Stephen KING Titre original : Carrie, 1974 Première parution : New York, USA : Doubleday, avril 1974ISFDB Traduction de Henri ROBILLOT
GALLIMARD
(Paris, France) Dépôt légal : 1976 Première édition Roman, 226 pages, catégorie / prix : 29 F ISBN : 2-07-029430-7 ❌ Genre : Fantastique
La couverture porte en plus : "comment un être innocent et désarmé possède le terrible pouvoir de déplacer les objets à distance et met en péril une ville entière"
Carrie, durant toute ses études, a été le souffre-douleur de ses camarades. A la maison, elle vit en tête à tête avec une mère puritaine, exaltée, fanatique. Pour elle ni répit ni refuge. A dix-sept ans, repliée sans espoir sur elle-même, prisonnière d'un physique ingrat et de sa maladresse, elle reste la tête de Turc de l'Ecole.
Mais lors du bal de fin d'année, vistime encore une fois d'une farce effroyable, elle se souvient d'un don étrange, enexplicable, qui s'était manifesté dans sa petite enfance. Ce don, la télékinésie, pouvoir de déplacer des objets à distance, elle le met au service d'une vengeance qui va prendre des proportions d'un terrible désastre. On épiloguera sur ce cas dans toute l'Amérique, des commissions d'enquête seront créées, des chercheurs se pencheront sur un phénomène consteté par beaucoup : le problème d'une redoutable anomalie génétique est posé.
Dans ce récit de pathologie-fiction habilement mené (l'action se passe en 1982), le lecteur, constamment tenu en haleine, sent peu à peu s'appesantir et se préciser la menace que fait planer un être innocent et désarmé, mais détenteur d'un pouvoir sans limites, sur quelques-uns de ses proches, tout un collège, une ville entière.
Stephen King, dont c'est le premier roman, est professeur dans l'Etat du Maine, où il habite avec sa femme et ses deux enfants.
Critiques
Grâce à la technique bien connue (mais ici fort judicieusement employée) du collage (coupures de presse, extraits de livres commentant l’événement, interviews de témoins – le récit à la troisième personne bouchant les trous), la relation de la mise à feu et à sang (au sens littéral) d’une petite ville des États-Unis par une jeune fille dotée d’un extraordinaire pouvoir de télékinésie. La tragédie finale (qui couvre la deuxième moitié du roman) est explicitée par la première : le portrait de Carrie, adolescente de 16 ans élevée par sa mère dans un climat de religiosité hystérique, tourmentée par sa sexualité, et surtout en butte aux plaisanteries et tracasseries continuelles de ses camarades de classe. Sujet classique s’il en fût, mais ici très bien exploité par King (dont c’est le premier ouvrage), qui évite toute métaphysique genre Planète et reste au contraire dans un ton réaliste-documentaire saisissant, avec de très vigoureux portraits des principaux personnages typiques d’une Amérique provinciale « silencieuse », au premier plan desquels la victime-vengeresse est saisie dans toute sa complexité. Ce roman, dont la moralité implicite est « Aimez ceux qui sont différents », ne devrait pas être ignoré des amateurs de SF sous prétexte qu’il est publié hors collection. Quant aux autres, ils y verront simplement un excellent roman.
Oui, c'est le « Carrie » que vous avez tous vu au ciné. Sauf moi. De toute façon, même si vous avez vu ce film (admirable ! m'a dit mon meilleur pote ; tartignolle ! m'a dit mon deuxième meilleur pote), ça ne vous empêche pas de lire ce bouquin. C'est un bon bouquin (et c'est votre meilleur pote qui vous le dit) écrit avec... art ? métier ? efficacité ? qu'importe le terme pourvu qu'on ait l'ivresse. Moi, l'ivresse, je l'ai eue. C'était pas, d'accord, la grande cuite à rouler sous la table, avec l'inconscience et la GDB du lendemain. Non. La bonne ivresse, planante, juste ce qu'il faut d'angoisse au fond du verre.
Je dis qu'avoir vu le film ne gêne pas cette lecture pour la bonne raison que l'auteur nous dévoile le thème dès le début. On sait tout, non seulement après avoir lu le résumé page 4 de couverture, mais après avoir avalé les premières pages. On sait tout. C'est un cas de télékinésie. Carrie est un laideron de 17 ans, rejetée de toutes parts, dont la mère est totalement cinglée, totalement ratatinée et puritaine, esclave de Dieu et tous ces machins. Carrie a un don : elle peut déplacer les objets à volonté. Voilà. On sait tout, je vous dit. On sait que Carrie-Cendrillon va aller au bal, et que des petits cons méchants vont lui jouer un de leurs tours, et que Carrie va se venger d'un seul coup de dix-sept années de misères en rayant une ville de la carte. Rien de moins. On sait tout. Alors, dites, pourquoi lit-on quand même ?
Vous aimez les puzzles ? Oui ? Bon. Vous achetez un puzzle. Vous allez vous taper des heures et des heures là-dessus, à rassembler vos petits bouts de carton, pour reconstituer le modèle. Là aussi, vous savez tout. Vous connaissez le modale. Et pourtant, hein ?... des heures, des jours, à rassembler vos places. A râler, à être tout content d'avoir enfin trouvé le petit bout de l'arbre en haut à gauche.
Carrie, c'est ça. Un puzzle écrit à la main. Vous avez toutes les pièces en tas, au départ, et vous avez le modèle. De plus, King écrit comme ça, construit une histoire comme ça : comme un puzzle, à coups d'extraits-bidons de presse, ou de journaux intimes, ou de pseudos-publications, de communiqués d'agence de presse, de rapports de police, etc. Plus quelques plongées ici et là dans la tête de quelques personnages. Ce qu'il faut, pas davantage, juste ce qu'il faut pour vous donner toujours l'envie d'aller plus loin et de voir comment s'est passé ce que vous connaissez déjà... Art, talent, efficacité ? Métier ? Sais pas. Quelle importance... Efficacité, sûrement. Comme est également efficace le superbe roman du sieur King, paru chez Alta, fabriqué selon la même technique : SALEM1. Oui, efficacité. Ça laisse rêveur et pantelant. Le plus fort étant qu'au départ on s'est dit que tout ça, bon, c'est de la frime et qu'on ne marchera pas... pour oublier aussi sec cette bonne résolution. Et pour non seulement marcher, mais courir avec délice.
Notes :
1. SALEM, à la réflexion, c'est quatre fois, dix fois plus « efficace » que CARRIE... Ouais...
Pierre PELOT (site web) Première parution : 1/11/1978 Fiction 295 Mise en ligne le : 1/3/2012