Si la science-fiction n'a encore qu'assez peu excité la veine des critiques et autres penseurs, et si les études qui la prennent pour cible sont à la fois peu nombreuses et peu satisfaisantes, l'utopie, sa parente directe, est mieux lotie.
Les ouvrages consacrés à l'utopie peuvent intéresser le lecteur de science-fiction à deux titres principaux. D'une part, ils décrivent l'une des sources de la science-fiction contemporaine, et peut-être la plus riche ; d'autre part, les frontières n'étant bien nettes ni dans le temps ni entre les genres, ils rendent souvent compte, selon leur perspective particulière, d'un certain nombre d'ouvrages de science-fiction.
La question de la définition de l'utopie par rapport à la science-fiction ne nous paraît avoir qu'un intérêt assez mince, et ne peut se résoudre que par référence à des idéologies étrangères à la littérature. On peut seulement faire remarquer, avec la plupart des auteurs, que l'intention utopique a semblé se dissoudre avec le début du siècle, ou plutôt passer sur d'autres terrains que ceux de la littérature, et que la science-fiction a pris le relais.
Aux ouvrages déjà connus consacrés à l'utopie, et parmi lesquels nous citerons L'Utopie et les utopies de Raymond Ruyer et Le mythe de la cité Idéale de Mucchielll, vient de s'ajouter L'utopie anglaise du professeur A. L. Morton. L'ampleur des productions anglo-saxonnes en matière d'utopie justifiait un ouvrage qui leur soit consacré.
Malheureusement, celui-ci est loin d'être exhaustif et la préoccupation politique qui l'anime lui prête plus de naïveté que de force. Le propos du professeur Morton est de situer les utopies anglaises, depuis le thème populaire du Pays de Cocagne jusqu'aux anti-utopies d'Huxley et d'Orwell, par rapport à la critique sociale et aux idées socialistes. Si l'intérêt et la légitimité du propos n'échappent à personne, ils ne s'appuient Ici que sur des lectures quelquefois rapides. Les meilleures pages du livre concernent l'utopie de William Morris, Nouvelles de nulle part, qui, sauf erreur, est peu connue de ce côté de la Manche. On déplorera que soient seulement cités sans aucune autre mention des ouvrages de l'importance de ceux de Stapledon.
Tel quel, l'ouvrage peut apporter une information précieuse au lecteur de science-fiction qui souhaiterait se faire une idée des utopies et trouver une bibliographie sommaire. Il ne satisfera pas le véritable amateur.
Gérard KLEIN
Première parution : 1/6/1965 dans Fiction 139
Mise en ligne le : 11/7/2023