représentatives de l'art de son auteur. L'homme qui fut Milligan est, si l'on veut, une histoire d'évasion – d'évasion par le moyen d'une œuvre d'art – mais les circonstances de cette évasion, et ses conséquences, sont évoquées selon un angle rarement utilisé. Blackwood évite l'effet de chute, là où un autre auteur aurait probablement construit tout son récit en vue de cet effet. Le jeune Lord régénéré, récit qui occupe à lui seul près du quart de ce volume, est un autre exemple caractéristique de la manière de Blackwood. Sur un thème très simple – la découverte, quelque part dans le Jura suisse, de rites primitifs ayant survécu intacts au cours des siècles – l'auteur développe un sujet qui lui fut cher, celui de la communion de l'homme avec la nature, de la résonance que les éléments (ici, le feu et l'air) peuvent susciter en l'homme. Ici encore, mépris total de l'effet de chute : l'auteur montre assez rapidement où il veut en venir, mais impose au lecteur la qualité d'une narration majestueuse aux descriptions puissantes. L'inclusion de ces deux récits contribuera à faire connaître au lecteur français l'œuvre d'un auteur qu'il commence en général seulement à découvrir, et qui fut le maître d'un fantastique à la fois individuel et panthéiste.
Parmi les autres récits, on trouve des œuvres d'auteurs asiatiques – dont Le prodigue et l'alchimiste, à propos duquel Jean Palou n'hésite pas à affirmer que ce récit « est sans doute le plus chargé de sens profond et secret, le plus magnifique aussi de tous ceux que nous avons pu lire ou entendre » – ainsi que des récits traduits du russe : Viy, à la fois démoniaque et caricatural, de Gogol, et Lui, grand-guignolesque mais curieusement inquiétant par son atmosphère kafkaïenne, de Leonid Andréev (un auteur passablement oublié aujourd'hui, mais qui connut la gloire au début de ce siècle).
Comme dans le volume précédent, on a ici une diversité très plaisante, et chaque amateur d'insolite pourra faire en ces pages d'intéressantes découvertes. La série représente en outre un excellent effort en vue d'habituer le lecteur français aux recueils de nouvelles. Il y a, dans les récits insolites qui tiennent en quelques dizaines de pages, de véritables chefs-d'œuvre, que leur brièveté entoure d'un préjugé ; cette collection montre que cette mine mérite d'être exploitée systématiquement.
Demètre IOAKIMIDIS Première parution : 1/6/1966 Fiction 151 Mise en ligne le : 18/1/2023